Publié le 22 novembre 2018 à 18h56 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Il aura fallu un drame dans lequel huit personnes ont péri rue d’Aubagne, pour qu’une prise de conscience citoyenne se fasse sur l’ampleur de la crise du logement à Marseille. Une prise de conscience des Marseillais au-delà des personnes concernées et des responsables d’associations et de certains élus qui depuis des années, pour ne pas dire des décennies, dénoncent l’état du logement indigne sur l’ensemble de la ville au-delà du quartier de Noailles.
Les alertes n’ont pourtant pas manqué. Que ce soit le rendez-vous annuel sur l’état du logement dans la région organisé par la Fondation Abbé Pierre. Que ce soient les interpellations faites auprès des services de l’État. Que ce soient les interventions faites dans les différentes Collectivités locales et particulièrement au sein même du Conseil municipal de Marseille avec des réponses méprisantes des élus en gestion, du style : «tout va bien», «voyez ce que nous faisons» ou encore s’adressant aux élus de l’opposition de gauche : «vous attisez les peurs pour faire les choux gras des médias, pour exister en tant qu’opposition et pour essayer d’instrumentaliser le malheur»
Pourtant au-delà de la dénonciation, nous sommes quelques élus à avoir fait des propositions concrètes pour répondre aux besoins et tout simplement au Droit au logement.
Alors fatalité dans un des plus vieux quartiers de Marseille qu’est Noailles ou résultat d’une non volonté de réhabilitation ? Toujours est-il qu’une dame nonagénaire que j’ai récemment rencontrée me disait avoir résidé en 1957 rue d’Aubagne dans un appartement qu’elle qualifiait déjà de taudis. Nous sommes bien face à des décennies d’abandon volontaire dans un processus infernal de transformation-spéculation. Une enquête judiciaire en cours permettra sans doute d’identifier clairement les responsabilités, mais je ne pense pas prendre un grand risque en affirmant que ce drame est la conséquence directe d’une politique de recomposition de Marseille. Je me souviens encore en 2014, pour ne prendre que cette date, avoir dénoncé les inégalités à Marseille, qui n’est pas une ville pauvre, mais une ville inégalitaire et ce, dans tous les domaines : logement, école, culture, emploi, sport, transport et sécurité… Aujourd’hui l’effondrement de ces immeubles, la mort de huit personnes, les évacuations préventives mais tardives, les témoignages reçus – #BalanceTonTaudis – sont les révélateurs d’une «politique ségrégative au plan social et territorial», qui n’est malheureusement pas nouvelle dans le but de transformer Marseille, pour une petite minorité de privilégiés et pour une mauvaise conception du tourisme. Dire qu’elle n’est pas nouvelle, ne dédouane pas de ses responsabilités l’actuelle équipe qui gouverne Marseille, bien au contraire, car au cours de ces 23 dernières années, nous avons assisté à une accélération de la recomposition à l’instar des actions avec Euroméditerranée, après la rue de la République qui sont les symboles concrets d’une déportation volontaire des couches populaires.
Je fais un rapide retour sur l’histoire, en m’appuyant sur le livre d’Alessi Dell’Umbria «Histoire Universelle de Marseille» un enfant de la Plaine qui décrit la Cité et son histoire depuis des siècles et la compare à d’autres villes de la Méditerranée pour y voir ses forces et ses faiblesses. Un récit sur ses déterminations politiques, sociales, culturelles et urbanistiques pour analyser la dernière grande ville populaire de notre pays. Je vous fais grâce des quelques 750 pages fournies dans lesquelles j’ai relevé deux passages marquants de la logique politique à l’œuvre. En 1788, l’Intendant de Provence proclamait : «Marseille est l’abord des étrangers de toutes les Nations ; tous les brigands des lieux voisins s’y rassemblent et sont d’autant plus portés au désordre et au libertinage qu’ils sont en quelque sorte assurés de l’impunité». 5 ans après, un conventionnel montagnard chargé de mettre la ville au pas pouvait proclamer : «Marseille est incurable à moins d’une déportation de tous ses habitants et d’une transfusion d’hommes du Nord » Fin de citation. C’est une approche sécuritaire que nous retrouvons encore aujourd’hui, vis-à-vis des migrants, et particulièrement des familles Roms. Ces dernières années, la mode actuelle ne signifie pas la fin du mépris, bien au contraire. Souvenons-nous en novembre 2003, il y a à peine 15 ans, l’adjoint à l’urbanisme, Claude Valette déclarait : «On a besoin de gens qui créent de la richesse. Il faut nous débarrasser de la moitié des habitants de la ville. Le cœur de la ville mérite autre chose». Tout y est dit pour diviser et attiser deux poisons, le racisme et les peurs, avec les conséquences politiques que cette logique a permis : la montée de l’extrême droite et l’installation d’un maire FN dans le 7e secteur de la ville. Racisme vis-à-vis des étrangers, mais aussi et surtout vis-à vis des pauvres. Nous pouvons ne pas nous en souvenir, voire l’ignorer, mais ce constat ne gomme pas 26 siècles d’histoire de Marseille. 26 siècles d’immigration qui ont enrichi au plan social et culturel la cité phocéenne par l’apport de ses femmes et ses hommes. Tout est question de volonté politique marquée du sens de l’intérêt général.
Une date en témoigne : 1962. Marseille a su accueillir, en quelques mois et dans de bonnes conditions, 120 000 personnes rapatriées d’Afrique du Nord en construisant des cités populaires. La politique des grands ensembles répondant aux nécessités du moment a été dans un premier temps un grand progrès pour notre ville. Aujourd’hui les choix politiques conduisant à la désindustrialisation, au chômage massif, à l’abandon des Services Publics, au sous-investissement ou à l’absence d’investissement pour des rénovations, ont créé des ghettos, des zones de non-droit en proies aux clientélismes et aux trafics en tout genre. Dans le même temps cohabitent des ensembles résidentiels fermés (plus de 1 500 dénombrés), résultat de la spéculation immobilière et des projets publics-privés. Ainsi rien n’est fait pour réduire les inégalités, pire, la politique municipale les aggrave et le Maire est dans le déni. Les séances du Conseil municipal sont éloquentes. Quelques phrases entendues : «Ici les pauvres n’existent pas. Moins on en parle, mieux ça vaut, il ne faut pas abîmer l’image de la ville» ou encore à propos des migrants et des familles Roms : «Puisque vous faites preuve d’autant de solidarité, prenez-les chez vous ».
Aujourd’hui nous avons la chance que des mobilisations citoyennes exemplaires s’organisent. Sans les citer toutes : Air Bel, Maison Blanche, La Plaine, autour de l’Aquarius, contre le Partenariat Public Privé (PPP) école et aujourd’hui à partir de Noailles…pour les plus caractéristiques. Les bouches s’ouvrent réclamant une autre politique, même si cela se traduit parfois par la demande de démission du Maire. Pour autant, si j’ai parlé un peu d’Histoire, c’est pour faire prendre conscience qu’un changement de Maire ne suffit pas à changer la logique et l’état d’esprit de ceux qui gouvernent ou veulent gouverner pour des intérêts particuliers.
C’est la raison pour laquelle, évitons deux écueils :
1. Des mobilisations citoyennes, aussi fortes soient-elles, sans prolongement en rapport de force politique, en stigmatisant tous les élus, même ceux qui défendent les biens communs, peut conduire à un changement de maire et d’équipe sans changement de politique et de logique.
2. Le 2e écueil serait de penser que la responsabilité relèverait de la seule municipalité. Comme pour toute catastrophe, il faut au moins trois facteurs et en ce qui concerne ce drame, il y a une chaîne de responsabilité de la Ville à l’État. Les gouvernements successifs ayant accompagné, incité ou fermé les yeux sur les politiques menées.
La loi ELAN, (Évolution du Logement et aménagement du numérique) de l’actuelle majorité présidentielle dont le but est de confier au marché la réponse de la crise du logement en incitant à la spéculation et à la privatisation du secteur HLM, n’est pas la réponse aux attentes et aux besoins. C’est un pas de plus vers le démantèlement du service public du logement. Je ne vois donc d’issue que par la convergence des mobilisations citoyennes et par un travail en commun de tous les acteurs citoyens, sociaux, associatifs, culturels, économiques et politiques pour des solutions alternatives.
Cette méthode est la clé de l’efficacité. Nous détenons toutes et tous des réflexions, des idées qui mises en commun peuvent nourrir le rapport de force nécessaire pour mettre en œuvre des réponses concrètes et urgentes. Un travail législatif, des moyens humains, matériels et financiers seront certainement nécessaires pour améliorer et accélérer les procédures dites d’urgence et agir sur le long terme. Mais les expériences réalisées dans d’autres villes, comme Paris donnent l’espoir que c’est possible, si l’ambition est affirmée. C’est la raison pour laquelle, je préconise un Conseil municipal extraordinaire avec tous les acteurs institutionnels concernés de la ville à l’État, et avec des professionnels, des experts, en commençant par les habitants eux-mêmes et leurs représentants.
Une réunion exceptionnelle pour des dispositions exceptionnelles, comme celle de décider :
• une politique urbaine avec des actions sur toute la ville, sans fabriquer de nouveaux ghettos et en relogeant les habitants dans les logements démolis et reconstruits
• et un plan d’éradication de l’habitat indigne, qui doit être la priorité des priorités
Au-delà de propositions nationales pour un véritable service public national, pour un accès au logement social en encadrant les loyers, je mets en débat 7 propositions concrètes et urgentes :
1. Appliquer à Marseille la loi SRU (Solidarité Renouvellement Urbain) par arrondissement. L’objectif de 25% de logements sociaux est actuellement appliqué sur l’ensemble de la ville avec des concentrations et des déserts préjudiciables à une véritable mixité sociale.
2. Créer une plateforme d’échange de logement social, afin d’adapter l’offre à la demande et ainsi ne plus trouver une personne vivant seule dans un T5 et une famille nombreuse dans un studio.
3. Revoir les dispositifs d’urgence. Ne plus évacuer préventivement sans arrêté de péril et avoir un suivi individuel du départ d’un logement indigne au retour dans un logement décent. Embaucher massivement des personnes qualifiées au service logement insalubre de la ville et accroître le fonds pour le relogement d’urgence (actuellement d’à peine 200 K€/an). Que la ville dispose de logements d’urgence pour ne plus avoir recours ou à titre exceptionnel aux hôtels.
4. Produire 10 000 logements publics dans les 5 années à venir
5. Créer un observatoire de la prévention de la dégradation des immeubles d’habitation, dont le but est de prévenir la dégradation du bâti et éviter à de nouveaux immeubles de tomber dans la spirale de l’insalubrité.
6. Mettre en place un permis de louer. Il s’agit d’une autorisation délivrée aux propriétaires qui souhaitent louer un bien immobilier. Cet outil permettrait à la ville de Marseille de s’engager davantage dans la lutte contre l’habitat indigne, en empêchant des propriétaires de mettre sur le marché de la location, des logements insalubres. Lors du Conseil municipal du 6 février 2017 avec d’autres élus de l’opposition, nous avions préconisé sa mise en place. Cette proposition fut rejetée par le maire.
7. Prendre des sanctions pénales sévères à l’encontre des bailleurs et propriétaires indélicats, et à l’encontre des communes carencées – par choix politique – en logements dignes. Expropriation des marchands de sommeil et requalification des biens en logements sociaux.
Les moyens existent pour respecter le Droit au logement pour tous dans la deuxième ville de France. Il suffit de décider d’autres priorités budgétaires en commençant au Conseil municipal de Marseille et ce jusqu’à l’État. Le drame de la rue d’Aubagne peut ouvrir une nouvelle page de l’Histoire de Marseille. Fasse qu’il serve de leçon également pour toutes les communes concernées.
Jean-Marc Coppola (PCF) est conseiller municipal de Marseille