Un amendement au projet de loi «Macron», en cours d’examen sous procédure accélérée à l’Assemblée nationale, aggrave la fragilisation du droit à l’information déjà signalée à l’occasion de procédures engagées contre Atlantico (écoutes Sarkozy), Mediapart (affaire Bettencourt) et Tourmag (informations sociales et financières concernant TUI France).
Aujourd’hui, les menaces au droit à l’information et à la liberté d’expression exercée par les journalistes et les lanceurs d’alerte sont non seulement confirmées, mais accrues par les dispositions de l’article 64 ter du projet de loi «pour la croissance et l’activité» (nouvel article 151-2 du Code du Commerce) – «Toute atteinte, délibérée ou par imprudence, au secret des affaires (…) engage la responsabilité civile de son auteur, à moins qu’elle n’ait été strictement nécessaire à la sauvegarde d’un intérêt supérieur, tel que l’exercice légitime de la liberté d’expression ou d’information ou la révélation d’un acte illégal».
– Un danger d’imprévisibilité : traité comme exception au principe de protection du secret des affaires, le droit à l’information économique serait désormais limité par une série de dispositions nouvelles et incertaines : où commence et jusqu’où va l’imprudence ? Que recouvre ce qui est strictement nécessaire à l’exercice de la liberté d’expression ? Quelle est la consistance d’un exercice légitime du droit à l’expression ? Les Tribunaux de commerce (justice consulaire) seront-ils autorisés à prendre des décisions qui relèvent des dispositions pénales de la loi de 1881 sur la presse ? Le projet de loi est muet sur ces différents points fondamentaux, renvoyant les journalistes et entreprises de presse à un processus long de constitution d’une jurisprudence, avec ses inévitables «retournements» et ses contradictions prévisibles, selon le type de juridiction saisi.
-Des sanctions disproportionnées : outre les sanctions exceptionnellement lourdes prévues par le projet de loi (jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 750.000 euros d’amende !), ce sont les menaces par intimidation à l’exercice des métiers de l’information économique qui sont ainsi encouragées. Toute entreprise mise en cause par une enquête journalistique pourra ainsi, par une procédure de référé suspension, s’y opposer, et ce même si l’enquête journalistique n’a pas pour objet ou effet délibéré de révéler un secret d’affaires. Toute entreprise pourrait alors, sans risque, que ce soit au civil ou au pénal, faire obstruction à la liberté d’expression et d’information en argüant du secret des affaires.
C’est par conséquent l’ensemble de l’information économique en France qui est mise en péril immédiat, sans que l’amendement en cause n’ait, à notre connaissance, fait l’objet d’aucune évaluation ni étude d’impact.
Le Spiil* considère que l’arsenal juridique, même imparfait, actuellement à la disposition des entreprises ne justifie en aucun cas l’absence de débat démocratique et la précipitation dont les pouvoirs publics font preuve. De même, l’argument de la conformité de ces nouvelles dispositions avec la proposition de directive européenne du 28 novembre 2013 relative aux secrets d’affaires ne peut en aucun cas rassurer les éditeurs de presse : cette proposition comporte elle aussi des risques graves pour l’exercice de liberté d’expression et, en tant que proposition, ne saurait représenter l’état du droit communautaire.
En conséquence, le Spiil demande solennellement :
– le retrait des dispositions du projet de loi «Macron» sur le secret des affaires;
– la consultation préalable des organisations professionnelles d’éditeurs de presse et des syndicats de journalistes sur toute mesure nouvelle;
-une initiative des pouvoirs publics pour que la proposition de directive européenne soit elle aussi modifiée afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les professionnels de la presse.
*Créé en octobre 2009, le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) regroupe plus de 100 éditeurs de presse ayant le numérique comme activité de référence. Ses objectifs sont de :
-Promouvoir une presse indépendante et de qualité sur Internet.
-Défendre un cadre juridique et réglementaire qui permette un réel développement économique de la presse en ligne et assure sa pérennité.
-Participer activement au renforcement d’un métier en pleine évolution.