Publié le 1 mars 2024 à 9h28 - Dernière mise à jour le 3 mars 2024 à 20h13
La visite officielle à Rabat (26 février) que vient d’effectuer le ministre français des Affaires étrangères et de l’Europe à été tout sauf anodine. Elle est de bon augure et permet de voir la relation franco-marocaine sortir d’une période de brouille aussi stérile que pénalisante tant pour le Maroc que pour la France.
Depuis 2021 en effet, les relations entre Rabat et Paris n’avaient cessé de se tendre et de s’étioler sous un empilement de griefs réciproques qui avaient fini par dissoudre la confiance entre les deux partenaires, et par conduire le niveau de leurs relations à un étiage aussi absurde que préoccupant. Rappeler la litanie de ces récriminations ne reviendrait qu’à ressasser des occasions manquées et des incompréhensions recuites, un exercice facile mais qui ne ferait aucunement avancer le schmilblick.
Au cours des derniers mois, les deux capitales se sont livrées à un exercice diplomatique de rapprochement parfaitement maîtrisé visant à retrouver le chemin du bon sens, de la raison, et de la responsabilité. D’un côté, le Roi du Maroc recevait les Lettres de Créances de l’ambassadeur de France à Rabat (26 septembre 2023), tandis qu’il nommait une ambassadrice à Paris (19 octobre 2023). De l’autre côté, c’était Stéphane Séjourné, tout juste nommé à la tête de la diplomatie française qui déclarait lors d’un entretien au quotidien Ouest-France (10 février 2024) : « Le Président de la République m’a demandé personnellement de m’investir dans la relation franco-marocaine et d’écrire un nouveau chapitre de notre relation… Il est temps aujourd’hui d’avancer. Je ferai tout dans les prochaines semaines et les prochains mois pour que la France et le Maroc se rapprochent» . Quelques jours plus tard, (19 février 2024), c’était Brigitte Macron qui recevait au Palais de l’Élysée les trois sœurs du Roi du Maroc autour d’un déjeuner aussi amical que chaleureux.
S’il était essentiel pour les deux pays de sortir des chicayas , encore faut il savoir dans quel objectif.
- Le premier objectif consiste à préserver et à faire fructifier un capital exceptionnel et précieux de relations bilatérales. Celles-ci s’appuient en effet sur des piliers qui plongent profond dans le quotidien des deux pays. Quelques chiffres suffisent à dessiner les contours d’une relation féconde :
. Le Maroc est la première destination des investissements français sur le continent africain. Plus de 1 300 entreprises sont présentes au Maroc, où la France est le premier investisseur étranger (8,1 Mds d’euros en 2022).
. Au plan commercial, le Maroc est le premier partenaire commercial de la France en Afrique tandis que la France est le deuxième fournisseur du Maroc vers lequel nos exportations ont augmenté de 24% en 2022, une progression spectaculaire notamment induite par l’accroissement des fournitures de céréales françaises vers le Maroc lequel à modifié une partie de ses circuits d’approvisionnement alimentaire à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
. Le Maroc est le premier pays bénéficiaire dans le monde des financements de l’Agence française de Développement (AFD), des financements qui s’élevaient à 3,7 Mds d’euros en 2022.
. S’agissant de la balance des paiements, deux données soulignent l’importance des flux financiers vers le Maroc : les Français sont le premier contingent de touristes étrangers au Maroc, une fréquentation qui représente pour ce pays des recettes touristiques annuelles de l’ordre de 3Mds d’euros. Par ailleurs, et avec 3,3 Mds d’euros en 2022, la France est le premier pays d’origine des transferts financiers de la diaspora marocaine dans le monde.
. Pour leur part, les coopérations éducatives et culturelles occupent une place de choix dans ce tableau. 460 000 jeunes marocains forment le premier groupe d’étudiants étrangers accueillis dans les universités françaises, tandis qu’au Maroc, les 44 établissements d’enseignement français et les 12 sites de l’Institut français sont autant de lieux de savoir, de rencontre et d’échanges.
. Pour cimenter le tout, quoi de plus fertile que le lien humain ? Sur ce registre, ce sont 850 000 Marocains qui résident en France, 60 000 Français qui vivent au Maroc, un pays qui accueillent chaque année près de 5 millions de touristes français.
Sommairement rappelés, ces quelques chiffres donnent une idée de la diversité et de l’intensité des fondements exceptionnels d’une relation bilatérale qu’il importe de mettre à l’abri des cahots et des turbulences de tous ordres.
- Le second objectif doit voir les deux partenaires se tourner résolument vers l’avenir et s’inscrire dans une perspective stratégique.
En évoquant un « partenariat d’avant-garde sur 30 ans », le chef de la diplomatie française et son homologue marocain le Ministre Nasser Bourita, ont montré de nouveaux horizons. Dans un Monde qui n’a jamais été aussi chargé qu’aujourd’hui de défis et d’incertitudes, une telle ambition est bienvenue. Dans cette perspective, les chantiers sont nombreux :
. Au premier rang de ceux-ci l’enjeu, existentiel pour le Maroc, du dossier du Sahara occidental doit avancer. Le positionnement de la France est clair : soutien au plan marocain d’autonomie du Sahara occidental et volonté d’accompagnement du développement économique de ce territoire.
. D’autres chantiers ont été abordés sur lesquels, ensemble, les deux pays pourront aller plus loin : les énergies renouvelables, les écosystèmes industriels innovants, la formation, le tourisme, l’économie bleue.
. La Méditerranée, dont les deux pays sont riverains, offre un cadre idoine de coopération sur lequel les responsabilités, les intérêts et les ambitions de chacun des deux partenaires peuvent se conjuguer au service de la paix et du développement dans une région où la géopolitique de la peur tend à s’installer et à se traduire par des politiques protectionnistes ou de rejet. Dans ce contexte, une relance de l’Union pour la Méditerranée (UpM) est considérée comme indispensable par le Maroc et la France qui se rejoignent pour travailler en faveur d’une UpM plus politique, plus inclusive et plus efficace , capable de répondre aux attentes des peuples méditerranéens et de contribuer à la stabilité et au développement de la Région.
. L’urgence environnementale et climatique s’impose à l’agenda des deux pays. Dans un passé récent, on se souvient combien la France et le Maroc s’étaient accordés à œuvrer de concert sur cette urgence. En avait attesté la parfaite résonance de la MedCop de Marseille (juin 2015) et de la Cop21 de Paris (novembre 2015) avec la MedCop de Tanger (juillet 2016) et la Cop22 de Marrakech (novembre 2016). Au-delà de leur synchronie calendaire, ces mobilisations internationales avaient souligné combien le travail en commun des Français et des Marocains avait été efficace. Il est urgent aujourd’hui dans l’intérêt général des Méditerranéens de renouer avec l’esprit et la méthode de cette coopération.
. Sur un spectre plus large, il est enfin des sujets géopolitiques sur lesquels les deux pays auront objectivement intérêt à travailler davantage de concert. Il en est ainsi des relations de l’un et de l’autre avec l’Afrique, le Proche-Orient et l’union européenne.
Les étoiles commencent à se réaliser entre le Maroc et la France. C’est heureux. Au carrefour de l’Europe et de l’Afrique, de la Méditerranée et de l’Atlantique, de l’islam et la chrétienté, le Maroc est un partenaire de premier plan. L’exercice d’intelligence collective et de responsabilité partagée dans lequel se sont engagés Paris et Rabat ouvre un nouveau chapitre dont il reviendra aux Ministres Bruno Le Maire puis Rachida Dati d’écrire les prochaines pages dans les semaines à venir.
En refusant le confort de l’immobilité ou la facilité toxique de l’invocation permanente du passé, les deux pays semblent décidés à faire leur cette formule d’Henri Bergson : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons faire.» Il était temps.