Publié le 17 janvier 2019 à 10h43 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h30
Il se passe à l’évidence quelque chose dans notre conception collective de l’ordre. Chacun le sent bien : la contestation que nous vivons depuis deux mois met à l’épreuve notre rapport à la tranquillité publique et notre tolérance vis-à-vis de la violence gratuite. Elle questionne également notre rapport à la loi et aux hommes et femmes chargés de la défendre.
De ce point de vue, la tentative de certains commentateurs et d’acteurs du désordre de mettre en parallèle des «violences policières» et des dérapages de «gilets jaunes» ne peut être suivie. Il ne s’agit en aucun cas de prétendre que des actes individuels ne peuvent pas excéder le cadre légal : les forces de police et de gendarmerie sont constituées d’êtres humains, avec leurs forces et leurs limites. Ceci étant dit, il convient de noter deux choses. La pression psychologique que subissent aujourd’hui les CRS et les gendarmes mobiles se révèle titanesque. On ne peut que louer leur comportement dans une écrasante majorité de cas. Deuxièmement, il n’existe pas de doctrine d’État d’encouragement à la violence, à l’escalade et à la sauvagerie. Lorsque des actions inappropriées piétinent la norme, la déontologie et le Code pénal, leurs auteurs font l’objet d’enquêtes administratives et -selon le résultat de ces dernières- de poursuites pénales et de condamnations : le fait qu’ils portent un uniforme ne change rien. Il n’existe pas de complaisance systématisée de l’administration régalienne qui préserverait l’appareil de sécurité et créerait un vaste dispositif d’impunité.
C’est une caractéristique particulière de l’intelligentsia dans notre pays : par principe, il convient de suspecter les gardiens de l’ordre d’être les nervis du pouvoir… Par conséquent, ils ne pourraient être que des brutes épaisses cherchant à cogner. Face à eux ne se trouveraient que des «citoyens momentanément égarés» que la provocation des forces de l’ordre aurait conduit à entrer dans la spirale de la violence… Il faudrait en finir avec ce raisonnement infantile et tolérant avec la sauvagerie d’individus authentiquement dangereux que le politiquement correct exonère de leur responsabilité. La brutalité gratuite, d’où qu’elle vienne, mérite sans doute d’être décryptée, mais également punie, peu importe la tenue que l’on porte, qu’elle soit un uniforme bleu ou une panoplie de black bloc. Cessons de caresser l’idée que la fin justifie les moyens ou que la violence des révoltés romantiques (ou plutôt absurdement présentés comme tels) exige d’être passée sous silence ou absoute aussitôt commise.
Ce raisonnement mine l’État de droit. Le respect de l’ordre républicain est un principe indiscutable qui autorise par ailleurs une sévère critique du modèle actuel de fonctionnement socioéconomique. En revanche, l’un ne doit pas soutenir l’autre : la pratique ritualisée de la dégradation ne peut pas soutenir une argumentation… Elle ne devrait pas davantage être un mode de négociation.
On oublie par ailleurs que les policiers et les gendarmes sont eux-mêmes des citoyens. Ils peuvent avoir, à titre personnel, une certaine sympathie pour les vrais gilets jaunes (ou même partager certains de leurs ressentis et des revendications spécifiques) ; ils choisissent toutefois de se consacrer au respect de la loi parce qu’il fonde la légitimité de tous les désaccords. Ces derniers seront d’autant plus puissants et audibles s’ils prennent une forme légale et structurée.
Les événements actuels démontrent que le partage d’une culture commune de sécurité entre les citoyens, qu’ils appartiennent à la sphère du privé, du public ou de la société civile, garantit une modération élémentaire vis-à-vis de ses semblables, un respect minimum de l’ordre républicain et -bien sûr- une vigilance particulière sur la nécessité de ne pas détruire les instruments de travail quotidiens de ses concitoyens qui tentent, eux aussi, de faire entendre leurs voix, de vivre et d’offrir un avenir à leurs proches et à leurs enfants…
Eric Delbecque est le chef du pôle intelligence économique de l’IFET (Institut de formation des élus territoriaux) auteur du: Bluff sécuritaire Éditions du Cerf Dan Bellaiche est Président de la société de sécurité privée Protectim Security Services |