Anne Rubinstein, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté vient d’être invité par le think tank «Écologie des solutions » fondé par Fabien Perez et Christophe Madrolle pour évoquer ce dossier. Dans l’assistance des représentantes du Secours Populaire 13 ont mis en exergue le travail accompli par cette association.
C’est le Secours Populaire 13 qui a ouvert le débat en mettant en exergue son action au quotidien : « Nous sommes une association humanitaire qui intervient dans le monde entier en travaillant avec des associations sur place. Nous avons un fonds d’urgence que nous débloquons lorsque c’est nécessaire et nous achetons sur place » explique Mireille Faure qui précise : « Sur Marseille le Secours Populaire dispose de 80 antennes dans différents quartiers et plus 18 structures d’urgence avec beaucoup d’antennes dans le Nord de Marseille. Une ville dans laquelle nous sommes généralistes c’est-à-dire que nous ne faisons pas que de l’alimentaire. Par exemple nous avons un secteur culture pour faire sortir les gens de leur enfermement ». Le Secours Populaire 13 s’appuie sur 4 200 volontaires dont 3 500 sur Marseille : « Et nous sommes de plus en plus en difficulté depuis le Covid. Nous devons ainsi nous occuper de 20% de personnes en plus depuis 2023. »
L’Union régionale des Scop et Scic Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse accueille la réunion, son président, Franck Maillé explique : « Nous sommes d’autant plus sensibles au sujet de la pauvreté que, depuis 140 ans, nous partageons des valeurs, un système qui perdure et qui a pris encore plus de pertinence avec la crise Covid qui a montré l’importance d’avoir un travail qui donne du sens. »
« J’interviens en amont de la sortie de politique publique »
Anne Rubinstein explique sa mission : « J’interviens en amont de la sortie de politique publique pour corriger avant plutôt qu’après et je suis là pour faire des plaidoyers en faveur de la lutte contre la pauvreté. » Elle déplore : « Dans un pays où l’on met en avant les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité il est difficile de comprendre que l’on ait un si puissant déterminisme social qui fait que l’on sait qui va faire des études supérieures, réussir. C’est terrible. » Puis de revenir à ses missions : « Une délégation interministérielle est à la frontière entre l’administratif et le politique. Celle dont je suis en charge coordonne notamment les politiques nationales de lutte contre la pauvreté. »
Pour la déléguée interministérielle : « Alors que la question est de mettre la personne démunie au centre nous sommes trop en silo au niveau de l’État et nous n’avons pas assez la culture de la mesure d’impact ». Anne Rubinstein rappelle que « le nombre de pauvres en France est relativement stable depuis quarante ans et tourne autour de 10 millions de personnes. » Et, poursuit-elle: « Malgré un système social envié dans le monde nous avons toujours le même nombre de personnes pauvres et le plus grave c’est qu’il faut six générations pour sortir de la pauvreté soit un des pires scores en Europe. »
« Il importe de noter, ajoute-t-elle, que, pendant un temps nous avons eu une misère invisible et solitaire mais aujourd’hui les barrières tombent : une misère se révèle dans la ruralité, chez les étudiants. D’ailleurs nous assistons à une modification de la typologie de la pauvreté avec une courbe très ascendante des femmes en situation de monoparentalité qui ont souvent des emplois fragmentés et ne perçoivent pas forcément la pension alimentaire et nous avons de plus en plus d’enfants pauvres. » Elle ne cache pas sa colère devant le fait que « 30% des prestations sociales ne sont pas perçues par des personnes qui y ont droit.» Un phénomène notamment dû « à la dématérialisation de l’action publique qui ne la rend pas accessible à tous.»
« Il faudra bien un jour se demander où on met l’argent »
Dans le public Stéphanie Lux ne partage pas cette analyse selon laquelle le nombre de personnes pauvres serait stable : « En 2015 les objectifs du développement durable incluaient la lutte de la pauvreté et dès 2016 on voyait qu’elle augmentait en France tout comme les tendances inégalitaires. Des solutions existent, le problème est que pour mettre en œuvre les objectifs du développement durable il faut de l’interministériel et que nous avons le plus grand mal à faire cela dans notre pays. Mais il faudra bien un jour se demander où on met l’argent. » A ce propos elle note : « A Paris on ne donne pas aux personnes qui sont dans la rue contrairement à Marseille qui est pour moi une de villes les plus solidaires qui soient. »
Christophe Madrolle partage ce propos sur Marseille: « La pauvreté n’est malheureusement pas une question nouvelle. On connaît les problèmes auxquels on est confrontés : l’éducation, le logement, l’emploi, les transports, la garde des enfants… mais on vit bien, et c’est vrai aussi qu’à Marseille, on ne sait pas fédérer tous les acteurs et notamment associatifs, pour construire une réponse globale.» Certes mais la déléguée interministérielle précise : « Marseille est un cas particulier, c’est le seul endroit où nous avons contractualisé avec la ville, la métropole et le département. » Concernant l’écologie, elle reconnaît : « C’est l’axe le moins traité alors que les personnes en situation de pauvreté sont les premières victimes du changement climatique et, dans le même temps, elles contribuent, par contrainte, au dérèglement climatique, en consommant mal. »
« Partir en urgence, à 3 heures du matin, avec ses enfants »
Raphaël Rubio tient à son tour à évoquer des problèmes : « Pendant longtemps on a considéré que le retour à l’emploi était le moyen de sortir de la pauvreté mais l’on sait les freins qu’il y a les transports, le logement, la garde des enfants…Mais c’est réducteur. On s’en sort quand on retrouve une reconnaissance, quand on reprend des livres quand on peut aller faire ses courses dans des grandes surfaces. » Et en ce qui concerne la situation des femmes, il lance: «Vous pensez qu’elles ont le temps d’aller voir l’assistante sociale, de modifier la carte scolaire lorsqu’elles doivent partir en urgence, à 3 heures du matin, avec leurs enfants, pour fuir leur bourreau… Il faudrait un dossier social unifié, avoir des services de l’État, des territoires et des associations qui travaillent ensemble. Il faut ouvrir et unifier. »
Anne Rubinstein acquiesce : « C’est vrai que la question des parcours est fondamentale et que l’on rend la vie des personnes pauvres encore plus difficile. Il faut faciliter les démarches administratives et nous allons le faire sur les prestations de base. Et il faut un partage de données et des acteurs qui travaillent ensemble. » Elle en vient à la situation des travailleurs pauvres : « Ils sont 1,5 million aujourd’hui en France.» Elle conclura cette rencontre en soulignant: « On économise plus en prévenant la pauvreté qu’en la laissant s’installer. On gagne sur la santé, sur le nombre de personnes qui cotisent. C’est là un dossier que je ne lâcherai pas.»
Michel CAIRE