Publié le 5 août 2015 à 12h31 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h30
Chaque année, depuis 22 ans, «Musique à l’Empéri» devient le haut lieu de la musique de chambre. Les fondateurs de ce festival, le clarinettiste Paul Meyer, le pianiste Eric Le Sage et le flûtiste Emmanuel Pahud conviant, dans la ville de Nostradamus, leurs collègues chambristes pour deux semaines de petite(s) musique(s) nocturne(s), dans la cour du médiéval château de l’Empéri qui domine Salon-de-Provence, avec un prélude, à 18 heures, sous les voûtes de l’église Saint-Michel. Au sein d’une programmation fort riche et éclectique puisque Bach y côtoie Dutilleux, Mozart y fréquente Escaich et Dvorák y rencontre Virginia Guastella, il fallait faire un choix. Avouons que la présence de Thierry Escaich nous a facilité la décision et nous sommes montés au château lundi et mardi soir.
Lundi, c’est Mozart qui ouvrait le ban avec le quintette pour piano et vents en mi bémol majeur. Une interprétation tout en nuances et de belle facture signée François et Paul Meyer (hautbois et clarinette) Julien Hardy, basson, Jimmy Charitas, cor et Eric le Sage, piano. Un «amuse-oreilles» des plus agréables avant la pièce maîtresse, à notre sens, du programme, le sextuor pour piano et vents «Mecanic song» de Thierry Escaich. L’après-midi, ce dernier avait dirigé la répétition avec passion et bonne humeur devant les caméras de France 3. Le soir, c’est depuis les coulisses qu’il a apprécié l’interprétation de son œuvre par Paul et François Meyer, Eric le Sage, Benoît de Barsony au cor, Emmanuel Pahud à la flûte et Gilbert Audin au basson. Une pièce terriblement sombre écrite par Escaich pour ces mêmes interprètes qui, nous a confié ce dernier, devraient l’enregistrer l’année prochaine.
Un grand moment de musique de notre temps, modèle de composition, dont les musiciens ont parfaitement mis en relief la densité par leur interprétation puissante, précise et lumineuse. Le public a apprécié, tout comme Thierry Escaich venu recueillir sur scène sa part du succès. Il n’allait d’ailleurs pas quitter cette scène pour interpréter son «Duo» orgue et percussions en compagnie d’Emmanuel Curt. Un dialogue passionnant et passionné entre deux musiciens rompus à l’exercice. Trop court dialogue, au demeurant, tant il fut apprécié. Comme quoi lorsqu’elle est judicieusement programmée et excellemment jouée, la musique contemporaine séduit. Pour terminer cette soirée, après la pause, c’est le quintette pour piano et cordes «La Truite» de Schubert qui allait emporter tous les suffrages. Il faut dire que la prestation de Deborah Nemtanu au violon, Marie Chilemme à l’alto, Raphaël Perraud au violoncelle, Olivier Thiery à la contrebasse et Frank Braley au piano, fut exceptionnelle. Couleurs, nuances, précision, joie de jouer : rien ne manquait, pour notre plus grand bonheur. Il est vrai, comme nous l’avons écrit dans le titre, que se trouvait sur scène « le gratin » de la musique de chambre, tout au moins quelques interprètes qui sont aujourd’hui incontournables pour qui veut monter un festival digne de ce nom.
Le show Escaich et super Dvorák
La soirée de mardi fut exceptionnelle, à la hauteur de ses devancières… Et pourtant les mélomanes ne se sont pas bousculés au portillon. Comme d’habitude, les absents ont eu tort. Tort parce que le programme concocté par la direction musicale proposait découvertes et valeurs sûres. Un divertissement, Chanson et danses pour vents, de Vincent d’Indy, pour débuter. Composée en 1898, cette pièce offre, entre virtuosité et délicatesse, un terrain d’expression hors du commun aux instrumentistes. Emmanuel Pahud (flûte), François Meyer (hautbois), Paul Meyer et Calogero Palermo (clarinette), Jimmy Charitas (cor), Gilbert Audin et Julien Hardy (basson) s’y sont engagés à cœur ouvert pour notre plus grand bonheur. Plus austère, ensuite, l’interprétation de Parties diverses pour quintette à vent de Virginia Guastella, jeune (36 ans) compositrice palermitaine qui assistait à ce concert. Le show Escaich pouvait ensuite débuter. En grande forme, l’organiste retrouvait le clarinettiste Paul Meyer pour sa Tanz fantaisie, une composition intense où les deux instruments s’unissent dans un face à face sans temps mort donnant aux musiciens l’occasion de faire valoir leur technique et leur virtuosité. Technique, virtuosité, mais aussi vivacité et génie chez Thierry Escaich qui enchaînait avec une improvisation sur un thème symphonique qui n’était autre que la 9e de Dvorák et sa célèbre Symphonie du Nouveau monde. Que dire, qu’écrire à l’issue de la prestation de l’organiste? Si ce n’est de déverser sur scène un filet revenu d’une pêche aux superlatifs. Passé maître dans l’art de la fugue (qu’il enseigne avec la composition au CNSM de Paris) Thierry Escaich tisse sa composition autour du motif en usant de tous les moyens offerts par son instrument et de son extraordinaire palette harmonique. C’est brillant, intelligent, surprenant et plaisant. Tant et si bien que certaines personnes du public, après cette interprétation, avouaient que cette prestation leur avait donné la passion de l’orgue.
Si la découverte fut le maître mot de la première partie de cette soirée, délectation pourrait être celui de la deuxième… Car après la pause, c’est un trio d’exception, composé de Déborah Nemtanu (violon), Raphaël Perraud (violoncelle) et Frank Braley (piano) qui donnait le Trio Dumky de Dvorák. Les trois musiciens s’entendent à merveille et ont mis cette complicité au service de l’œuvre, lui donnant du relief, de la couleur, de la mélancolie, mais aussi de la passion et de la joie.
Encore un moment remarquable au royaume estival des chambristes… Même s’il ne fut pas partagé largement par le public, notre choix de venir assister à ces deux soirées à Salon-de-Provence nous a donné beaucoup de plaisir et nous ne le regrettons pas, loin s’en faut. Et pour ceux qui le désirent, il reste encore du plaisir à partager avec « Musique à l’Empéri » pendant trois soirées encore.
Michel EGEA
Au programme des trois dernières journées :
– Mercredi 5 août: à 18 heures, Église Saint-Michel, carte blanche à Raphaël Perraud, violoncelle ; Jean-Sébastien Bach Suites pour violoncelle n°3 et n°5. A 21 heures, Château de l’Empéri, Joseph Haydn Symphonie n°94 «Surprise» en sol majeur Joseph Joachim Raff Sinfonietta pour dix vents op.188 et Beethoven Symphonie n°7 (transcription pour octuor à vent).
– Jeudi 6 août: à 18 heures, Église Saint-Michel, carte blanche «new world» à Moneim Adwan avec Emmanuel Pahud, flûte et Aurelien Pascal, violoncelle. A 21 heures, Château de l’Empéri, Bohuslav Martinu Sextuor pour piano et vents H174 (1929), Heinrich Hofmann Oktett op.80, Georges Enesco Dixtuor pour vents op. 14 en ré majeur, Charles Gounod Petite symphonie pour instruments à vents.
– Vendredi 7 août : à 18 heures, Église Saint-Michel, carte blanche à Silvia Careddu, flûte. Avec Emmanuel Pahud, flûte et Maja Avramovic, violon. A 21 heures, Château de l’Empéri Wofgang Amadeus Mozart Sérénade en mi bémol version (originale) pour sextet, Erwin Schulhoff Concertino pour flûte, alto et contrebasse, Anton Dvorak Sérénade pour vents, violoncelle & contrebasse, op. 44.
Pratique: Renseignements et réservations : 04 90 56 00 82. Places en vente à l’entrée des concerts.