Publié le 22 décembre 2020 à 18h10 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 12h21
Parmi les séries les plus regardées, «Chambre 2806 : l’affaire DSK» est censée éclairer le spectateur sur ce qui s’est vraiment passé entre Nafissatou Diallo et Dominique Strauss-Kahn, dans cette chambre du Sofitel de New-York. Censée ! Pour bien comprendre les rouages de ce type de documentaire-série, qui de mieux placé qu’une référence en la matière ? Fabien Adda n’est autre que l’une des plumes qui a co-écrit «Grégory», celui sur l’affaire Grégory Villemin, diffusé également sur Netflix…
Destimed: Fabien, il n’est pas aisé de juger le travail de ses pairs mais, quel est votre avis sur cette série, l’affaire DSK ?
Fabien Adda: Ce n’est en effet pas facile, notamment quand on n’a pas tous les éléments. Il fallait beaucoup d’audace et de courage pour se confronter à un tel dossier. Le rendu final relate la pression qui a dû être exercée. On perçoit que les auteurs ne pouvaient pas sortir du cadre de ce qui était «acceptable» de révéler. Au final, je trouve que ces 4 épisodes ne font que résumer ce que le grand public savait déjà. Dans la forme c’est très bien fait, c’est efficace. Mais dans le fond, nous n’apprenons finalement pas grand-chose de plus.
Pensez-vous que Chambre 2806 est une œuvre complotiste ou met-elle fidèlement la vérité en lumière ?
Où est la Vérité ? Surtout quelle est-elle ? Existe-t-elle seulement ? Peut-on considérer qu’il y a autant de vérités qu’il y a de protagonistes dans cette affaire ? Il n’est pas possible de dire « voilà ce qui s’est passé », car il y a trop de zones d’ombres, trop d’endroits sans témoin, impliquant des personnalités qui sont habituées à entretenir le culte du secret. Ils savent brouiller la vision de la «réalité» dès que l’on s’approche un peu trop de ce qui les dérange.
« Absolument personne, n’a intérêt à ce que la vérité sorte un jour »
Il est donc impossible de réellement comprendre ce qui s’est passé.
Globalement, la série le démontre bien : tout le monde ment ! Les défenseurs de DSK protègent leur client, ceux de Diallo protègent leur cliente. Les policiers protègent leur enquête et les politiciens protègent un des leurs… Prenez la protagoniste, Diallo : la mécanique de son récit est trop bien huilée pour être honnête. Je ne dis pas qu’elle ment, juste que chacun des mots qu’elle prononce a très probablement été validé par une équipe de communicants. De bonne guerre, puisque c’est exactement pareil pour DSK. Plus loin encore, la journaliste du Monde, en spéculant sur ce qui s’est passé dans la plus stricte intimité du couple DSK-Sinclair, à sa manière, déforme la vérité.
Donc, finalement, on n’en sait pas beaucoup plus ?
Au terme de ces 4 épisodes, on comprend juste que personne, absolument personne, n’a intérêt à ce que la vérité sorte un jour.
Avez-vous ressenti un certain parti pris ?
Pas vraiment et c’est un regret ! J’aurais aimé sentir émerger un point de vue fort, un choix, une vision des faits. Or, tout semble fait pour ne froisser personne. Certes, DSK est montré comme quelqu’un ayant un rapport aux femmes et à la sexualité qui peut se révéler très problématique mais, finalement, nous le savions. A part cette «conviction», la série cherche le consensus. On nous dit que Nafissatou Diallo est une victime, puis on sème le doute, puis finalement elle redevient une victime… DSK pourrait avoir été piégé par ses ennemis politiques, mais en fait c’est son entière faute, mais finalement il y a peut-être un complot contre lui… On nous laisse nous faire notre propre avis sur la question. C’est très bien, car je déteste qu’on pense à ma place. Mais, sans nous donner réellement de quoi trancher.
« Éviter que cette partialité devienne de la manipulation ou de la propagande»
Est-il aisé de garder une certaine forme d’impartialité quand on réalise un documentaire qui relate une histoire aussi complexe que DSK ou le petit Grégory ?
Je ne peux pas parler pour d’autres, mais je pense que c’est tout à fait impossible, car on prend forcément parti. Comment ne pas être touché par ce que vivent les protagonistes d’un fait divers ? Après, tout le travail est de parvenir à une certaine objectivité quand on relate les faits. Prendre parti, c’est également adopter un point de vue, donc avoir envie de raconter quelque chose de précis. Forcément, cela va se ressentir dans la narration et faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Il faut juste éviter que cette partialité devienne de la manipulation ou de la propagande.
L’accès aux pièces est-il une chose évidente quand on s’attaque à des dossiers d’une telle ampleur ?
Concernant Grégory, nous étions évidemment heureux d’avoir dans notre équipe quelqu’un qui avait accès au dossier. Sans cette source d’informations, il y aurait tant de choses que nous n’aurions pas pu expliquer. D’ailleurs ce serait suicidaire de se lancer dans le True Crime dans ces conditions. Certes, on ne peut pas avoir accès à tout et ce n’est peut-être pas souhaitable. Il faut aussi protéger les gens dont nous racontons la vie.
Comment met-on en place le casting des intervenants ? Que recherche-t-on ?
Forcément on recherche ceux qui pourront donner vie, face caméra, au récit que l’on veut construire. Les intervenants doivent être comme les acteurs d’une fiction : s’ils ne sont pas bons, les spectateurs vont vite se lasser. Donc en plus de chercher celui qui aura des choses pertinentes à dire, il faut aussi trouver celui ou celle qui saura s’exprimer, synthétiser ses propos, lancer des punchlines efficaces. Il doit capter l’attention, être charismatique… Bref, quelqu’un dont on se souviendra, comme on se souvient des prestations des grands comédiens.
Pensez-vous qu’il manque certains types d’interviewés dans l’affaire DSK ?
J’aurais bien sûr aimé entendre Anne Sinclair et DSK. J’imagine combien la production a dû tout tenter pour les avoir. Bernard Squarcini, le monsieur renseignement du Président Nicolas Sarkozy, aurait également été intéressant. Mais une fois encore, ces personnes, comme celles déjà présentes dans le documentaire, n’auraient pas pu nous dire la vérité.
«Christine Villemin a été victime d’un acharnement judiciaire, policier et médiatique »
Tout comme l’affaire Grégory, comment vient l’idée de s’attaquer à un dossier aussi complexe ?
J’imagine qu’il était inimaginable de passer à côté d’un fait divers aussi retentissant. Concernant Grégory, j’ai été motivé du début à la fin de l’écriture par un seul et même objectif : rappeler que Christine Villemin a été victime d’un acharnement judiciaire, policier et médiatique absolument insupportable. Il faut rappeler qu’aucune charge n’a jamais été retenue contre elle. Aucune ! Elle est totalement innocente, or elle a été persécutée, harcelée, traînée dans la boue. Aujourd’hui encore, beaucoup la pensent coupable du pire. N’oublions pas qu’il s ‘agit d’une femme qui a perdu son petit garçon.
Vous avez mené une sorte de croisade.
Naïvement, ou peut-être de manière présomptueuse, je nous voyais comme de preux chevaliers qui allaient laver l’honneur de madame Villemin. On espère inconsciemment que notre travail pourra éventuellement aider la justice à avancer. J’aimais à penser qu’étant donnée la force de frappe de Netflix, quelqu’un, quelque part, allait voir ces images et déciderait de parler.
Aviez-vous subi des pressions, des entraves dans votre travail ?
Personnellement aucune, mais la production oui. Elle s’y était préparée et des avocats suivaient l’avancée de l’écriture régulièrement.
Quel œil portez-vous sur les dernières révélations dans l’affaire Grégory ?
Je voudrais qu’elles permettent à la vérité (toujours ce concept compliqué) d’être enfin révélée. Mais je suis d’un naturel pessimiste, cela m’évite d’être trop souvent déçu.
« Un projet en lien avec le tueur en série Michel Fourniret »
Quels sont vos projets pour l’année 2021 ?
Je vais très prochainement commencer à travailler sur un projet en lien avec le tueur en série Michel Fourniret. Je trouve cela passionnant de raconter une histoire tout simplement hallucinante et assez peu connue du grand public. Je ne peux pas en dire plus pour le moment.
Quel autre gros dossier voudriez-vous porter à l’écran ?
J’aimerais un jour raconter l’affaire Grégory Villemin mais en faisant de la mort du petit garçon le point final de l’histoire et non son début. Il y a tant à raconter sur «l’avant». Hélas, je pense que c’est impossible sous une forme documentaire car il n’existe aucune matière. Un jour peut-être j’en ferais une fiction… «très lointainement inspirée» pour éviter les procès !
Propos recueillis par Fabian FRYDMAN