Publié le 4 mars 2015 à 23h30 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h42
Une équipe marseillaise est impliquée dans une avancée majeure pour la prévention du VIH/Sida. En effet, les résultats de l’essai ANRS IPERGAY visant à démontrer l’intérêt du traitement préventif par le Truvada à la demande viennent d’être annoncés à la conférence américaine sur le rétrovirus à Seattle.
Cet essai ANRS coordonné par le Pr Jean-Michel Molina et dont les résultats ont été présentés, pour la première fois, à Seattle, a impliqué les chercheurs de la région Paca. L’équipe de l’Unité Mixte de recherches (Université d’Aix-Marseille, Inserm, IRD) SESSTIM (Sciences Économiques et Sociales de la Santé et Traitement de l’Information Médicale) à Marseille ayant été chargée d’analyser l’observance et les comportements sexuels des participants de cet essai.
C’est dans les locaux de l’Observatoire régional de la santé que le docteur Bruno Spire directeur de recherche Inserm, responsable de l’équipe ESSEM-Environnements et du SESSTIM et le Professeur Jean-Paul Moatti, directeur du SESSTIM, ont présenté cette expérience qui a été conduite avec des centres hospitaliers de Paris, Nice, Nantes, Lille, Lyon et Montréal.
L’essai proposait d’abord à des participants homosexuels masculins à haut risque d’infection (rapports non protégés et multi-partenaires) un ensemble de mesures de prévention : «Conseils individualisés, distribution de préservatifs et de gel, dépistages répétés du VIH, dépistage et traitement des autres infections sexuellement transmissibles, vaccination contre l’hépatite A et B. Ce sont les militants d’Aides qui ont fait venir les gens, les ont accueillis, accompagnés. Sans Aides, il aurait été très difficile d’effectuer cet essai, puisque nous avons travaillé avec des gens qui n’étaient pas malades, ne fréquentaient pas les hôpitaux».
«Ce traitement marche mieux quand on le prend à la demande»
Le docteur Bruno Spire poursuit: «Nous avons travaillé avec 400 personnes, la moitié a reçu du Truvada, l’autre un placebo, sachant qu’au départ l’expérience devait porter sur 2 000 personnes. Jusqu’à présent la seule utilisation en continu de ce médicament, auparavant utilisé pour le traitement des personnes déjà infectées par le VIH avait démontré une certaine efficacité pour la prévention du VIH chez des personnes non infectées mais exposées au risque. Mais les gens, au bout d’un moment se lasse. Pourquoi prendre quotidiennement un médicament alors que l’on n’est pas malade? Là, la différence, c’est que le médicament est utilisé deux heures avant un rapport à risque puis, le lendemain et encore le surlendemain. Et la grande avancée de cette essai c’est que ce traitement marche mieux quand on le prend à la demande». Une analyse intermédiaire a été réalisée révélant que 16 personnes ont été contaminées, 14 dans le groupe qui recevaient le placebo, 2 dans celui qui avait le Truvada. «Deux personnes qui avaient pris le traitement trois semaines avant un rapport à risque. Le résultat est tel que l’essai se poursuit mais tout le monde est maintenant au Truvada».
Le Pr. Jean-Paul Moatti avance : «C’est l’essai qui propose la stratégie la plus pragmatique qui apporte les résultats les plus spectaculaires. Un essai qui a vu travailler en commun des équipes de sociologues et du bio-médical. Ce croisement des données médicales et comportementales est notre marque de fabrique à Marseille. Sans oublier, dans cet essai, le fait qu’il s’est agi d’une recherche véritablement communautaire, associant directement les chercheurs et les personnes atteintes, dans sa conception et sa réalisation». Il rappelle à ce propos que Le docteur Bruno Spire est à la fois chercheur et président de l’association Aides.
«Il n’y a pas eu de désinhibition comportementale des participants»
Le Pr. Moatti revient sur l’importance de la participation d’Aides. «Nous vivons dans une société tellement moralisatrice qu’il est difficile de prendre conscience que l’on est dans des pratiques à risque. Et se retrouver face à des militants qui ne jugent pas, ne sont pas dans la culpabilisation mais, expliquent que pour eux aussi c’est dur, a aidé à franchir le pas. Ensuite, un débat existe dans la communauté scientifique : est-ce qu’un tel médicament ne va pas développer les pratiques à risque? Or l’essai a mis en avant le fait qu’il n’y a pas eu de désinhibition comportementale des participants, à savoir que la proportion de rapports sexuels protégés par un préservatif mesurée lors du dernier rapport sexuel est restée stable tout au long de l’essai». Le Dr. Spire d’ajouter que le traitement a été bien toléré et n’a pas engendré plus d’effets secondaires graves que le placebo, provoquant légèrement plus d’effets indésirables, probablement liés au traitement, de type gastro-intestinaux : 13% avec Truvada, 6% avec placebo.
Reste à savoir quand ce médicament pourra être utilisé à titre préventif ? Le Pr Moatti avance: «Voilà des années que je déplore que les politiques de santé ne soient pas suffisamment fondées sur les connaissances médicales. J’espère que dans ce dossier la Ministre et les autorités me feront mentir». «Nous réclamons, poursuit le Dr Spire, une reconnaissance temporaire d’utilisation pour étudier les risques : comportement, effets secondaires. Si cette évaluation se met en place c’est nous qui devrions en être chargés».
Michel CAIRE