Retour sur… Marseille. Méditerranée du futur acte VI : une macro-région pour gérer le macro problème de l’eau (2/2)

L’eau et la macro-région ont été au cœur des débats de la 6e édition de Méditerranée du futur qui s’est tenue à Marseille, au moment de la venue du Pape. Un projet de macro-région qui a obtenu le soutien des  présidents de région présents, Renaud Muselier  Provence -Alpes-Côte d’Azur, Carole Delga Occitanie, Nanette Maupertuis la Corse, ou représentés, comme Père Aragonès par Meritxell Serret pour la Catalogne. Un projet également soutenu par les représentants des régions d’Andalousie, Calabre, Toscane mais aussi de Jezzine (Liban).

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La macro région était l’objet de la première des deux tables rondes. Un dossier présenté par François Alfonsi au Parlement européen, le 9 mai 2023. Il demandait alors à l’Union Européenne d’activer une stratégie macro-régionale. Le Parlement Européen a voté à une très large majorité (564 voix pour, 14 contre ce document). François Alfonsi précise : « Depuis, avec l’appui de Nora Mebarek (rapporteur pour avis en Commission Pêche), et de Younous Omarjee, Président de la commission Regi  qui a porté cette initiative, une démarche chemine pour que ce projet se concrétise ». Il devait par ailleurs insister sur le fait que « la stratégie macro-régionale est un outil des politiques européennes qui peut être ouvert aux pays du voisinage non européens. Ainsi en Mer Baltique, la Norvège et la Russie participent eux aussi ; dans les Alpes, la Suisse est membre à part entière ; et, en Méditerranée, le projet est d’entraîner les pays et entités administratives du sud et de l’Est dans l’action commune ». Surtout, poursuit-il:  «Cette macro-région est un outil qui permet de mobiliser des moyens économiques mais aussi politique à la Méditerranée alors que l’état des lieux est préoccupant : la population augmente, notamment sur les zones côtières ; nous avons la première destination touristique au monde et par la Méditerranée transite plus de 20% du commerce maritime mondial. Ensuite cette zone connaît le développement des pollutions, comme celle, préoccupante, du plastique. Et, en Méditerranée, l’impact du réchauffement climatique sera accru de plus de 20% par rapport à la moyenne européenne ». Face à cela il importe, pour François Alfonsi, « de penser les politiques du futur et c’est à cela que nous devons nous engager. Ce qui nécessite plus de fonds et plus de coopération ». Il rappelle : « La Méditerranée  c’est plus de 250 millions d’habitants dont plus de la moitié vit dans l’Union européenne qui doit donc être responsable de cette politique».

« Construire ensemble le devenir de la Méditerranée »

Pour Mertixell Serret, ministre Catalogne : « Il s’agit d’une opportunité pour partager les défis mais aussi les solutions, les bonnes pratiques, pour construire ensemble le devenir de la Méditerranée ». Cette macro-région, poursuit-elle: « doit porter sur des projets concrets autour de l’eau». Préconise : « Si nous mettons en place une coopération multi-niveaux avec les acteurs locaux, régionaux, et que nous avançons sur le dossier de l’eau nous avancerons aussi sur la transition énergétique, numérique…»  Mertixell Serret considère : « Il faut rapprocher nos sociétés de notre action et que les solutions que nous allons construire s’adaptent à la situation de chaque pays ».

Khalil Harfouche, président de l’Union des municipalités de Jezzine, au Liban, indique à son tour que la situation s’aggrave en Méditerranée « et, sur la rive Sud des pays ont pris des mesures, mais elles ne sont pas suffisantes et d’autres n’ont pas les moyens de les prendre. Le Liban, par exemple, a pris des mesures mais n’a pas les moyens de les mettre en œuvre. Nous attendons un soutien des pays européens ». Et d’attendre de la macro région qu’elle devienne « une plateforme de coopération ». Khalil Harfouche soulève un autre problème : « le Liban souffre de migration de la Syrie. Nous étions à 508 habitants au km et nous sommes passés à 820 avec les Syriens ».

Marie-Antoinette Maupertuis, présidente de l’assemblée de Corse considère: « Il est nécessaire d’intégrer les collectivités locales et régionales dans tout processus méditerranéen ». Constate qu’ «il y a eu de nombreuses déclarations, une volonté d’avancer et, très souvent, on a été confrontés à des difficultés géopolitiques ou géostratégiques. Mais, aujourd’hui il n’est plus temps pour les tergiversations. Nous en sommes à nous demander si nos enfants auront de l’eau. Alors il est absolument nécessaire d’avoir, au-delà des programmes existants, un programme opérationnel, un cadre d’actions collectives pour régler les problèmes qui vont se jouer et ne peuvent être réglés par un seul pays car nous sommes face à des défis globaux ».

Pour Leonardo Marras, vice-président de la région Toscane : « La Méditerranée est une seule mer avec une seule rive qui produit beaucoup d’inégalités, nous devons nous en occuper, les réduire. Si nous n’allumons pas des lumières nous ne laisserons que les ténèbres. Alors, allumons des lumières, impliquons les citoyens pour construire des ponts plutôt que des murs ».

« Plus de coopération entre les États »

Entre les deux tables-rondes de la manifestation c’est autour du vice-amiral Pascal Ausseur, directeur général de l’institut  Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) de prendre la parole. Son constat est grave : « Le rapport entre les États n’a jamais été aussi mauvais depuis 45 ans. Alors comme le disait Gramsci, il faut allier au pessimisme de l’intelligence l’optimisme de la volonté », d’autant que, pour lui, au-delà des tensions : « Il y a quelque chose de plus spirituel qui réunit les peuples autour de la Méditerranée ». Il signale cependant: « Notre planète ne va pas si bien. Elle est fragmentée. Il y a une rupture entre les populations, les communautés humaines au sein des États et des oppositions entre États qui font suite à des décennies de convergence ». Ces divisions, ces tensions, arrivent alors que « les enjeux transverses que nous connaissons nécessiteraient plus de coopération entre les États ». Et plutôt que d’aller dans le sens d’une coopération accrue « la Méditerranée est un concentré de frustrations, du ressentiment, des tensions. Les États Nations sont en fragilité. Et les pénuries, les pandémies vont accroître les risques d’explosion et de durcissement sécuritaire ». Cela d’autant plus que « les tensions du bassin méditerranéen sont enserrées dans un réseau de tensions : Sahel, Soudan, Éthiopie, Russie, Ukraine, Azerbaïdjan… Le champ de force mondial s’est considérablement durci ».  Touché mais pas coulé, le vice-amiral invite « à ne pas baisser les bras ». Pour lui, il faut « acter nos différences, identifier nos intérêts communs afin de les promouvoir ». Il ne manque pas d’inviter à bien mesurer  que «notre capacité à cohabiter en paix est en jeu, notre capacité à survivre est en jeu ». Dans ce contexte, il juge : « La macro-région sur des sujets concrets, partagés, correspond à ce que l’on doit faire dans cette  région et le sujet de la gestion de l’eau équivaut à cela ».

« Quand les ressources en eau sont rares et transfrontalières cela peut conduire à des tensions, des conflits locaux et régionaux »

L’eau est justement le thème de la deuxième table ronde « Quand les ressources en eau sont rares et transfrontalières cela peut conduire à des tensions, des conflits locaux et régionaux. La coopération est donc importante. » C’est ce qui a conduit à la création de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OVMS). Pour Mohamed Abdel Vetah, haut-commissaire de l’OVMS indique: «Cette  organisation intergouvernementale de développement a été créée le 11 mars 1972 à Nouakchott par le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, en vue de gérer le bassin versant du fleuve Sénégal, bassin qui s’étend sur une surface de 289 000 km². Tous ces partenaires travaillent en commun avec le désir de construire un avenir commun à travers la gestion concertée des ressources en eau au profit de nos populations ». Outre l’eau cette organisation fournit «une énergie propre, 40% de celle du Mali, 30% en Mauritanie et plus de 10% du Sénégal et de grands projets sont en cours pour fournir encore plus d’énergie ». Quand on lui demande si cette organisation n’est pas menacée par les effets du changement climatique Mohamed Abdel Vetah répond : « Quand on a défini les problèmes, qu’on a réalisé des projets quand il y a du riz dans la marmite celui qui va essayer de la renverser aura des problèmes ». Il ajoute : « Il y a des barrages, de l’agriculture, une commission permanente des eaux qui arbitre entre les différents usages et toujours dans le consensus ».

Frida Krifca, ancienne ministre albanaise, présidente du conseil d’administration du Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (Ciheam) qui est une organisation intergouvernementale méditerranéenne composée de 13 États membres (Albanie, Algérie, Égypte, Espagne, France, Grèce, Italie, Liban, Malte, Maroc, Portugal, Tunisie et Turquie). Elle précise que «cette structure est consacrée à l’agriculture durable, la sécurité alimentaire et nutritionnelle et au développement des territoires ruraux et côtiers

« L’eau est cinquante fois plus chère dans les quartiers pauvres que dans les quartiers riches »

Fatimetou Mint Abdel Malik est présidente de la région de Nouakchott. Elle rappelle que « cette ville est entre la mer et le désert. Elle est menacée par le manque d’eau et par les inondations, d’autant qu’une partie du périmètre urbain se trouvait en zone inondable. Il faut ajouter qu’il n’y a pas de réseau d’assainissement, le tout conjugué au changement climatique constitue une menace pour la vie ». Elle signale également « l’eau potable arrive de deux zones, une située à 60km de la ville l’autre à plus de 200. Et plus de 30% de la population de Nouakchott – ville qui accueille 1/3 de la population mauritanienne- n’a pas accès à l’eau. L’eau coule vers les riches ce qui fait que l’eau est cinquante fois plus chère dans les quartiers pauvres que dans les quartiers riches ».

Mohammed Mahmoud, président du Conseil régional du Brakna, en Mauritanie, région frontalière avec le Sénégal, longe le fleuve du même nom. Il indique l’importance des travaux de l’OMVS pour sa région et insiste  : « Le problème de l’eau devient mondial et la seule solution réside dans la coopération ». Serge Meyssonier, président de l’Institut Méditerranéen de l’eau met en exergue l’importance « de connaître la problématique de l’eau dans le Sud car cela va nous arriver et nos amis du Sud savent mieux gérer la pénurie que nous alors que nous savons qu’il va non seulement moins pleuvoir mais plus fortement  ce qui fait que l’eau ne pénètrera pas dans la terre ».

Franck Galland, directeur d’Environmental Emergency and Security évoque la situation au Maroc et en Syrie. « Au Maroc Hassan II a lancé une grande politique de l’eau en réalisant 13 barrages mais cela aujourd’hui ne suffit plus, ils ne sont plein qu’à 30, 40%. Une nouvelle politique hydraulique s’imposait ce qui a conduit Mohamed VI a affiché deux priorités l’innovation et l’eau ce qui fait qu’aujourd’hui le pays dessale et traite les eaux usées. La Syrie , avant le conflit, voyait sa population connectée à un réseau municipal- 98% en milieu urbain, 92% en milieu rural- mais, après les destructions massives d’infrastructures que le pays a connu moins de 50% de la population a aujourd’hui accès à l’eau ». Et de constater : « Si on veut répondre à cet enjeu majeur que représente l’eau il faut de la compétence pour faire de la maintenance préventive et curative sur les ouvrages, il faut de l’investissement donc et du savoir-faire humain et c’est là où on voit l’importance des conflits. Il faut ainsi savoir que 40% des ingénieurs syriens ont quitté le pays ».  Or, ajoute-t-il : « Avec le vieillissement de la population nous risquons de manquer de compétences, notamment en matière de techniciens ».

« La disponibilité de la nourriture sur terre est assurée en grande partie par le bon vouloir de la pluie… »

Le docteur Raoudha Gafrej alerte : « La planète n’a qu’un cycle mondial de l’eau. La coopération transfrontalière ne suffit donc pas et l’accord de Paris est lui aussi insuffisant car le problème principal du changement climatique c’est l’eau ». Elle met notamment en avant : « On parle de l’eau bleue, stockée dans les barrages et le sous-sol mais la production agricole se fait à 60% dans le domaine pluvial c’est-à-dire que la disponibilité de la nourriture sur terre est assurée en grande partie par le bon vouloir de la pluie… ».

Malek Semar est entrepreneur, fondateur de « No Water no US ». Il explique sa démarche : « La normalité économique veut que l’entrepreneur considère l’argent comme la priorité de l’entreprise sauf que l’eau c’est la vie et donc j’envisage l’argent comme une conséquence d’une bonne action. Tous les modèles sur lesquels on travaille sont donc d’abord réfléchi pour être viable d’un point de vue sociétal et environnemental et, ensuite, on fait l’effort de chercher un modèle économique.» Pour lui l’eau est là, elle est même là depuis 4 milliards d’années : « Le verre est plein mais l’eau est sale. 80% des eaux usées de la planète sont rejetées dans la nature sans aucun traitement. Et peu de personnes meurent du manque d’eau mais des millions meurent parce qu’elles consomment une eau insalubre ». Alors pour Malek Semar : « Si les solutions au problème de l’eau sont locales la gouvernance doit être mondiale ».

Pour sa part, afin de traiter les eaux usées sans gros travaux il a transformé des containers en station d’épuration. « Nous visions au départ des chantiers, des camps de réfugiés, des bases militaires… Puis la tempête Alex est passée. La station de Roquebillière, dans la vallée de la Vésubie a été emportée et notre dispositif a été choisi pour la remplacer ». Il ajoute « Ce dispositif nous voulons qu’il nous rapporte de l’argent mais qu’il en rapporte aussi à l’acheteur en lui offrant la possibilité de valoriser les boues de sortie pour faire du bio compost ou de l’énergie ». Et, pour entraîner les populations à économiser l’eau, Malek Semar s’engage dans les domaines de la culture et du sport. « Nous avons créé un spectacle « L’eau mais » représenté dans 9 pays africains et labellisé « Saison Africa 2020 » et nous soutenons le sport. Nous avons des jeunes qui sont en train de parcourir 100 000 km à vélo, à travers 20 pays, pour sensibiliser à l’eau et nous préparons l’Everest, pour l’an prochain avec des alpinistes.»

Michel CAIRE

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