Publié le 18 février 2023 à 18h45 - Dernière mise à jour le 7 juin 2023 à 22h04
Résumons l’intrigue en quelques mots : 1905, studios Pathé, l’acteur de théâtre Max découvre le cinéma, art naissant. Révélation et frénésie, il tourne cinq cents films, s’exporte à Hollywood, devient l’égal voire le « professeur » de Charlie Chaplin. Jaquette, chapeau de soie, haut de forme, souliers vernis et gants de noce, dits aussi «de beurre frais», il invente l’élégance comique du dandy, parfait et désopilant gentleman. Seul en scène, depuis son pays des morts, Max Linder s’adresse à Maud, sa fille de seize mois. Il lui raconte tout : ses grandeurs et ses démons, ses films -dont près d’une centaine subsistent aujourd’hui- ses amours, sa carrière américaine, et ses ténèbres. 1925, on découvre les corps de Max et de sa compagne à l’hôtel Baltimore, avenue Kléber. Le monde vient de perdre un génie qui curieusement demeure assez méconnu.
Dans un roman bouleversant et écrit sans pathos intitulé tout simplement «Max», Stéphane Olivié Bisson lui rend un hommage affectueux et d’une grande précision dans les faits invoqués. Et ressuscite une figure marquante du 7e art presque totalement disparue.
Un génie du cinéma devenu un fantôme
L’auteur raconte: «Max est doublement un fantôme puisqu’en dehors des murs de ce Cinéma à Paris qui porte son nom, il ne reste presque plus rien de lui. Au lendemain de son suicide, il a payé sa mort deux fois. La plupart de ses films ont été détruits, envoyés au pilon, ou enterrés honteusement par la famille sous la vigne dans le Bordelais puis largement oubliés. Il ne figure pas même un nom ni un prénom sur sa pierre tombale au cimetière de Saint-Loubès, son village natal. C’est cette silhouette de Max, d’homme autant que de fantôme, qui s’épuise à démêler les fils de sa vie et de son geste qui m’a bouleversé d’abord, passionné ensuite, et enfin infiniment troublé. Ce fantôme chez moi en appelle un autre dont je porte le nom et ces deux-là m’ont convoqué tout entier… Simplement, pour enfin se faire entendre. Puisqu’il est dit qu’à la mort d’un acteur il ne reste rien, que du sable…» Et Stéphane Olivié Bisson de définir son texte «Max est tout à la fois un conte, allègre et espiègle, une fable noire d’une enfance entre deux eaux qui se prolonge bien au-delà de l’enfance, mais aussi un chant funèbre cent fois recommencé. Ce qu’on entend là, par la bouche d’un seul, égaré au milieu d’un vaste espace, perdu entre la scène déserte et cet immense écran à l’abandon c’est l’adresse d’un mort à sa femme, morte le même jour que lui, et à la toute petite fille de seize mois qu’ils ont laissée derrière eux.» Bouleversant récit donc prolongé par cette pièce «Max» extraite de son livre que Stéphane Olivié Bisson a lui-même mis en scène et dont il a confié l’interprétation à Jérémy Lopez, de la Comédie-Française.
Jérémy Lopez brûle les planches
D’une présence physique hors du commun Jérémy Lopez s’impose d’abord par sa voix. Pour preuve nombre de lectures intégrales en enregistrements audio MP3 au rang desquels l’essai «L’usage du monde», chef d’oeuvre de Nicolas Bouvier (éditions Lizzie). La perfection de la diction doublée d’une inventivité respectant le texte sont des appels au voyage. Jérémy Lopez c’est aussi un magnétisme physique qui, au théâtre comme au cinéma scotche le spectateur sur son siège. Durant une heure-trente, seul en scène, se glissant dans la peau de Max Linder, il avance, recule, revient, tourne autour d’un décor nu, et comme un boxeur sur le ring, il nous percute avec les mots de Stéphane Olivié Bisson pour nous laisser groggy autant qu’ébloui.
Scénographie, musique, lumières et vidéo sublimes.
Nous sommes au-delà du jeu, mais dans une incarnation d’un personnage magnifiée par la scénographie d’Erwan Creff, les lumières de Bertrand Couderc très attentif à faire surgir les ombres qui sont celles de la personnalité de Max Linder, et l’apport d’une musique divinement oppressante signée Eric Capone. Peu sensible en général à l’utilisation souvent artificielle dans de nombreux spectacles de la vidéo, je dois admettre que celle d’Allan Hove et Kristijonas Dirse en place dans «Max» enrichissent le récit de Bisson, et sont source d’un appel d’air pour le comédien.
Créée à Paris à l’automne 2022 au Théâtre du Rond-Point, cette pièce hors normes au format ramassé, sera donnée prochainement au théâtre de l’Odéon de Lyon (la ville où Jérémy Lopez a été formé durant ses années au Conservatoire de la ville) et au Théâtre de Nice dirigé par Muriel Mayette dont on rappellera qu’elle administra avec passion de 2006 à 2014 la Comédie-Française chère à ce même Jérémy Lopez. Du théâtre estampillé Cinémascope
Jean-Rémi BARLAND
Max (création 2022) du 22 au 25 février 2023 au Théâtre Comédie Odéon de Lyon et du 5 au 8 avril 2023 au Théâtre National de Nice