Publié le 17 novembre 2018 à 18h54 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 19h22
C’est un Thierry Fabre, initiateur et concepteur des Rencontres d’Averroès, grave, qui a ouvert la 25e édition, ce 16 novembre, en citant Gilles Deleuze pour qui: «L’éthique c’est être à la hauteur de ce qui nous arrive», signalant que des amis, certains étant intervenus lors des précédentes éditions, ont été emprisonnés le matin même en Turquie. Et de souhaiter que «les Rencontres nous aident à être à la hauteur de ce qui nous arrive». Puis de présenter le thème de cette édition: «Quelles relations entre les sexes, d’hier à demain, en Méditerranée?». La première table ronde s’est interrogée sur le rôle et la place des monothéismes dans la relation entre les sexes. Ainsi que sur la relation entre les grands textes, considérés comme sacrés et les textes profanes, juridiques, nationaux comme internationaux, qui fondent les relations entre les sexes et les genres. L’interprétation est-elle possible? Et qu’en-est-il des valeurs universelles? Sont-elles occidentales ou universelles?
Macha Makeïeff, la directrice La Criée qui accueille les Rencontres, insiste, en avant-propos, sur l’extrême privilège, «d’entendre une pensée structurée». Thierry Fabre revient sur l’ambition de la manifestation en citant René Char, «faire longuement rêver ceux qui ordinairement n’ont pas de songes, et plonger dans l’actualité ceux dans l’esprit desquels prévalent les jeux perdus du sommeil». Thierry Fabre pour qui, ces journées sont «de l’imaginaire en acte. Chaque année nous pensons la Méditerranée des deux rives indissociablement liées, reliées pour le meilleur et pour le pire alors que le meilleur n’est pas si loin». Sophie Bessis, journaliste avant de devenir, entre autres, secrétaire adjointe de la Fédération internationale des droits de l’Homme et membre de la haute instance tunisienne pour la sauvegarde de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique, met en exergue le texte le plus important en matière d’égalité homme/femme: «le traité ratifié par la quasi-totalité des États à l’Assemblée Générale des Nations Unies, en 1979 qui approuve la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination a l’égard de la femme». Malheureusement, ajoute-t-elle: «Il existe la possibilité de déposer des réserves au texte». Dans le même temps a lieu la révolution iranienne. «Le monde est entré dans une phase de retour ou de secours du religieux avec des conséquences extrêmement néfastes pour la condition des femmes». Face à cela «un courant s’est levé contre la lecture misogyne et propose une lecture féministe du Coran», indique-t-elle. Une lecture qui, dans des pays régis par le religieux «peut représenter une avancée». Mais, quand le texte sacré ne s’adresse qu’aux croyants, le texte profane s’adresse à tous. «Et je refuse de dire que l’universel est occidental même si cela a pu être le cas», insiste Sophie Bessis.
«On devrait dire « Dieu, s’il existe, a dit»
Les textes sacrés, oui, mais le rabbin et docteur en philosophie Marc-Alain Ouaknin s’interroge sur la présence divine, sur la lecture des textes, leur interprétation: «Il y a deux types de textes: une Loi écrite, la Torah. Elle est commentée de génération en génération ce qui donne le Talmud ». Et, être dans le judaïsme «c’est se référer au Talmud dans lequel toute pensée est présentée comme une opposition entre deux pensées». «On parle de Dieu comme d’un personnage conceptuel, le Dieu du texte n’est pas celui de la réalité. On devrait dire « Dieu, s’il existe, a dit ». Et la Torah a été donnée aux Hommes, elle n’est plus au ciel. Ce sont les Hommes qui doivent gérer le monde et pas Dieu», explique-t-il avant d’interroger: «Si nous n’avons pas besoin de Dieu et du texte pourquoi les textes sont-ils là et offerts à l’interprétation». «Tous les textes sont offerts à l’interprétation et à la concurrence des interprétations et la grandeur d’un texte réside là», précise le rabbin Ouaknin. Sophie Bessis ne partage pas ce point de vue : «Les textes religieux ont une exigence d’obscurité, il n’en va pas de même pour les Lois civiles qui ont un impératif de clarté». «Mais alors pourquoi des avocats dans les Tribunaux? On y interprète le droit et, en matière de droit international, il y a aussi interprétation à partir de la traduction. Nous sommes une civilisation du langage, l’interprétation est notre grandeur, sans interprétation nous tomberons dans le piège de l’idéologie»
«L’Église est en retrait par rapport à Jésus»
Monique Baujard, juriste est devenue, après des études de théologie, la première femme directrice du service « Famille et société ». Elle en vient à la Bible: «C’est un ensemble de textes composés à des époques différentes. Les auteurs essaient de dire quelque chose de Dieu dans l’existence des hommes et des femmes. Et ils le disent avec les mots, les idées de leur époque. C’est un ouvrage qui est donc de culture patriarcale dans lequel la femme est souvent invisible». Pour elle: «La Bible est une parole imbriquée de Dieu et des Hommes» comme une invitation à relativiser, interpréter. Ainsi, comment prendre ce texte, ces textes? Elle se fait l’écho du Pape François pour qui: «La Bible est une compagne de voyage». «Si on lit ces textes, poursuit-elle, pour chercher une confirmation de ses idées, ce n’est pas un bon usage». Elle aborde la question de Jésus: «Il y a chez lui une grande liberté en rupture avec son époque, il discute théologie avec les femmes, ne les réduit ni à la maternité ni au ménage». Et de juger: «L’Église est en retrait par rapport à Jésus». Et c’est du monde anglo-saxon qu’arrive une évolution, une lecture plus féminine qui met notamment en exergue le fait que «ce sont les femmes qui sont là pour la résurrection et non les hommes et, ce sont elles, qui annoncent la bonne nouvelle. Elle sont apôtres». Avant de dénoncer la réforme grégorienne «qui sépare le clerc des autres et qui donne la seule parole d’autorité aux clercs, donc aux hommes puisque même si une femme effectue toutes les études de théologie sa parole ne sera jamais d’autorité puisqu’elle ne peut pas être clerc.» «Il y a encore du boulot à faire dans l’église», assène-t-elle.
Il n’y a, aucun verset qui présente ou symbolise l’homme comme chef de famille
Asma Lamrabet est médecin biologiste, théologienne musulmane, elle vient de démissionner du Centre d’études féminines en islam (Cerfi) qu’elle dirigeait à Rabat (Maroc) sous la pression de l’institution religieuse et des milieux conservateurs. Un conflit naît de sa prise de position publique en faveur de l’égalité homme/femme en matière d’héritage. «La question de la femme est centrale dans l’impasse que connaît le monde arabo-musulman, souligne-t-elle, Il faut distinguer dans le Coran le message spirituel et l’Islam institutionnel car l’amalgame entre les deux rend le message inaudible». «Le spirituel est compatible avec les valeurs universelles, mais cela est amoindri par l’Islam institutionnel qui, quelle que soit sa tendance, se construit sur un socle commun de misogynie qui a été pourvoyeur de toutes les discriminations». Mais, observe-t-elle: «Depuis les années 90, il y a une dynamique féminine qui est en marche dans le monde musulman».
Elle insiste sur l’importance de revenir au Coran et non de partir des textes universels dans le monde arabo-musulman «parce que le référentiel religieux est incontournable qu’on le veuille ou pas. Parce que les régimes laïques et autoritaires qui étaient en place ont instrumentalisé le religieux et bloqué l’évolution de sa pensée». Partir des textes, c’est ce qu’elle a fait en publiant, en 2017 «Les femmes en islam : les questions qui fâchent». «Il y a 17 questions qui fâchent, seules 6 relèvent du Coran, 6 versets qui sont socio-conjoncturels. Ils peuvent être déconstruits très facilement, d’autant plus qu’il existe 21 versets égalitaires. Toutes les autres questions relèvent de la juridiction musulmane. Alors aujourd’hui la question qui se pose est politique, l’Islam a besoin de plus d’espaces de liberté».
Au niveau d’avancée, elle cite le Code de la famille refondé, en 2004, au Maroc: «Cela a permis de mettre en contradiction le Coran et ses exégèses. Il n’y a, par exemple, aucun verset qui présente ou symbolise l’homme comme chef de famille mais au contraire de versets de coresponsabilité» Pour Marc-Alain Ouaknin la force ne réside pas dans les textes mais dans leur étude. Et cette étude-juge-t-il, «n’a pas pour but d’arriver à une interprétation mais de mettre l’esprit en mouvement. Cela permet à l’humain de rester intellectuellement capable de changer d’oreille. L’étude nous délivre, comme le disait Alain d’un automatisme de pensée». Il évoque le masculin et le féminin: «Il faut revenir à la langue d’origine et chaque mot, en hébreu, à deux significations. Le mot pour masculin signifie également mémoire, celui pour féminin: oubli». Des réaction se font entendre dans la salle: «Il y a un préjugé négatif sur l’oubli mais si on relit Nietzsche on voit que celui-ci explique que, pour pouvoir être Homme il faut de la mémoire mais pas seulement, il faut aussi l’oubli car comment un progressiste peut-il se faire entendre si nous n’oublions pas l’ancienne interprétation.»
Michel CAIRE