Publié le 25 octobre 2017 à 19h54 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Entre «L’Occasion fait le larron» et «L’Italienne à Alger» le prolifique Gioacchino Rossini glisse «Tancredi», son premier grand opéra qui, créé à Venise en 1813, va le propulser tout en haut de l’affiche; il n’a pas encore 21 ans. Cette notoriété ne le quittera plus dès lors. C’est donc avec intérêt que nous sommes allés entendre la première des deux représentations de l’œuvre, donnée en version concertante, à l’Opéra de Marseille mardi soir. Après avoir enfoncé la porte ouverte qui veut qu’une grande distribution en concert vaut mieux qu’une mauvaise mise en scène, non sans regretter toutefois que les finances allouées à la culture ne permettent plus de proposer régulièrement de nouvelles productions, nous ne bouderons pas notre plaisir… Et, quelques jours après une «Favorite» réjouissante nous avons fort apprécié cet opéra, encore seria, de l’un des derniers maîtres du bel canto. Pour servir une partition dynamique et ses subtilités, le désormais excellent orchestre de l’Opéra de Marseille était placé sous la baguette du maestro Giuliano Carella. Une direction efficace pour nuancer l’interprétation et donner toutes leurs couleurs aux phrases musicale. Aux cordes souples et soyeuses, chaudes et rondes, s’ajoutent des vents fort sollicités qui furent brillants et limpides. Beau travail, aussi, des percussions. Largement mis à contribution, lui aussi, le chœur masculin de l’Opéra a séduit par sa puissance, sa profondeur et sa précision.
Du côté des solistes, sans offenser les dames, nous débuterons nos commentaires en nous tournant vers le ténor Shi Yijie qui interprétait Argirio. Avouons-le, l’artiste chinois nous a scotchés. Juvénile, haut comme trois pommes, il entre sur scène avec une partition qui semble presque trop lourde pour lui, écarte légèrement ses pieds, s’ancre au sol et chante. Et là, c’est un feu d’artifice. Une ligne de chant parfaite, de la puissance, un timbre net et précis, il joue avec la musique et se joue des notes les plus difficiles sans coup férir. On pense alors qu’il va craquer, qu’il ne pourra pas monter, qu’il va faillir : que nenni. Tout passe avec, en prime, une musicalité immense.
Un grand moment. Le public ne s’y est pas trompé qui lui a réservé une ovation peu commune ici. Pour chanter le rôle-titre, Maurice Xiberras, le directeur de l’Opéra, avait convié l’immense Daniela Barcellona. Bibliographie, prix, récompenses et discographie de la mezzo italienne noircissent quelques pages sur le web et ce rôle travesti, qu’elle a embrassé pour la première fois en août 1999 au Festival de Pesaro, elle l’aime toujours autant. Le chant est peut-être moins arrogant qu’il y a 18 ans, plus grave mais aussi plus profond et tourmenté. La ligne mélodique est parfaite, l’émotion est là, que demander de plus ? A ses côtés, pour interpréter Aménaïde, c’est la blonde Annick Massis qui s’y collait. Annoncée souffrante tout en ayant tenu à chanter, la soprano a usé, sans abuser, de sa grande technique vocale pour livrer une partie que nombre de ses consœurs, non souffrantes, n’auraient pas aussi bien donnée. Mieux, même, en arrondissant sa voix et en jouant sur le mezzo voce, elle a encore plus appuyé le caractère éploré au personnage d’Aménaïde. La jeune mezzo russe, Viktoria Yarovaya, qui incarnait Isaura, a fait apprécier son chant franc et direct, très expressif avec de la rondeur; quant à Ahlima Mhamdi, qui était Roggiero, nous ne pouvons que déplorer le fait que son rôle ne nous ait pas donné l’occasion d’apprécier plus longuement sa belle voix, fine et élégante. Enfin, retour chez les hommes, avec l’impressionnant Orbazzano de Patrick Bolleire, basse à la ligne de chant franche et puissante. Une distribution qui, une fois de plus, a fait oublier l’absence de mise en scène…
Michel EGEA
Pratique. Autre représentation ce jeudi 26 octobre à 20 heures.
Réservations 04 91 55 11 10 ou 04 91 55 20 43 – www.opera.marseille.fr