Publié le 7 janvier 2021 à 8h48 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Une Doxa très particulière alimente, depuis son émergence, les poumons de l’écologie politique. Au départ séduisante, elle permit, il est vrai, la remise en question d’un modèle de civilisation devenu irrespirable. Sa pertinence, cependant, a perdu de sa puissance. La crise économique, les transformations sociales et culturelles ont lentement érodé sa force mobilisatrice. Ce «lieu commun» existe encore. Il a un nom et un contenu. Il s’agit de ce que les écologistes nomment «la consommation».
Rompre avec ce culte de la démesure est une urgence
«Prêt à penser» paresseux, l’idée de «consommation» n’en demeure pas moins sans fondement. Comment, à ce titre, développer une conscience écologique sans être horrifié par notre «société du jetable». Obsolescence des objets, publicité sexiste, vertige pulsionnel, ce sont les désirs sans limite, véritable boulimie de vanité, que notre monde moderne érige en seule et unique finalité. Rompre avec ce culte de la démesure est une urgence. L’écologie politique nous en offre les voies et les valeurs.
En deux mois le Secours populaire a assuré l’urgence alimentaire à plus de 1,3 million de personnes
Nous estimons, malgré tout, que la critique de la consommation repose sur un malentendu. Aborder, parfois brutalement, un tel phénomène apparaît inaudible pour les catégories moyennes et populaires. Ces dernières ne sont pas mues par un instinct consumériste. Bien au contraire, leurs consommations s’avèrent de plus en plus fragiles. C’est ainsi que fin septembre le Secours populaire fit paraître, avec Ipsos, un baromètre concernant la détresse sociale. Les conclusions font froid dans le dos. La précarité nutritionnelle augmente. Un Français sur quatre restreint sa consommation alimentaire. Un sur sept, c’est à dire 14 %, affirme sauter régulièrement des repas. En bas de l’échelle, les chiffres sont glaçants. 46% des plus pauvres rationnent leur ordinaire tandis que 38% ne mangent pas à leur faim. Les groupes les plus concernés continuent à être les femmes et les jeunes. Notre nation souffre. Lors du premier confinement, en l’espace de deux mois, le Secours populaire a pu assurer l’urgence alimentaire à plus de 1,3 million de personnes. 45% des demandeurs étaient inconnus de l’association. Dans ce contexte l’écologie politique ne peut, légitimement, continuer à user de schémas intellectuels en décalage total avec le principe de réalité. Mettre le curseur sur la consommation constitue une erreur de langage assez flagrante. Il est temps, pour nous aussi, de revoir l’ensemble de nos paradigmes. Force est de constater que le chemin peut être encore très long.
Nous ne pouvons faire de l’écologie en blessant profondément une partie des plus démunis !
La Convention citoyenne pour le climat, en dépit de la qualité de ses travaux, ne put, par exemple, s’empêcher de tomber dans le piège. L’objectif C2 de son rapport final entend lutter contre les «incitations à la sur-consommation». Les préconisations sont claires. On souhaite interdire la publicité pour les réductions de prix, les ventes en lots et les soldes. On veut, par ailleurs, accoler l’avertissement suivant avant certains achats :«En avez vous vraiment besoin ? La surconsommation nuit à la planète».
Ces mesures, en creux, dessinent une image dégradante des catégories populaires. Elles seraient consuméristes, avides de gadgets, sans conscience écologique et orientant leur existence vers un idéal matérialiste. La réalité, nous l’avons vue, est tout autre. La population s’effondre socialement. Nous ne pouvons faire de l’écologie en blessant profondément une partie des plus démunis ! Évoquer avec tant de force le supposé phénomène de consommation, révèle, nous le pensons, d’une écologie identitaire : celle qui consiste à ériger son propre mode de vie en impératif catégorique. Le risque est de voir apparaître une sorte de jésuitisme politique, où sous couvert de sauver le climat, une «élite verte» dicterait au peuple la meilleure façon de consommer. L’écologie n’a pas besoin de directeur de conscience. Ni de maître es-morale. Nous nous prononçons en faveur d’une écologie qui agit au lieu de stigmatiser. En somme une écologie positive dont la confiance réside précisément dans la société civile.
La clef de la transition ne réside pas des discours anticonsuméristes, largement réducteurs
En définitive, disserter maladroitement sur la consommation est une impasse politique. Il s’agit par ailleurs d’un discours incapable de saisir combien les voies du changement s’avèrent concrètes. Chaque jour des associations transforment le monde. À chaque heure des entrepreneurs s’engagent dans l’innovation écologique. L’activité de la société civile, intense et foisonnante, réinvente un univers beaucoup plus vert et résilient. Employons par conséquent un langage enfin audible par les classes populaires. Plutôt que que de culpabiliser les plus pauvres au sujet d’une consommation à laquelle de moins en moins de nos concitoyens ont accès, mettons d’avantage en valeur l’économie circulaire. Évoquons le partage ou encore les échanges de biens, de compétences et de temps. Construisons une écologie de l’exemple, en lien avec les pratiques vertueuses, celle qui crée des jardins partagés, recycle, et pour reprendre la formule d’Emmanuel Mounier: «Fait acte de présence auprès de la pauvreté». Réalisons enfin la promotion d’une consommation digne, basée sur la justice environnementale et fiscale. La clef de la transition ne réside pas des discours anticonsuméristes, largement réducteurs. La société civile, elle même, construit une alternative inédite. C’est à elle, et à nous, qu’il appartient de sortir, par les actes, des préjugés issus d’un autre siècle.
Caroline Gora est militante écologiste, féministe et laïque – Présidente de l’association Égali-Terre
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