Publié le 20 juin 2018 à 8h47 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h30
Sur le front de la lutte contre le terrorisme, les dernières semaines furent encore -hélas- riches en événements. Une attaque au couteau a d’abord eu lieu à Paris, dans le quartier de l’Opéra (rue Monsigny), par un jeune radicalisé d’origine tchétchène, Khamzat Azimov. Bilan : un mort et quatre blessés. Puis un projet d’attentat a été déjoué : deux jeunes gens d’origine égyptienne s’apprêtaient à commettre un attentat avec de l’explosif ou du poison (ricine). Ces événements donnèrent lieu, comme d’habitude, à de nombreux commentaires.
L’éternel débat renaît sur les fichés S. Des voix s’élèvent -souvent avec des arrière-pensées politiciennes- pour en appeler à l’internement de ceux qui figurent sur ce fichier, ou pour mettre en cause tel ou tel aspect du dispositif public de sécurité. Comme d’habitude, cela n’aboutira à rien puisque le fond du problème ne se situe pas là. Il convient de répéter sans se lasser les termes du débat dans lesquels on peut lire la problématique de lutte contre le terrorisme, dans le but de faire progresser les pratiques de prévention, de protection et de résilience au sein de la population et dans les milieux économiques.
Nos services de sécurité obtiennent de très bons résultats en regard des différentes contraintes qu’ils doivent prendre en compte. Il faut rappeler que dix-sept projets terroristes avortèrent et qu’une cinquantaine d’autres furent déjoués. Il convient par conséquent de remarquer tout autant les succès des «services» que de chercher illusoirement des boucs émissaires. Jean-Michel Fauvergue insistait récemment et à raison sur la stérilité des polémiques pointant chroniquement du doigt les acteurs publics de la sécurité intérieure. A cet égard, la mission parlementaire que pilotent les députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot se révèle capitale en insistant sur l’idée de chaîne de protection nationale agrégeant la police, la gendarmerie, les polices municipales, les services de sûreté des entreprises, et la sécurité privée.
Concernant la fiche S, répétons que c’est un outil de renseignement visant à identifier des cartographies d’acteurs et à prescrire des comportements aux forces de l’ordre : en aucun cas on ne doit la confondre avec un dossier pénal, une condamnation. Dans un État de droit, il n’est pas question d’«interner» des individus sans procès. Le combat légitime contre le terrorisme serait d’avance absurde si notre société devenait au passage un système liberticide. L’idéologie de la surveillance absolue ou la doctrine «Minority Report» (juger antérieurement au crime) ne figurent pas au rang des ambitions souhaitables pour une démocratie. De surcroît, constatons que c’est logistiquement impensable. Les fichés S (dans le cadre de la problématique de la radicalisation et du terrorisme) se comptent par milliers. L’impasse technique se surajoute à l’objection éthique et juridique, qui demeure première et indépassable.
Il apparaît plus raisonnable de remarquer que nous vivons dans des sociétés ouvertes, libérales et démocratiques, donc par nature vulnérables. Nous devons accepter -même si c’est incontestablement difficile psychologiquement et politiquement- que tous les actes terroristes ne peuvent pas être évités et que nous serons encore confrontés à des drames durant plusieurs années. Il nous appartient en revanche d’en limiter la fréquence par des mesures appropriées, et d’organiser une chaîne de prévention, de protection et d’intervention impliquant un maximum d’acteurs ; ce qui accroît l’efficacité de la vigilance collective, développe la résilience et minimise le nombre de victimes. Le chemin de ce «continuum», c’est-à-dire de l’interaction public/privé en matière de sécurité, s’impose à l’évidence comme l’horizon le plus intelligent à atteindre.
Comment cela peut-il se matérialiser ? Par une coopération renforcée entre les échelons nationaux et locaux de notre appareil de sécurité (connectant de plus en plus intimement les actions de la police et de la gendarmerie nationales, des polices municipales et du dispositif Sentinelle) ; en impliquant toujours plus la garde nationale (c’est-à-dire les citoyens) dans l’ensemble des dispositifs dédiés à la lutte contre le terrorisme ; par l’utilisation des capacités d’information générale de la police de sécurité du quotidien et des brigades territoriales de contact de la gendarmerie dans l’œuvre de renseignement de terrain (s’opposer efficacement à la radicalisation suppose d’abord de correctement connaître les recruteurs, les lieux où elle s’opère, les processus qu’elle privilégie, etc.), et par l’association organique des entreprises de sécurité privée à l’action publique.
La présence de plus en plus importante des agents de sécurité privée dans le quotidien des citoyens leur permet désormais de jouer un rôle de vigilance, de surveillance et d’alerte, donc aussi de dissuasion (les terroristes allant toujours vers les sites les plus vulnérables), qu’il convient de ne pas sous-estimer. Pour cette raison, les entreprises de sécurité privée doivent être à l’avant-garde de la sensibilisation/formation sur le risque terroriste, d’abord pour leurs propres salariés.
Enfin, il devient chaque jour de plus en plus nécessaire de faire former, au sein de la société civile, et dans les entreprises, le plus possible de collaborateurs au risque d’attaques de masse. La résistance au terrorisme a atteint le stade d’une prise de conscience générale de la responsabilité individuelle ; c’est d’une mobilisation de l’attention et des compétences de tous dont nous avons besoin : nos services de sécurité ne peuvent être tenus pour nos seuls remparts. Ils dirigent la manœuvre mais l’aide de chacun est requise.
Eric Delbecque est le chef du pôle intelligence économique de l’IFET auteur du: Bluff sécuritaire Éditions du Cerf Dan Bellaiche est Président de la société de sécurité privée Protectim Security Services |