Publié le 9 décembre 2018 à 17h58 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h30
Comment diagnostiquer une crise politique lorsque personne n’écoute personne ? La question se pose aujourd’hui douloureusement. Prendre de la distance pour comprendre les événements se révèle particulièrement difficile. L’action des Gilets jaunes traduit trente ans d’exaspération de la population et d’incapacité des élites à écouter les territoires et leurs habitants. Ce qui s’exprime par conséquent des deux côtés ne parvient pas à trouver le chemin du dialogue.
Du côté du peuple, c’est une immense colère qui se déverse et qui ne se réduit pas à la taxe sur les carburants. Voilà des décennies que ceux qui nous dirigent, en particulier les gouvernements socialistes, considèrent les classes populaires et moyennes comme d’indécrottables «beaufs» qui ne comprennent rien à la «postmodernité». Ces citoyens de la «France périphérique» tiennent à la nation alors qu’on leur rabâche à longueur de journée que l’avenir est européen et fédéraliste ; ils veulent garder leurs usines en France mais les technocrates (du privé comme du public) balaient leurs aspirations d’un revers de main en expliquant doctement que la désindustrialisation française va dans le sens de l’Histoire ; ils souhaitent que leur vote modifie les politiques publiques tandis que les énarques jugent «inappropriées» les opinions de ceux qui ne passent pas par les grandes écoles. On pourrait ainsi dresser une liste impressionnante des divergences irréconciliables qui se sédimentèrent au fil des années, depuis l’effondrement du monde communiste.
Le problème apparaît ainsi clairement : nos élites remettent purement et simplement en cause le modèle de la démocratie par le système représentatif. D’où cette aspiration totalement désordonnée à la démocratie directe chez les Gilets jaunes. Le rejet épidermique du principe d’autorité et de toute hiérarchie illustre la négation radicale de ceux qui prétendaient gouverner en respectant la volonté de la nation s’exprimant par les urnes. Nous voici ainsi confrontés aux pires égarements de «l’autogestion».
Toutefois, la plus élémentaire honnêteté commande de reconnaître que la responsabilité première en retombe sur ces élites arrogantes qui verrouillèrent la citadelle du pouvoir à partir du milieu des années 80. Comment recréer aujourd’hui un minimum de confiance entre gouvernés et gouvernants ? Par des annonces concrètes du Président de la République cette semaine, mais aussi par un changement absolu de style de l’ensemble de nos « chefs » qui peinent tellement à apparaître comme tels.
D’une certaine manière, Emmanuel Macron n’a guère de chances. Il doit payer l’addition alors qu’il n’a pas initié la funeste tendance qu’il doit à présent gérer. De ce point de vue, le comportement de François Hollande ne l’honore pas. Jamais il n’aura été plus en-deçà de la fonction qu’il a exercée en tentant de se rendre populaire par la critique infantile de son successeur. Comment un ancien Chef de l’État peut-il encourager le désordre ? Il incarne de façon emblématique ce comportement de médiocre politicien dont les Français ne veulent plus. C’est à reconstruire la possibilité de la compréhension entre la France d’en haut et celle d’en bas que nous devons tous travailler, pas à exciter les plus turbulents pour se refaire la cerise…
Espérons que chacun voudra bien l’admettre, car il n’y a jamais aucun bénéfice à attiser l’esprit de guerre civile.
Eric Delbecque est membre fondateur de l’EPGE [[École de pensée sur la guerre économique (EPGE), fondée par Christian Harbulot, Eric Delbecque, Ali Laïdi, Nicolas Moinet et Olivier de Maison Rouge.]] – Auteur de Le Bluff sécuritaire (Éditions du Cerf)