Publié le 21 juin 2015 à 23h00 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h44
Plus de 350 personnes venues de 13 pays ont participé, à la Villa Méditerranée, à la première édition du colloque Secem (Sécurité Économique et Compétitivité des Entreprises en Méditerranée) qui s’est articulé autour de deux tables rondes: «Lien entre la criminalité et la sécurité économique» et «La géostratégie future des pays du bassin méditerranéen». Avec une grande diversité de participants : L’universitaire, Aurélien Dyjak, le Général David Galtier (Gendarmerie Nationale), François Ranise (Profil), Fabien Jacques (Blachère Illumination) et Patrick Lacruche (Gemalto) pour le premier débat et Michèle Alliot-Marie, Mohammed Benhammou, Mohamed Néjib Karafi et Jean-Luc Chauvin pour le second. Une invitation à se protéger mais surtout à ne pas avoir peur d’aller à l’international, une invitation à sortir couvert en quelque sorte. Ce premier colloque qui en appelle d’autres était organisé par l’ACBM (Association de Criminologie du Bassin Méditerranéen), en partenariat avec la société Aesatis et l’association pour la compétitivité et la sécurité des entreprises (Acse).
«On va déconstruire la notion de société civile, vous êtes la société politique»
C’est à Caroline Pozmentier, adjointe au maire déléguée à la Sécurité Publique et Prévention de la délinquance, qu’il revient d’ouvrir le colloque, elle rappelle: «Marseille, 2e ville et 1er port de France, a toujours été une ville-frontière, à la proue d’une région au centre du monde. Toute la Méditerranée, et aujourd’hui toute l’Europe, s’y retrouve, comme sans doute, nulle part ailleurs». Pour l’élue: «Cette donnée géopolitique nous place face à autant d’opportunités que de défis». «La zone méditerranéenne, poursuit-elle, au cœur de laquelle nous nous trouvons, représente bien l’un des fronts de ce qu’il convient d’appeler une guerre économique permanente. Dans cette guerre sur fond de tensions internationales et de fragilisation des frontières, tous les coups sont permis. Comme les individus, les entreprises font face à des menaces nouvelles».
Éric Delbecque, président d’honneur de l’ACSE, anime le débat, il pose, dès ses premiers mots, l’enjeu du débat : «On va déconstruire la notion de société civile, vous êtes la société politique».
Le sociologue Aurélien Dyjak, invite, à partir du discours sur Marseille, à réfléchir à l’écart existant entre la réalité et la représentation. Il en appelle à l’intelligence pour analyser la situation, prend pour exemple la cybercriminalité. «C’est un fourre-tout qui va du chargement illégal de musique aux actes terroristes». Un quart des entreprises serait victime de la cybercriminalité. «Lorsque l’on est victime c’est toujours à 100%», indique-t-il. Avant de mettre en garde: «La plupart des entreprises comme des usagers ne sont pas conscients des informations stratégiques dont ils disposent et des risques que cela représente de les divulguer». Précisant qu’au niveau mondial, «le coût de la cybercriminalité a été de 115 milliards d’euros en 2012 ». La somme serait même plus importante «car les victimes gardent le silence. Les unes parce qu’elles ignorent être victimes, les autres par crainte de révéler une faiblesse».
Alors, face aux menaces Aurélien Dyjak invite à la connaissance et à la confiance qui sont deux remèdes face à un terrorisme dont les actes ont «une visée psychologique certaine».
«Les trois volets de notre action sont la prévention, la dissuasion et la répression»
Le général David Galtier rappelle : «De hautes personnalités, au premier rang desquelles le Président de la République était présents à la Villa Méditerranée pour parler de l’environnement, cette semaine nous sommes réunis pour évoquer la sécurité. Dans les deux cas il est question de la Méditerranée, du vivre ensemble, du développement de cette zone». Il n’omet pas de signaler que, dans ses missions, la Gendarmerie travaille avec la Police, les Douanes… «Bien sûr, nous travaillons sur la veille stratégique, la cybercriminalité, mais nous n’ignorons pas que les cambriolages aussi peuvent faire basculer le sort d’une entreprise». La Gendarmerie, avec d’autres, est donc là «pour garantir la sécurité quotidienne aussi bien des personnes que des biens»,indique-t-il. Précisant:«Sur notre zone Sud, la Gendarmerie couvre 90% du territoire et 50% de la population. Les trois volets de notre action sont la prévention, la dissuasion et la répression».
Trois entreprises, de taille, de secteurs différents, permet de mesurer comment ces dernières appréhendent les questions de sécurité
Patrick Lacruche (Gemalto) de décrire: «Nous fabriquons des produits physiques et des logiciels, des cartes : Sim, bancaire, Vital… Nous manipulons les données de nos clients et de leurs clients, la sécurité fait donc partie de notre quotidien. Après, nous avons de nombreux salariés qui voyagent dans le monde, qui travaillent sur internet. Alors, c’est vrai, on ne pense sans doute pas toujours à la façon dont on peut être ciblé. Des gens peuvent l’être simplement par les informations qu’ils mettent sur Facebook. Face à cela nous avons des réunions de sensibilisation avec la DGSI, la Gendarmerie Nationale car il est évident que les personnes acceptent de modifier leur comportement seulement à partir du moment où elles sont conscientes de l’importance que cela peut avoir».
«Les salariés ne se rendent pas toujours compte du capital que représentent les informations dont ils disposent»
Fabien Jacques (Blachère Illumination), présente cette entreprise familiale qui fabrique des illuminations de Noël vendues à travers le monde, indique à son tour: «Les salariés ne se rendent pas toujours compte du capital que représentent les informations dont ils disposent. Nous venons d’avoir un audit sécurité avec la gendarmerie et la CCI Vaucluse. On s’est rendu compte que les protections physiques étaient bonnes et qu’au niveau informatique nous ne sommes pas mauvais. Notre talon d’Achille, c’est le personnel qui n’est pas conscient qu’un document peut être volé, commercialisé».
François Ranise (Profil) évoque les secteurs dans lesquels œuvrent sa société spécialiste des travaux en hauteur et utilisant la corde pour moyen d’accès. « Profil » propose depuis 20 ans des réponses spécifiques et performantes dans les domaines du bâtiment, de l’industrie, du génie civil et de la protection contre la foudre, elle intervient également dans le domaine du nucléaire. «La sécurité concerne avant tout chez nous les personnes. C’est ce qui fait que nous avons un gros budget formation, 7% de la masse salariale. Résultat, en 22 ans, nous n’avons à déplorer aucun accident lié à la corde. Et nous prenons conscience que nous devons aussi assurer notre sécurité sur le plan informatique pour protéger l’entreprise».
La seconde table-ronde a pour objet : «La géostratégie future des pays du bassin méditerranéen».
«Soyons alertes, organisées et solidaires et préférons l’action et l’ouverture à l’autre au repliement sur soi »
Maurice Brun, le président de la CCIR Paca se veut à l’offensive: «Nous sommes dans une position de porte d’entrée, de trait d’union entre l’Europe et l’Afrique. Et je note avec intérêt le changement de regard qui se fait jour dans le monde politique français qui commence à regarder l’Afrique comme un partenaire potentiel pour favoriser un développement mutuel. Nous venons d’ailleurs avec la CCI International Paca d’organiser un débat sur le thème : Cap sur l’Afrique. Comment pourrait-il en aller autrement ? Le taux de croissance est là de 7% en moyenne, on y dépense en moyenne 72 millions d’euros par an en investissement dans le domaine des infrastructures. Enfin, il importe de savoir que lorsque deux pays parlent la même langue ils commercent 66 fois plus ensemble. C’est dire l’importance de la francophonie et de la nécessité de se saisir des opportunités car, sinon, malgré la barrière de la langue, la Chine et les États-Unis prendront les parts de marché. Alors, soyons alertes, organisées et solidaires et préférons l’action et l’ouverture à l’Autre au repliement sur soi».
Michèle Alliot-Marie, ancienne ministre et députée européenne, plaide pour sa part pour un rapprochement économique avec la rive Sud de la Méditerranée et la Russie, pour une meilleure protection des entreprises tant au niveau national qu’européen.
«Impuissance, impasse et incertitude»
L’intervention de Mohamed Benhammou (Maroc) est pleine de gravité. Pour cet expert international sur les questions de sécurité et de terrorisme: « Nous vivons dans le contexte des 3 I : impuissance, impasse et incertitude. Dans une grande partie de la Méditerranée règne l’instabilité, l’insécurité et la grande confusion. Le défi sécuritaire est majeur pour les deux prochaines décennies». Selon lui: «Plusieurs États sont dans une situation de fragilité et des appels à plus de liberté et plus de pain vacillent dans ce que l’on connaît aujourd’hui. De plus, on assiste à des interconnexions entre l’Afrique du Nord, le Sahel, l’Afrique orientale. Des groupes tels Aqmi et Poko Aram se développent, en Libye c’est le groupe d’El Baghdadi (État Islamique, NDLR). Je refuse de l’appeler d’un autre nom car une guerre de la communication existe, il faut en prendre compte, les laisser dans leur statut de groupe et en aucun cas lui donner un statut d’État. Cela même s’il contrôle 1/3 de l’Irak, 12 millions de personnes et font le commerce, notamment du pétrole».
D’alerter: «Nous sommes face à un phénomène global. En trois décennies de conflits en Afghanistan on a compté 10 000 combattants étrangers. En trois ans, en Syrie, 42 000 combattants terroristes étrangers sont venus: 1 509 Marocains, 1 000 Algériens, 2 800 Égyptiens, 1 500 Français, 650 Allemands, 600 Anglais, 120 Suédois, 220 Espagnols, 220 Italiens 50 Canadiens, 70 Américains et même 4 ou 5 Japonais. En tout, pas moins de 65 nationalités sont présentes». Et des accords existeraient entre ces groupes et les cartels latino-américains. «Et le fait que la Libye n’existe plus offre encore plus d’opportunités à ces réseaux. La situation lydienne entraîne aussi une prolifération des armes et le trafic le plus lucratif, avant la drogue, celui des personnes. Bien sûr, tous les migrants ne sont pas des criminels mais des réseaux exploitent les drames humains». Alors, Mohamed Benhammou s’interroge: «Comment se protéger ensemble, pacifier ensemble ? L’Europe doit comprendre que sa sécurité se trouve dans les profondeurs du Sahel. Il faut construire une réponse globale mais force est de constater que nous sommes devant un déficit de coopération actuellement».
«Soit on change soit on disparaît»
«La Libye, poursuit-il, est un trou noir qui risque de faire chavirer notre navire commun. 4 200 Tunisiens sont actuellement en Irak et en Syrie et il faut penser aux 9 000 qu’on a empêché de partir». Une situation liée au fait, selon lui que «la Tunisie n’a pas touché le dividende économique de sa révolution». Il lance alors : «L’Afrique c’est 4 milliards de personnes en 2100, une bombe démographique s’il n’y a pas de transferts technologiques et de la croissance». Et de conclure: «L’avenir de la Russie est en Europe, elle est une chance pour l’Europe. Pour le Maghreb et l’Afrique du Nord il faut une intégration régionale. Dans le contexte actuel il importe d’être conscient que soit on change soit on disparaît».
Mohamed Nejib Karafi rappelle que la Tunisie est le premier pays à avoir aboli la polygamie; à avoir donné leur émancipation aux femmes; a avoir signé un accord de libre-échange avec l’Europe; «le premier à avoir allumé l’étincelle du Printemps arabe. Alors comment sommes-nous devenu le premier exportateur de terroristes ? Nous avons réussi la transition politique mais, en revanche, cela n’a pas suivi sur le plan économique». Et d’évoquer le voisin, la Libye: «On a fait tomber Kadhafi avec des bombardements et depuis rien. C’est catastrophique».
De son côté, Jean-Luc Chauvin, le président de l’UPE 13 considère: «il faut relever les défis, d’autant plus que nous sommes là devant un fabuleux défi: en 2050, 1 habitant sur 4 de la planète sera africain et 750 millions d’entre eux seront francophones. Alors que la croissance est faible en Europe, elle est de 5,5% en Afrique sur les dix dernières années».
Michel CAIRE