Tribune de Bernard Valero : un commissaire européen pour la Méditerranée ?

Cette déclaration prononcée le 18 Juillet par la Présidente de la Commission européenne,  en campagne pour sa réélection à la tête de l’exécutif européen,  est passée un peu sous les écrans radar. Le début des vacances d’été,  l’approche des JO de Paris 2024, les résultats électoraux de la calamiteuse dissolution de l’Assemblée nationale, tout ceci conjugué à sans doute conduit à ne prêter qu’une attention distraite à cette déclaration de madame Von der Le yen devant le nouveau Parlement européen tout juste issu des élections du 9 Juin.

Mais au fait, qu’avait elle dit ? «  La région méditerranéenne doit retenir toute notre attention,  c’est pourquoi je proposerai un Commissaire pour la Région, qui se concentrera sur les investissements et les partenariats, la stabilité économique,  la création d’emplois,  l’énergie, la sécurité, les migrations et d’autres domaines d’intérêt mutuel, dans le respect de nos valeurs et de nos principes… parce que les rives de la Méditerranée ont un seul et même avenir ».

Cette déclaration d’intention est notable par sa clarté,  par la qualité de son auteure, la Présidente de la Commission européenne,  et par le public auquel elle s’adresse,  rien moins que le Parlement européen nouvellement élu pour les cinq prochaines années.

Au-delà de la forme et des circonstances, ce positionnement révèle le cheminement d’une double prise de conscience : Celle de l’extrême vulnérabilité d’une région aux enjeux stratégiques pour l’Union européenne,  et celle de la nécessité pour les Européens de faire face beaucoup plus résolument que ce ne fut le cas jusqu’ici aux nombreux et lourds défis qui pèsent sur la région méditerranéenne.

Un tour d’horizon géopolitique de la Méditerranée révèle en effet un paysage fracturé sur ses rives Sud et orientale. La tragédie du conflit israélo-palestinien et les menaces que font peser l’Iran et ses proxies sur l’État hébreu, tandis que failles et fractures ne cessent de s’étendre et de lézarder la région.  N’oublions pas qu’un État membre de l’UE (Chypre) et sa capitale (Nicosie) sont coupés en deux depuis le débarquement des armées turques il y a de cela exactement 50 ans.

Ce constat s’aggrave lorsque l’on observe la montée des conflictualités et des sources d’instabilité sur les périphéries de l’espace méditerranéen : au Sahel, ou trois États ont été littéralement braqués par des juntes militaires, en Mer noire à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et enfin en Mer rouge où les Houthis du Yémen gagnent en capacités,  grâce à l’Iran, de menacer la seconde porte de la Méditerranée,  celle qui donne accès à l’Asie.

Ce tableau,  trop rapidement ébauché et aux allures funestes, serait incomplet si l’on n’y ajoutait pas le facteur de division et d’instabilité supplémentaire que représentent l’irruption de prédateurs extérieurs à la région, ainsi que le rhizome des réseaux internationaux de criminalité  (êtres humains,  armes, drogues, déchets, etc.. ) qui prolifèrent sur cet espace et l’affaiblissent encore davantage.

C’est enfin sur ce contexte géopolitique dégradé et morcelé façon puzzle que continue de se creuser l’écart de développement économique et social entre l’UE et les autres riverains de la Méditerranée, que s’emballer en mode mortifère les crises climatique et environnementale,  que se poursuivent les flux migratoires sans que personne n’ait été jusqu’ici en mesure de les maîtriser ou de les gérer. Il est donc bon que l’Union européenne, seul bloc de paix, de stabilité et de développement dans cette région, lance un signal fort d’implication sur son voisinage méditerranéen.

La mise en œuvre de la déclaration d’intention de madame Von der Le yen devra, sur le court terme, franchir trois étapes :

  • Sans le courant du mois d’août, la Présidente reconduite de la Commission européenne recevra des noms de candidats (deux par pays) que lui proposeront chacun des Vingt-Sept.
  • En Septembre elle auditionnera les candidats et constituera, exercice délicat, le futur exécutif européen.
  • En octobre ce sera au tour du Parlement européen d’auditionner les commissaires retenus, l’objectif de ce processus étant d’aboutir à une Commission en ordre de marche à partir de Novembre.

Difficile de prédire à ce stade qui occupera ce nouveau poste de Commissaire européen chargé de la Méditerranée. On sait que Chypre à manifesté de l’intérêt,  mais on sait aussi que les voies de Bruxelles peuvent parfois être difficilement pénétrables.

Quoiqu’il en soit et quels que soient le nom et la nationalité de ce futur Commissaire, la création et l’incarnation de ce nouveau poste si elles sont bienvenues ne pourraient à elles seules tenir lieu d’une nouvelle donne européenne en Méditerranée. Des clarifications seront nécessaires sur un certain nombre de sujets.

Les Européens devront bien un jour sur la question de fond : Quel rôle entend jouer l’Union Européenne en Méditerranée ? S’agira-t-il seulement d’amplifier  ou de vitaminer des politiques existantes, trop fréquemment éparses, peu visibles, relevant trop souvent du seul carnet de chèques et dans lesquelles le contribuable européen ne se reconnait guère, ou bien s’agira-t-il pour l’Europe d’assumer de jouer un rôle de force politique, capable de défendre ses intérêts,  de faire bouger les lignes,  de dépasser les blocages, bref, de devenir cette puissance d’équilibre à laquelle aucun autre acteur méditerranéen n’est en capacité de prétendre aujourd’hui ?

Des précisions devront être bien évidemment apportées sur le périmètre des politiques publiques européennes que ce Commissaire aura la responsabilité de mettre en œuvre, sur les moyens sur lesquels il pourra s’appuyer au sein de l’administration de Bruxelles,  et enfin sur les ressources budgétaires sur lesquelles il pourra compter.

Des éclaircissements devront être apportés sur son rôle et ses prérogatives par rapport aux autres membres de la Commission. Dans cet ordre d’idées, ses relations avec la Haute Représentante de l’Union européenne , l’ancienne Première Ministre d’Estonie, Kaja Kallas, devront faire l’objet d’un délicat calibrage.

Des outils devront être renforcés ou créés. Il en va ainsi de l’union pour la Méditerranée (UpM), la seule organisation intergouvernementale méditerranéenne qui existe à ce jour. Celle-ci fait aujourd’hui l’objet d’un processus de revitalisation à l’initiative notamment de la France et de l’Espagne , avec le soutien du Secrétaire général de l’UpM. Il en va de même de la création d’une macro-région méditerranéenne en faveur de laquelle un nombre croissant de voix s’élèvent. Mettre en synergie tous les acteurs de coopération,  des États aux collectivités territoriales, est une évidence dont les retards de mise en route interpellent alors qu’aujourd’hui quatre macro-région (Alpes, Danube, Adriatique,  Baltique) existent et prospèrent depuis belle lurette.

Enfin, des clarifications devront intervenir sur un certain nombre de sujets (le traitement respectif des voisinages Est et Sud de l’UE dont les équilibres ont été chamboulés par l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, les ambiguïtés qui peuvent entourer les politiques de voisinage et certaines perspectives d’élargissement,  le positionnement des Balkans par rapport à l’ensemble méditerranéen. ).

Enfin, des choses devront finir par être dites sur certains sujets. A cet égard, la candidature de la Turquie a l’adhésion à l’UE, déposée en 1987, est un véritable mistigri que la Commission et le Conseil européen se refilent  depuis 37 ans. Comme sur bien d’autres,  il serait urgent pour les  Vingt Sept, de se mettre au clair sur ce dossier.

La nomination,  pour la première fois, d’un Commissaire européen chargé de la Méditerranée  donne le signal d’une prise de conscience de la gravité des enjeux méditerranéens et de la nécessité d’y apporter de nouvelles réponses beaucoup plus substantielles et ambitieuses que celle qui ont prévalu jusqu’ici. C’est un signal heureux qui devra être suivi d’effets. C’est a cette seule aune que l’on pourra juger de la pertinence de cette déclaration estivale de Mme Von der Leyen.

Ancien diplomate, Bernard Valero à servi 45 ans durant au Ministère des Affaires étrangères. Il a notamment été Consul général de France à Barcelone,  Ambassadeur à Skopje et Bruxelles, Directeur de la Communication et porte-parole du Quai d’Orsay. Bernard Valero est aujourd’hui membre du Conseil de surveillance de l’UpM.

 

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