Publié le 14 janvier 2022 à 11h48 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Bernard Valero, qui fut consul général à Barcelone, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Skopje, ambassadeur de France en Belgique, directeur général de l’Avitem (Agence des villes et territoires durables méditerranéens) et porte-parole du Quai d’Orsay met en exergue dans cette tribune les problèmes auxquels les Balkans sont confrontés. Il alerte notamment sur la situation en Bosnie-Herzégovine.
1) Des vents mauvais soufflent sur la Bosnie-Herzégovine.
Ancienne république de la Yougoslavie de Tito, la Bosnie-Herzégovine proclame son indépendance en 1992, avant de sombrer dans un conflit sanglant que parviendront à faire cesser les Accords de Dayton de décembre 1995.
Si ces Accords eurent le mérite de stopper la tragédie de la guerre de Bosnie, (on se souvient, entre autres les horreurs du siège de Sarajevo ou des massacres de Srebrenica), et mirent en place un système institutionnel complexe visant à permettre la coexistence des communautés croate, bosniaque et serbe au sein d’un même État.
Sujet de droit international, État souverain reconnu par l’ONU, la République de Bosnie-Herzégovine est structurée autour de la Fédération de Bosnie-Herzégovine (capitale Sarajevo), principalement peuplée de bosniaques et de croates, et de la République serbe (Republika Srpska, capitale : Banja Luka), ainsi que d’un petit territoire neutre et autonome, le district de Brcko.
Fragile, cette architecture institutionnelle au fonctionnement extraordinairement complexe a permis, depuis un quart de siècle, aux trois communautés ethnico-religieuses de coexister tant bien que mal.
Il semblerait aujourd’hui que ce couvercle des Accords de Dayton mis sur le chaudron de la Bosnie-Herzégovine il y a plus de 25 ans, soit dangereusement secoué. Nationalismes et communautarismes ethniques et religieux n’ont pas permis, bien au contraire, aux Serbes, Croates et Bosniaques de trouver les voies et moyens de faire fonctionner leur pays, ni de trouver le chemin d’un intérêt commun, et encore moins celui d’un destin partagé : complexité kafkaïenne du fonctionnement institutionnel et politique du pays, méfiance et repli sur soi des trois principales communautés, baisse progressive du degré d’implication de la communauté internationale, autant de facteurs qui minent le système depuis des années et conduisent désormais certains des protagonistes à rechercher ouvertement a en détricoter la trame.
C’est du côté des Serbes de Bosnie que soufflent actuellement des vents mauvais, depuis que Milorad Dodik, Président depuis bientôt quinze ans de la Republika Srpska et l’un des 3 membres de la Présidence tripartite de Bosnie-Herzégovine, a fait adopter par le parlement de Banja Luka, en décembre 2021, des résolutions qui conduiraient à faire sortir cette mini république de la Fédération de Bosnie-Herzégovine.
L’homme fort des Serbes de Bosnie-Herzégovine égrène, depuis l’automne 2021, gestes, initiatives et menaces explicites visant à une quasi-sécession : retrait de l’armée commune, reconstitution d’une armée propre à la République serbe, dénonciation des Accords de Dayton, démonstration de forces paramilitaires le 9 janvier 2022 dans les rues de Banja Luka a l’occasion du 30e anniversaire de la création de la Republika Srpska, etc.
Cet ultra nationaliste, déjà surnommé «le dynamiteur de la Bosnie-Herzégovine», a fixé au 10 juin prochain la mise à exécution de ses menaces, encouragé dans cette voie par Belgrade, mais aussi par Moscou où il avait été chaleureusement accueilli par le Président russe en décembre 2021.
2) Une météo inquiétante pour la stabilité des Balkans.
Outre le risque sécuritaire qu’elle soulèverait mécaniquement, tant est avérée l’incapacité des 3 communautés bosniaque, serbe et croate a s’accorder sur la même longueur d’onde, une déstabilisation de la Bosnie-Herzégovine viendrait accroître la faiblesse et nourrir l’incertitude de la région des Balkans.
. Une région parcourue de réflexes identitaires, de crispations ethniques et religieuses, de tentations nationalistes et populistes.
. Une région ou, dans tous les pays concernés, l’État de droit peine à s’imposer. C’est l’une des conclusions que l’on peut en effet tirer du rapport que la Cour des comptes européenne vient de rendre public, qui juge sévèrement le bilan des 700 millions d’euros que les Européens ont consacrés entre 2014 et 2020 pour favoriser l’État de droit dans 6 pays des Balkans en vue de leur future adhésion à l’UE : un effort qui a eu «peu d’impact», une aide qui «n’a pas été efficace».
. Une région taraudée par un entrelacs de réseaux criminels (trafics de drogue, d’armes, d’êtres humains, etc.) dont les ramifications prospèrent sur la pauvreté, se jouent des pouvoirs publics et minent l’État de droit.
. Une région dont la crise sanitaire ouverte en 2020 a soumis à une terrible épreuve les efforts de développement économique et social de chacun des pays.
. Une région ou, au-delà de la Bosnie-Herzégovine, des tensions obscurcissent l’horizon de certains pays (Serbie-Kosovo, la Macédoine du nord et son voisin bulgare).
. Une région enfin qui, selon les cas fait depuis des années du surplace à la porte ou piétine dans l’antichambre de l’UE sans que de réelles perspectives se dégagent pour les uns et pour les autres. Cette situation provoque une double fatigue : fatigue chez les peuples des Balkans qui s’interrogent chaque année davantage sur les réelles possibilités de voir un jour leur pays adhérer à l’UE, fatigue également chez les Européens parmi lesquels les partisans de l’élargissement de l’UE aux Balkans ne sont pas légions.
. La nature ayant horreur du vide, dans les Balkans comme ailleurs, d’autres acteurs se manifestent avec une vigueur et une visibilité croissantes depuis plus d’une dizaine d’années: la Russie , liée aux populations slaves et orthodoxes, la Turquie, qui n’a pas oublié les 4 siècles de domination ottomane sur cet espace et entend y retrouver une place et une influence en accord avec ce passe, la Chine, qui ne dispose dans cette région d’aucunes affinités géographique, historique, religieuse ou ethnique, mais qui n’en tisse pas moins la toile de ses intérêts économiques et géostratégiques, (l’exemple du financement et de la construction d’une autoroute au Monténégro par les Chinois est à cet égard édifiant et plein d’enseignements).
3) Une Présidence française de l’UE bien avisée d’avoir inscrit les Balkans parmi ses priorités géographiques.
La France a pris l’initiative, responsable et bienvenue, d’inscrire les Balkans au rang des priorités géographiques de l’agenda de sa Présidence de l’UE qui s’est ouverte, pour six mois, le 1er janvier 2022.
A la veille de la PFUE-2022, le Président de la République a présenté, en conférence de presse le 9 décembre 2021, les enjeux, la méthode, les priorités et l’agenda de la Présidence française.
Au chapitre des priorités géographiques, après avoir évoqué l’Afrique, le Chef de l’État a signalé une seconde priorité, les Balkans, au sujet desquels il a notamment déclaré: «Nous avons aujourd’hui une responsabilité particulière à l’égard des Balkans… La région est traversée par de nouvelles tensions, l’histoire y est de retour, le tragique aussi… Nous ne pouvons pas bâtir l’Europe de paix des cinquante prochaines années si nous laissons les Balkans dans la situation dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui».
. Le Président Macron ayant posé la priorité et défini les enjeux, c’est au tour de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, de préciser les choses en pointant le marqueur vers la Bosnie-Herzégovine. Le chef de la diplomatie française l’a fait à l’occasion d’un entretien accordé au quotidien régional Ouest France, le 13 janvier dernier, jour de la tenue à Brest du Conseil des ministres des affaires étrangères et de la défense des 27 : «La région des Balkans occidentaux est une priorité de la Présidence française… Plusieurs dossiers complexes et non réglés pèsent sur la stabilité de cette région. Il y a une inquiétude qui monte sur la stabilité de la Bosnie-Herzégovine, traversée par des tensions nouvelles… Ces tensions ne sont dans l’intérêt de personne, ni dans la région, ni dans le reste de l’Europe. La responsabilité de tous les acteurs, et notamment celle des responsables de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, doit prévaloir. A défaut, les Européens devront prendre des initiatives pour faire pression en ce sens. Les Européens doivent maintenir un plein engagement pour avancer dans la recherche des solutions sur ces dossiers…».
La Présidence française de l’UE n’aura bien évidemment pas le temps de régler en 6 mois tous les problèmes ni le sort des Balkans. Du moins a-t-elle d’ores et déjà le double mérite d’avoir fixe un cap et mobilise ses partenaires sur la priorité devant être accordée à une région qui est son voisinage immédiat, voire même qui se trouve à l’intérieur du périmètre de l’Union.
Un Sommet consacré aux Balkans se tiendra donc à l’initiative de la PFUE en juin prochain. Ce rendez-vous sera important pour éteindre la mèche allumée par le pyromane Dodik en Bosnie-Herzégovine, pour réinvestir les Européens sur les Balkans, et pour contrebattre ceux des acteurs étrangers à la région, qui cherchent à profiter des faiblesses des Balkans pour écornifler l’UE. Dans cette perspective, une action collective des 27 est indispensable, autant que le sera une étroite concertation avec les États-Unis, l’ONU et l’OSCE, autres garants des Accords de Dayton.
Les Balkans font aujourd’hui partie de la « boussole stratégique » de l’UE. C’était nécessaire, c’est heureux, ce sera déterminant./.
Note au lecteur : Pour ceux qui se découvriraient une passion soudaine pour les Balkans et/ou qui souhaiteraient savoir comment c’était avant, je recommande la lecture du roman passionnant « un pont sur la Drina » d’Ivo Andric, Prix Nobel de littérature. Vous y ferez un voyage dans le passé qui rappelle souvent le présent.