Tribune de Bernard Valero. Pour une barrière verte méditerranéenne : une utopie nécessaire

Publié le 23 septembre 2022 à  12h11 - Dernière mise à  jour le 4 décembre 2023 à  11h00

Avant d’oublier trop vite le désastre climatique de l’été 2022 qui s’achève, et avant les lamentations sur nos logis chauffés à 19 degrés seulement cet hiver, une réflexion s’impose sur les moyens d’éviter le point de non-retour environnemental vers lequel s’avance dangereusement l’espace méditerranéen.

Bernard Valero ©Destimed/PM
Bernard Valero ©Destimed/PM

 

Si, à titre national ou local, la prise de conscience des conséquences du dérèglement climatique s’accélère, les locataires de la Méditerranée n’ont pas encore franchi le pas d’une action collective résolue pour faire face, ensemble et efficacement, au défi global du réchauffement climatique.

Redonner de la place à la nature dans un espace méditerranéen qui suffoque est une condition essentielle à la survie de cet écosystème où vivent près de 500 millions de Méditerranéens. Parmi les nombreuses solutions et pistes d’action qui se présentent, celle d’une barrière verte tout au long du pourtour méditerranéen ouvrirait la voie à une dynamique enfin collective dans la lutte contre le réchauffement climatique de notre biotope.

1) Une question de survie pour la Méditerranée

L’été 2022 aura marqué un seuil dans le processus de réchauffement de la Méditerranée dont on sait depuis 20 ans déjà que cette région du Monde en est l’un des plus tristement emblématique « hotspot ».

Des épisodes caniculaires de plus en plus longs, des températures de l’eau qui peuvent dépasser celles de la mer des Caraïbes, des incendies monstrueux qui ravagent des centaines de milliers d’hectares, l’assèchement des cours d’eau et des nappes phréatiques, tous les indicateurs sont au rouge. Les redoutables conséquences qui en découlent ne sont pas moins dramatiques : rétrécissement des surfaces boisées et de la couverture végétale, fragilisation de la biodiversité, désertification, impact violent sur l’agriculture méditerranéenne, risques accrus d’épisodes pluvieux meurtriers à l’approche de l’automne, autant de catastrophes cumulées qu’accompagne un cortège de destructions et, surtout, de pertes en vies humaines dont chaque année le nombre va croissant.

2) La Grande muraille verte (GMV) un exemple inspirant, mais qui incite à aller plus vite et plus efficacement.

Lancé officiellement en 2007, le projet de GMV vise depuis lors à combattre le changement climatique, à enrayer la désertification du Sahel, à contenir l’avancée du Sahara vers le sud, et à accroître la sécurité alimentaire des pays concernés. Très ambitieux, ce projet s’articule sur la mise en place d’une barrière végétale et forestière de 15 kilomètres de large sur une longueur de 7 800 kilomètres, du Sénégal a Djibouti, soit 11 pays traversés.

. Plusieurs facteurs ralentissent la progression de la GMV : La difficulté de mobiliser une ingénierie financière d’ampleur, la faiblesse des coopérations sud-sud et transfrontalières entre les pays concernés, les tensions au sein des populations locales entre éleveurs et agriculteurs, les trop nombreuses fragilités géopolitiques des régions traversées. A ce jour, le Sénégal fait figure d’exception par le travail exemplaire que ce partenaire du projet a accompli jusqu’ici.

. Face à la lenteur de l’avancement du projet, il aura fallu l’initiative du Président Macron de lancer un « accélérateur » de la GMV a l’occasion du « One Planet Summit » de janvier 2021 pour réactiver le projet. Un coup d’accélérateur que le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, avait confirmé à Marseille en septembre 2021 à l’occasion du congrès mondial de l’UICN. La COP 15 de la Convention des Nations unies contre la désertification s’est à son tour employée à maintenir ce nouvel élan à Abidjan en mai 2022.

. A la lumière de ce précédent, les Méditerranéens doivent faire mieux et plus vite afin de gagner cette course contre la montre qui les oppose à l’affolement de leurs boussoles environnementale et climatique, et qui met en jeu leur destin commun à l’horizon d’une, ou au mieux deux, génération.

3) Une barrière verte méditerranéenne, un projet nécessaire et vertueux.

Partant du principe que l’arbre ou, plus généralement, le végétal est l’un des meilleurs alliés de l’homme dans sa lutte contre le bouleversement climatique, le projet d’une barrière verte méditerranéenne prend dès lors tout son sens.

. Un projet de cette nature permettrait de lutter contre la hausse alarmante des températures et contre l’artificialisation insensée de tout le littoral de la mare nostrum, d’accroître la capacité de l’écosystème méditerranéen à absorber les émissions de CO2, de protéger une biodiversité animale et végétale partout menacée, d’enrayer l’érosion des sols qui, chaque année, disparaissent emportés par les pluies torrentielles, de panser les plaies qui affectent si durement le métabolisme de tout l’écosystème méditerranéen, de protéger les zones humides particulièrement vulnérables, et d’aider enfin a la conservation de la ressources en eau.

. Force est de constater qu’aujourd’hui les Méditerranéens n’ont, ou ne partagent, aucun grand projet. Aussi vertueuse soit-elle, l’addition d’initiatives ou de coopérations à 2, 3 ou 6 États, ne saurait incarner une ambition collective ou un projet commun aux 22 locataires de la Méditerranée. Or, paradoxalement, tous ces pays sont également confrontés à la même menace globale du réchauffement climatique et de la destruction de l’environnement. Aucun d’entre eux, ni groupe d’entre eux, ne pourra se soustraire isolement à ce défi global et mortifère.

Amorcer une dynamique collective, inventer la diplomatie forestière, définir une nouvelle grammaire méditerranéenne autour de cet objectif commun, permettrait d’engager tout l’espace méditerranéen sur une trajectoire de coopération innovante.

. Au delà de la nécessaire impulsion des États, un tel projet s’appuierait tout naturellement sur les coopérations entre territoires et sur le maillage des relations qu’entretiennent entre elles les collectivités territoriales de la Méditerranée.

Viendraient en outre s’y conjuguer les actions menées par d’innombrables acteurs des sociétés civiles. Cette dimension fédératrice du projet, notamment sur le dernier kilomètre de l’action publique, ne manquera de féconder, nourrir et démultiplier l’entreprise des États.

4) Comment y parvenir ? Premières étapes.

Selon le Centre de l’UICN pour la coopération en Méditerranée de Malaga, un premier jalon pourrait être posé autour d’une coopération entre pays du sud de l’Europe. Le nouveau programme Interreg Euro Med serait ainsi appelé à devenir le vecteur d’une dynamique de coopération entre États européens du sud, qui se déclinerait sur les territoires pour y établir, et les relier entre eux, les éléments constitutifs d’une chaîne « d’infrastructures vertes ».

Une deuxième étape pourrait suivre très vite en élargissant le périmètre du projet à l’ensemble du pourtour méditerranéen. Dans cette optique, l’Union pour la Méditerranée, l’UpM, serait utilement mobilisée pour jouer le rôle d’embrayage, afin de polliniser et féconder un continuum forestier tout autour de la Méditerranée en s’assurant de l’adhésion de tous ses membres à l’entreprise commune.

Un troisième pas serait alors fait pour assurer la connexion des collectivités territoriales et des représentants des sociétés civiles afin que l’appropriation du projet soit la plus large possible et l’affaire du plus grand nombre d’acteurs.

5) Dans cette double optique, européenne et méditerranéenne: la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur

. Provence-Alpes-Côte d’Azur est riche de l’expérience que lui confèrent des années de coopérations avec de nombreux territoires méditerranéens, à commencer par ses partenaires frontaliers ou voisins italiens. Elle est forte également d’une précieuse expertise qu’elle retire de la dimension environnementale et climatique d’un grand nombre de projets de coopération qu’elle mène avec des partenaires méditerranéens.

. Elle est légitime et remarquablement positionnée sur un projet de cette nature compte tenu de son investissement exemplaire, depuis 2017, en faveur de la protection de l’environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique. Il s’agit là d’un choix politique, revendiqué et assumé, et d’un précieux capital d’expertise qui pourrait enrichir un projet d’une telle ampleur et d’une telle ambition.

. Elle est favorisée par la présence sur le territoire régional de nombreux acteurs disposés a prendre toute leur part à cet effort collectif. A titre d’exemple, l’Association internationale des Forêts méditerranéennes (AIMF), créée et basée à Marseille depuis bientôt 30 ans, illustre la diversité et la vigueur d’un écosystème régional d’acteurs engagés.

Je sais bien qu’il ne manquera pas de m’être fait reproche de rêver ou de caresser des utopies. Je me consolerai en me souvenant de cette sage remarque de Pierre Rabhi : «C’est dans les utopies d’aujourd’hui que sont les solutions de demain».

Bernard Valero: ancien consul général à Barcelone, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Skopje, ambassadeur de France en Belgique, directeur général de l’Avitem (Agence des villes et territoires durables méditerranéens) et porte-parole du Quai d’Orsay

 

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