Publié le 22 mars 2013 à 2h00 - Dernière mise à jour le 10 août 2023 à 10h43
L’urgence de faire émerger une filière industrielle
Le président de la communauté urbaine, Eugène Caselli, le PDG du chantier naval Marseille Fernandino Garré, le président de l’association Riviera Yachting Network Laurent Falaize et le chef de projet Navire du Futur au pôle Mer Paca, Christophe Avellan, ont débattu ce jeudi sur le thème « La filière industrielle de la réparation navale et l’engagement de MPM ». Une table ronde qui a permis de dresser un état des lieux des forces et des faiblesses de l’aire marseillaise en la matière.
« Aujourd’hui, la grande crise qui traverse l’économie mondiale et notamment l’Europe confirme l’urgence de refonder une stratégie industrielle. » Difficile de ne pas partager ce constat dressé par Eugène Caselli, président de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM), ce jeudi 21 mars lors de la table ronde sur le thème « La filière industrielle de la réparation navale et l’engagement de MPM », qui s’est tenue dans la matinée au salon nautique à flot « Les Nauticales » de La Ciotat. Car deux chiffres suffisent à confirmer la situation critique dans laquelle se trouve la France : 80% de l’économie hexagonale est aujourd’hui une économie de services alors que 80% des échanges mondiaux se font sur les biens industriels. Une dure réalité qui amène à la conclusion suivante : il n’existe pas de modèle économique de grand pays pouvant se développer sans industrie. Sans compter, en outre, qu’une économie sans industrie n’est plus ni dans l’export, ni dans l’innovation.
Or, l’industrie est l’un des trois leviers majeurs de la politique économique mise en œuvre par la communauté urbaine MPM, avec l’économie de la connaissance, qui constitue « les emplois de demain » comme le souligne Eugène Caselli, et le secteur du transport logistique. Et en matière d’industrie de réparation navale, l’aire marseillaise ne manque pas d’atouts puisqu’elle abrite déjà deux têtes de pont. Tout d’abord, sur le territoire du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), le chantier naval Marseille, filiale des chantiers San Giorgio de Gênes qui exploite les formes de radoub 8 et 9. Et qui exploitera, à partir de 2015, au sein d’un consortium, la forme 10, la plus grande de Méditerranée. Cette première tête de filière est spécialisée dans la réparation navale dite lourde, pour l’heure essentiellement la réparation des navires de croisière. L’aire marseillaise abrite aussi un pôle d’excellence de réparation navale de grande plaisance à La Ciotat, animé par le réseau d’entreprises Riviera Yachting Network.
« Il fallait changer de stratégie »
Présent pour la première fois en France, Fernandino Garré, PDG du chantier naval de Marseille, a profité de cette table ronde pour détailler la stratégie de son groupe dans les bassins marseillais. « Nous avons entrepris de venir en 2010 à Marseille pour gérer les formes 8, 9 et 10 car nous avons vu les infrastructures merveilleuses que vous avez ici. Pour nous qui possédons un siècle d’expérience de réparation navale à Gênes, il s’agissait d’une grande opportunité », rappelle-t-il. Mais après avoir remporté l’appel d’offres lancé par le GPMM, il a fallu remédier à la situation d’échec dans laquelle se trouvait le chantier. San Giorgio a en effet repris l’exploitation des formes 8 et 9 suite à la liquidation judiciaire en 2009 de l’Union naval Marseille, filiale de l’Union naval de Barcelone appartenant au groupe Boluda, qui avait elle-même été créée en 2006 suite à la reprise de l’ex-Compagnie Marseillaise de Réparation (CMR). « Il fallait changer de stratégie pour retrouver une situation normale. On a essayé de réformer les rapports avec nos fournisseurs pour retrouver un rythme infernal car, pendant trois ans, il n’y avait pas eu d’activité », explique Fernandino Garré.
Une stratégie que le chantier naval Marseille a imaginée en deux temps. « Tout d’abord, pendant trois ans, il faut travailler sur les réparations de gros navires passagers, avec une grosse flexibilité pour satisfaire les besoins de nos clients », précise le PDG. Une activité qui monte en charge puisqu’après avoir réalisé un chiffre d’affaires d’environ 15 M€ la première année, il a atteint 20 à 22 M€ la deuxième année. « Il reste encore deux ans avant d’avoir la forme numéro 10. Nous allons les utiliser pour faire connaître notre produit et préparer ce défi sur la plus grande forme de Méditerranée. Avec les formes 8, 9 et 10, on table ensuite sur un chiffre d’affaires d’environ 40 M€, uniquement pour la réparation navale », poursuit-il.
« A la recherche de nouveaux marchés »
L’exploitation à partir de 2015 de la forme 10, rare par ses dimensions – 485 m de long sur 65 m large et 17 m de profondeur – et la seule capable d’accueillir en Méditerranée les navires de plus de 300 m, devrait en effet booster l’activité du chantier. Mais les projets de San Giorgio à Marseille ne se limitent pas à cette perspective. « En ce moment, le marché principal, ce sont les navires de croisière. Or, ils génèrent une activité de réparation saisonnière, l’hiver quand ils s’arrêtent. Nous sommes donc à la recherche de nouveaux marchés pour avoir de l’activité le reste de l’année. Nous avons ciblé deux marchés, les bateaux off-shore et les gaziers qui constituent des opportunités considérables et pour lesquels nous avons des compétences », révèle Fernandino Garré.
Le chantier naval de Marseille vise aussi une autre niche de marché, celle des gros travaux de transformation des navires qui vont au-delà des seules réparations. Un marché qui peut se révéler très lucratif comme l’atteste l’expérience de San Giorgio sur son site de Gênes. « Pour le Costa Romantica de Costa Croisières, nous avons généré un chiffre d’affaires de 90 M€ en trois mois. On a employé 1 200 personnes qui travaillaient chaque jour sur le bateau », rappelle-t-il. Cette activité pourrait être dopée à Marseille par la présence de STX France – aux côtés des constructeurs italiens San Giorgio et Mariotti – au sein du consortium qui sera chargé d’exploiter la forme 10 en 2015. Le constructeur français, dont dépendent les chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire, est en effet l’un des leaders de la construction des méga navires. « Nous, on fait de la réparation navale : c’est une activité très flexible où il faut être très rapide dans les décisions. STX est une entreprise beaucoup plus grande. Notre objectif est de faire avec eux de la réparation dans une voie intermédiaire entre la réparation et la transformation. C’est une collaboration commerciale, sur la façon de faire les travaux, qui pourrait être très fructueuse pour les deux sociétés. D’autant que STX, qui aura la possibilité de suivre la vie d’un bateau, n’a pas de gros débouchés en Méditerranée : cette collaboration pourra donner de nouveaux fruits », détaille Fernandino Garré.
« Il faut pouvoir s’appuyer sur un réseau de sous-traitants »
Bien entendu, il faudra au préalable stabiliser et pérenniser l’activité du chantier avant de pouvoir se lancer dans des travaux à l’envergure de ceux du Costa Romantica à Gênes. Mais ce n’est pas pour autant qu’une question de temps. « Il ne s’agit plus d’avoir des chantiers qui emploient directement des milliers de personnes, il faut pouvoir s’appuyer sur un réseau de sous-traitants. Dès qu’on aura créé un réseau de sous-traitants, pas seulement sur Marseille mais aussi sur la zone de Toulon, on pourra faire mieux et accueillir de gros travaux de transformation, pas seulement de réparation », souligne-t-il avant de préciser « qu’il y a encore beaucoup à faire ». « Il faudra encore du temps pour réaliser ce que l’on a fait à Gênes, Marseille en a un peu perdu. On travaille déjà avec plusieurs fournisseurs. Le problème, c’est que les entreprises ne sont pas grandes. Pour les faire croitre, il faut leur donner du travail continuellement. Or, le marché actuel est très difficile. On essaye d’avancer pas à pas », explique le PDG.
Pour alimenter ce réseau de sous-traitants, le chantier naval Marseille pourrait d’ailleurs créer des synergies avec l’activité du pôle de réparation de grande plaisance de La Ciotat car « les travaux généraux sur les gros yachts ressemblent de plus en plus à ceux réalisés sur les bateaux de croisière ».On peut donc imaginer qu’un même fournisseur soit susceptible de posséder la double compétence, ce qui permettrait de l’alimenter abondamment en travaux afin qu’il assure, lui aussi à son niveau, sa pérennité et son développement.
Un message reçu 5 sur 5 par Laurent Falaize, président de l’association Riviera Yatching Network. « La Ciotat ne pourra être fort que si le pôle de La Seyne-Toulon (NDLR : où DNCS, l’ex-Direction des constructions navales, est un pôle de référence en matière de construction et de réparation de navires militaires) et de Marseille sont forts. C’est le maillage du territoire qui fait la force du réseau. Il faut mutualiser pour avoir un gros réseau de sous-traitants. On vit de la mondialisation : ne créons pas notre propre concurrence sur notre territoire », martèle-t-il.
« A nous de nous positionner sur la qualité »
Car le marché de la réparation navale de grande plaisance est plus que jamais concurrentiel en ces temps de crise, avec une concurrence venue notamment d’Italie et d’Espagne. « Aujourd’hui, il y a une concurrence sur les coûts. Nous perdons des bateaux, ce qui est logique quand cela coûte -20% ailleurs. Alors il faut se poser les bonnes questions : on défend des emplois, la pérennité de nos entreprises, des familles. A nous de nous positionner sur la qualité, même si nos concurrents le font aussi, en misant sur la sécurité du plan d’eau, nos démarches, nos approches, notre accueil et en garantissant le service après-vente », précise Laurent Falaize.
Une approche qui a conduit Riviera Yatching Network à se rapprocher du pôle de compétitivité Mer afin de privilégier l’innovation pour « arriver à créer un label d’excellence ». Et le pôle Mer s’est inscrit dans le programme Océans 21 qui vise à renforcer la compétitivité de la filière industrielle navale française, en particulier des PME. Doté de 17 M€, financé par Oséo et les Régions Paca, Pays de la Loire et Bretagne, Océans 21 poursuit quatre objectifs. « Il faut tout d’abord définir une stratégie de filière : aujourd’hui les filières ne se parlent pas vraiment. Il faut développer un esprit pour que la filière française soit plus visible. D’autant qu’avec un champ de grande plaisance, un champ de construction navale militaire (DCNS), un constructeur de navires de croisière (STX), la France est un des champions mondiaux », indique Christophe Avellan, chef du projet Navire du Futur au pôle Mer Paca.
Le programme vise aussi à renforcer le développement à l’international des PME et ETI (Etablissements de taille intermédiaire) – « on ne sait jamais comment décliner cette compétence à l’international alors que les acteurs étrangers se regroupent rapidement en consortium » -, tout en assurant le maintien des compétences. « Aujourd’hui, la filière est peu attractive, les gens ont du mal à former », observe-t-il. Océans 21 vise enfin à développer des modes de travail collaboratifs. « On a déjà constitué des groupes de travail. On va se rapprocher des bassins d’emploi pour les faire adhérer à la démarche. C’est un travail sur 3 ans mais d’ici fin avril, on aura déjà des propositions à formuler », précise Christophe Avellan.
Le Navire du Futur, plus économique et plus propre, est l’autre grand chantier du pôle Mer, où il tente de doper l’innovation dans la lignée du Grenelle de la Mer en 2009. Sur le premier d’appel d’offres de 100 M€, dont 80 restent à répartir, « il y a des projets localisés en Paca », révèle le chef du projet au pôle Mer Paca.
« Un technopôle de la mer » sur le port de Marseille
Malgré les quelque faiblesses observées, Laurent Falaize ne manque pas de rappeler les atouts de la région. « La Ciotat est aujourd’hui un pôle dominant avec une spécificité de métiers unique sur un même site. Et nous sommes particulièrement attractifs en étant à une heure de navigation des plans d’eau qui sont demandés par les propriétaires de ces navires de grande plaisance », souligne-t-il.
Un optimisme partagé par Eugène Caselli. « Entre 2013 et 2015, une dizaine de navires de plus de 310 m vont être construits dans le monde. En Méditerranée, il n’y a pour l’heure rien pour les traiter. C’est tout l’intérêt de la forme 10 car aujourd’hui ils vont soit dans les Caraïbes, soit ailleurs, ce qui génère un coût de 50 000 € par jour d’immobilisation. Quant à la flotte mondiale des grands yachts, elle a augmenté de 20% en 8 ans et 60% de la circulation se fait en Méditerranée. C’est un vrai marché qui est ouvert et on va y répondre », assure le président de MPM. Une réponse qui prendra notamment la forme de lourds investissements sur le site de La Ciotat : « 43 M€ vont être investis par les collectivités locales, la Région, le conseil général, MPM et la ville de La Ciotat Il y aura bientôt un élévateur de 20 000 tonnes, on va convertir la grande forme pour 18 M€, sans oublier la réfection du bateau-porte. L’extension du site va générer le double d’emplois, passant de 500 à 1 000 », indique Eugène Caselli.
Le président de MPM se réjouit aussi « de la porosité entre les activités maritimes et les activités de la ville » qui existe désormais à Marseille, ce qui s’est traduit par la signature de la convention ville-port. « Sur des espaces non utilisés, on peut faire autre chose qui soit un support des activités industrielles », note-t-il. Et de plaider pour la création sur le port de Marseille d’« un technopôle de la mer où on enseignerait tous les métiers de la mer et qui serait dédié à la recherche fondamentale en matière marine ». « Je ne connais qu’un seul centre de ce type, à Québec. Ce serait attractif et créateur d’emplois pour Marseille », précise-t-il.
Avant de conclure : « Nous devons créer une grande filière industrielle de réparation navale lourde et de grande plaisance. Nous avons tous les atouts pour le faire avec le plus grand port en eau profonde de Méditerranée. Marseille et son territoire doivent prendre toute leur place dans ce projet. »
Serge PAYRAU