Tribune Christophe Madrolle et Raphaël Rubio : «L’écologie désormais assimilée à un facteur de discrimination»

«Pourquoi les riches votent à gauche», demandait, avec une certaine impertinence, l’écrivain et essayiste nord-américain Thomas Frank. La même interrogation pourrait aujourd’hui être posée pour l’écologie. Ce courant de pensée, en soi original, était autrefois perçu comme la «cause des marges». Sa force d’attraction résidait dans l’attention portée aux «réprouvés» et autres naufragés du monde moderne. Si les écologistes, en aventuriers lucides, parcouraient la planète pour dénoncer déjà l’érosion de la biodiversité, nous pourrions les trouver solidement ancrés dans la réalité sociale. Militants avec les habitants des bidonvilles, partageant le pain et la clope avec le nomade, ils prêtaient leurs voix aux rejetés et à l’exclu.

Christophe Madrolle et Raphaël Rubio © DRX
Christophe Madrolle et Raphaël Rubio © DRX

Cet âge d’or semble malheureusement englouti. Un étrange retournement de l’histoire a même inscrit l’écologie au cœur des préoccupations de l’élite urbaine. Adepte du bio, de la voiture électrique ou des retraites «méditatives» nichées aux creux d’écolodge, elle affirme par là, non seulement sa conscience mais aussi, et surtout, un certain standing.

Ces expériences, par ailleurs  largement médiatisées sur les réseaux sociaux possèdent une fonction de différenciation et d’appartenance sociale forte. Elles contribuent à une forme de ségrégation où l’accès à des pratiques écologiques est conditionné par le capital économique et culturel.

Pire encore, nous assistons à une réactualisation de la vieille séparation, largement étudiée par Foucault, entre le propre et le sale, le pur et l’impur. Les classes populaires, deviennent dans l’imaginaire collectif, des «Deschiens» , «des Tuches» ou «des beaufs». Invariablement pollueuses, fumeuses, incultes, machistes et violentes, elles incarnent l’ensemble des tares à éliminer. La construction idéologique du Prolétaire, cigarette au bec et passant son week-end les mains plongées dans le moteur diesel de sa veille bagnole, agit tel un objet politique repoussoir,  figure, pour les plus radicaux, de l’ennemi.

Les conséquences politiques sont, bien évidemment, catastrophiques. Une espèce de «néo-impureté» rendrait le Peuple suspect aux yeux de l’élite écolo-urbaine. Le paradoxe est terrible ! Premier courant philosophique à avoir promu la diversité dans un cadre démocratique, l’écologie est désormais assimilée à un facteur de discrimination.

Le glissement s’observe dans la manière dont le style de vie de la classe «connectée» se positionne en modèle dominant. Le champs politique, au lieu de rester un espace de dialogue rationnel, est au contraire traversé par des affrontements identitaires, où chaque groupe défend son existence.

Tandis que les extrêmes, RN comme LFI, placent l’ethnie au cœur du débat, certains écologistes tombent dans un piège similaire : proclamer la supériorité de leurs modes de consommation, de vie, et même de respiration…

Une telle orientation aboutit à l’effacement de la politique en tant que recherche partagée du bien commun. Soyons honnêtes. Une écologie oppressive émerge à bas bruit. Les zones à faibles émissions (ZFE) sont par exemples de véritables éléments d’angoisse pour les classes populaires. Elles symbolisent l’écologie-ghetto, assignant à résidence les plus pauvres. Le projet de sécurité sociale de l’alimentation, bien qu’excellent dans son intention, illustre aussi cette tendance. Flécher la consommation de nourriture traduit un fantasme de contrôle, marquant l’Autre comme déviant.

Peut-on encore promouvoir l’écologie du mépris, du suspect, du stigmatisé alors que les derniers sondages indiquent une extrême droite, RN et reconquête, à 43 % au premier tour de scrutin…

L’écologie ne triomphera que si elle rompt avec sa dimension élitiste et autoritaire. Les plus fragiles sont à ce titre en première ligne. À Marseille, par exemple, les citoyens des quartiers populaires subissent des niveaux de pollution de l’air dépassant de 30 % les seuils recommandés par l’OMS. À Fos-sur-Mer, les taux de cancers sont 20 % plus élevés que la moyenne nationale, liés à la proximité des industries polluantes.

Serions-nous dans une impasse ? Nous croyons fermement que le temps est venu de revisiter des traditions politiques susceptibles de revitaliser notre Idéal.

Le Républicanisme civique mérite dès lors notre adhésion. Ce modèle place l’écologie et la liberté au cœur de la vie publique. Chaque citoyen devient acteur de son environnement, avec la possibilité de définir, au plus près du terrain, les priorités dites «vertes». Loin des décisions imposées d’en haut, la participation active renforce la responsabilité et évite l’écueil de l’autoritarisme.

Inspirés par ce paradigme, nous militons pour une nouvel «acte» de décentralisation ! Notre République souffre d’asphyxie ! Offrons aux collectivités les moyens d’élaborer des politiques adaptées à leurs singularités. Les initiatives comme les coopératives énergétiques locales ou la gestion démocratique des espaces naturels redonnent du pouvoir aux citoyens sur leur cadre de vie ! La centralisation, ce mal français, pressure les terroirs et la Nature ! Faisons fleurir les énergies !

Enfin favoriser la production de proximité et les systèmes d’échanges populaires est une condition du Républicanisme civique. Les circuits courts, les monnaies locales et les plateformes de mutualisation renforcent le « bien vivre ensemble» . Cette ambition fait écho à une transition écologique juste, respectueuse des individus et des plus vulnérables face à la pollution.

Les principes du Républicanisme civique nous invite, en définitive, à construire une écologie qui ne se contente pas d’imposer des normes.  Nous travaillons à l’édification d’une écologie populaire et rationnelle, où tous citoyen, loin des haines des classes, réinvente un avenir conjuguant préservation des ressources naturelles, liberté et justice sociale.

Telle est, pour nous, l’alternative, urgente, à la paralysie politique qui nous ronge.

Christophe Madrolle est Conseiller régional SUD. Président de l’UCE. Raphaël Rubio est Secrétaire général de l’association Egali-terre France.

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