Publié le 23 novembre 2012 à 2h00 - Dernière mise à jour le 26 août 2023 à 18h58
Jeudi soir, en avant première des tables rondes s’est tenu au cinéma phocéen « Les variétés » une soirée consacrée à la Syrie. Caricatures, guignols de l’info à la mode syrienne avec les œuvres du collectif Masasit Mati ont précédé la projection, suivi d’un débat du documentaire « Syrie, le crépuscule des Assad ». Un film, un débat, qui revient sur les origines du régime, met en lumière sa violence avec les massacres perpétrés contre son peuple, déjà, par Hafez El-Assad, le père de Bachar, qui laisse craindre un enlisement de la guerre si la pression internationale ne se fait pas plus forte. Avec, toutefois, une évolution sur laquelle, il sera impossible de revenir, selon Christophe Ayad, à qui l’on doit le film, avec Vincent de Cointet : « Les Syriens n’ont plus peur de parler ».
L’humour, noir, avait toute sa place au travers des caricatures de d’Ali Ferzat, un humoriste qui a été sauvagement tabassé pour ses dessins, abandonné en sang dans une rue, sauvé par des passants qui l’ont conduit à l’hôpital. Après une patiente rééducation des mains, il a repris ses crayons. Thierry Fabre, fondateur et concepteur de ces Rencontres organisées et produites par l’espaceculture Marseille avance : « Nous avons choisi cette année de porter une attention particulière à la Syrie où l’on dénombre des milliers de morts dans une indifférence quasi totale ».
Puis Mireille Maurice, représentante de l’Ina, après avoir rappelé que l’Institut a contribué à la production du film, considère : « Il a encore plus d’écho aujourd’hui que lors de sa première projection, sur Arte, en 2011 ». De son côté, Thierry Ayad a l’impression que « ce film date de la préhistoire tant d’événements se sont produits depuis ». Il revient sur la genèse du documentaire : « Le projet a été initié par Arte en 2008. Le travail a pris deux ans car, d’une part, la Syrie ne suscitait pas un grand intérêt et, d’autre part, il était impossible d’y travailler. C’est d’ailleurs mon grand regret, il manque la dimension intérieure ».
Ziad Majed, politologue, (intervenant lors de la 3e table ronde) raconte : « le mouvement de contestation a démarré dans une ville du sud où des enfants de 12-13 ans ont été arrêtés, torturés, car ils étaient accusés d’avoir écrit sur un mur : « Assad dégage ». Les pères ont proposé de prendre la place de leurs enfants, refus. Le mouvement a pris de l’ampleur alors que, dès les premières manifestations le pouvoir tuaient les manifestants».
Mais pourquoi le régime tient-il encore ? Thierry Ayad explique :« La Syrie c’est la Corée du Nord en plus souriant. C’est une dictature qui entre dans toutes les maisons. Je savais le chômage, j’avais entendu parler de la famine dans certaines régions mais je ne m’attendais pas à voir sortir une société quasiment de rien. Nous avons des jeunes qui dirigent le mouvement. Leur seule culture politique dans ce pays d’interdits réside dans les débats qu’ils suivent sur Al Jazeera. Nous sommes face à une société qui, soumise à la barbarie du régime, a su créer un contre-Etat souterrain. Un pays où, si l’on est blessé, on ne peut aller à l’hôpital, et où, donc, un système de soins clandestin s’est mis en place, dans lequel on transporte les blessés dans le coffre des voitures. Avec une population qui, par tous les moyens, envoie des messages, des vidéos, sur les violences. »
Il poursuit : « Puis, nous sommes dans un régime d’auto prédiction. Dès le départ, le pouvoir a dit que les manifestants étaient armés, ce n’était pas le cas, cela le devient. Les chefs pacifistes du mouvement ont tous été tués. Il a aussi avancé qu’il avait à faire à des salafistes. C’était faux, cela devient vrai. Mais comment voulez-vous que réagissent des adolescents dont le père a été tué, les sœurs violées ? Dès le début le gouvernement a aussi distillé le venin des affrontements ethniques. C’était faux, mais, là aussi, à force de manipulations, cela devient vrai ».
Alors, pour Thierry Ayad : « Nous sommes face à un pouvoir qui se fiche totalement de son peuple, qui massacre sans aucun état d’âme, et dont le seul objectif est de donner une dimension régionale voire mondiale au conflit. Pour cela, il pousse à la crise, est allé voir la Russie puis l’Iran pour leur dire que sa défaite serait, avant tout, leur défaite ». Résultat, sur le front diplomatique, rien ne bouge et sur le plan militaire, les chars, les avions, font la différence face aux faibles moyens des opposants.
Luc CONDAMINE