Publié le 6 décembre 2018 à 10h14 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 19h24
En décernant le Prix Nobel de Médecine 2018 à l’Américain James Allison et au Japonais Tasuku Honjo, deux pionniers de l’immunothérapie des cancers, le comité éponyme a également et indirectement récompensé la recherche marseillaise dans cette spécialité très prometteuse. En 1987, c’est en effet au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CIML) que le Dr. Pierre Golstein a découvert la toute première molécule, en l’occurrence CTLA-4, à l’origine de cette nouvelle famille de médicaments anti-cancéreux. Mais ce sont d’autres équipes, dont celles des deux chercheurs nobélisés, qui ont ensuite franchi les différentes étapes jusqu’à leur mise au point. Pour autant, la recherche marseillaise en immunologie reste parmi les plus prolifiques au monde et plusieurs molécules nouvelles issues de ses labos sont en passe de venir renforcer ce formidable arsenal contre le cancer que constituent les immunothérapies.
Comment agissent ces nouveaux médicaments ?
Schématiquement, ils permettent de reprogrammer le système immunitaire des patients pour qu’il reconnaisse les tumeurs cancéreuses et s’y attaque, ce qu’il semblait incapable de faire jusqu’à présent. Comme si nos défenses naturelles étaient impuissantes à identifier une tumeur comme un agresseur à éliminer, à l’image d’un virus ou d’une bactérie. Les clés pour reprogrammer ces défenses et les rendre opérantes sur les cancers, ce sont James Allison et Tasuku Honjo qui ont trouvé les deux premières. Et s’ils ont eu le Prix Nobel aussi vite, c’est parce que l’efficacité des médicaments que leurs découvertes ont permis de créer est tout simplement époustouflante. Comme nous le verrons plus loin, il est encore trop tôt pour affirmer que ces nouvelles thérapies vont enfin permettre de guérir tous les cancers, mais tout porte à croire qu’elles y contribueront. Les résultats sont déjà spectaculaires avec des cancers jusque là sans solution thérapeutique. Parmi eux, certains cancers du poumon, les mélanomes malins métastatiques, les lymphomes… autant de maladies dont le pronostic excédait rarement quelques mois avant l’avènement des immunothérapies. Désormais, le cancer de certains patients traités avec les nouvelles molécules est sous contrôle depuis des mois, voire des années pour les premiers d’entre eux, alors que leur maladie signifiait le plus souvent la mort à court terme il y a seulement cinq ou six ans.
Qu’est-ce que ces médicaments ont de réellement nouveau ?
Ce sont ce que les immunologistes appellent des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire. Pour comprendre, il faut remonter à CTLA-4, la molécule découverte par Pierre Golstein il y a trente ans. A l’époque, son équipe conduisait un programme de recherche fondamentale sur les immunoglobulines impliquées dans la fonction cytotoxique, c’est à dire la capacité d’une molécule à tuer ou à endommager une cellule vivante. Mais à l’époque, ni Pierre Golstein ni ses collaborateurs ne connaissaient la fonction de CTLA-4. Il faudra attendre dix ans pour que deux équipes distinctes, au Canada et au Etats-Unis, la mettent en évidence : cette immunoglobuline bloquait la réponse immunitaire contre les cellules cancéreuses, comme un message chimique envoyé aux lymphocytes, les soldats de notre immunité, pour qu’ils cessent de s’y attaquer. Et c’est le moyen de bloquer ce message chimique négatif que James Allison a découvert, en l’occurrence un anticorps capable de neutraliser CTLA-4. De son côté, Japonais Tasuku Honjo a découvert un autre anticorps doté des mêmes vertus, mais actif sur une autre molécule bloquante du système immunitaire, baptisée PD-1 et à l’origine d’une seconde famille de médicaments tout aussi efficaces contre les cancers, de la classe des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire.
La bonne nouvelle, c’est que plusieurs autres nouvelles molécules actives sont d’ores et déjà en phase de test, à un stade plus ou moins avancé. Elles permettent d’espérer d’autres progrès notables à court et moyen terme dans le traitement des cancers. Parmi elles, plusieurs « candidats médicaments » directement issus de la recherche française, et singulièrement marseillaise. La mauvaise nouvelle, c’est qu’à l’heure actuelle, plus de la moitié des patients traités avec les anti-CTLA-4 et les anti-PD-1 restent insensibles aux traitements. Pour ceux qui, en revanche, répondent de façon positive, l’évolution tient parfois du miracle. Dans certains cas, toute trace visible de cancer disparaît et on parvient à les stabiliser dans cette phase muette pendant des mois, voire des années, ce qui n’était que très exceptionnellement le cas avec les traitements classiques, chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie. Une partie des patients souffre néanmoins d’effets secondaires plus ou moins lourds, notamment de syndromes inflammatoires.
Quoi qu’il en soit, l’émergence de ces nouveaux traitements marquera une étape cruciale dans la prise en charge de cette terrible maladie. C’est en tout cas la conviction de la plupart des chercheurs et des oncologues qui travaillent sur et avec les immunothérapies. Pour certains d’entre eux, leur arrivée dans l’arsenal anti-cancer serait d’importance comparable à celle de la pénicilline pour la prise en charge des infections microbiennes. Selon le Pr. Eric Vivier, ancien patron du CIML et parmi les chercheurs français les plus en pointe dans ce domaine, il s’agirait même de la première vraie révolution sur le front du cancer depuis l’apparition de la radiothérapie. C’est en tout cas la première famille de thérapies à posséder un médicament approuvé pour tous les types de cancer, et non plus pour une ou deux localisations spécifiques, comme cela avait toujours été le cas jusqu’à présent. Parmi les chercheurs français les plus en pointe dans ce domaine, Eric Vivier est si enthousiaste qu’il a co-écrit (avec son confrère Marc Daëron) le premier véritable ouvrage grand public sur l’histoire de ces immunothérapies, à paraître début 2019 [[L’immunothérapie des cancers – histoire d’une révolution médicale -à partir du 2 janvier 2019- aux éditions Odile Jacob]]. Mais Eric Vivier ne se contente pas d’écrire. Il cherche aussi. Et il trouve. Dans son labo, on a notamment fait progresser la connaissance sur les lymphocytes NK (pour « natural killers », tueurs naturels en français), qui constituent l’une de ces nouvelles branches potentiellement très prolifique de l’immunothérapie anti-cancer. Innate Pharma, l’entreprise fondée à Luminy et dont Eric Vivier est le directeur scientifique, y travaille depuis plusieurs années. Les partenariats qu’elle a déjà conclus avec plusieurs grands groupes pharmaceutiques, dont le plus récent avec Astra-Zeneca, devrait rapidement déboucher sur l’approbation de nouveaux médicaments issus de cette recherche et des développements conduits dans l’entreprise.
Pour autant, même si les histoires de patients tenant du conte de fée sont désormais légion, il convient de rester prudent sur l’efficacité de leurs traitements à long terme, sur les progrès que permettront les nouvelles molécules en cours de développement, chez Innate Pharma ou ailleurs, et sur les résultats des programmes de recherche actuels et futurs, dont on ne peut guère anticiper l’issue. Il n’empêche : de nombreux médecins s’accordent désormais pour dire que l’on se dirige sans doute vers une évolution du statut du cancer, qui pourrait devenir une maladie chronique contrôlée au long cours, comme l’est devenu le Sida avec les trithérapies, et non plus une maladie mal maîtrisée et trop souvent mortelle, selon le type de cancer, la localisation des tumeurs et le stade auquel elles sont dépistées. Pour la première fois dans l’histoire de la médecine, une voie thérapeutique nouvelle semble donc capable de tenir le cancer à distance, sinon de le guérir pour de bon. En soi, c’est déjà une révolution.
Hervé VAUDOIT