Publié le 25 avril 2018 à 9h39 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Ce matin, dès potron-minet, je pris dans la gueule une nouvelle qui me donna le mal de la macaque et fit trembler l’ensemble de mon corps tant elle était puissante et lourde de conséquences. Certes, cette catastrophe était annoncée par BFM TV et devait donc être appréhendée avec toute la circonspection qu’il se doit puisque faute d’annoncer un attentat sanglant les préposés à l’info spectacle devaient argumenter une déliquescence programmée de notre patrimoine à nous les Marseillais : notre accent !
Eh oui notre accent serait en danger, en danger de mort !
Fort de cette information, je me plongeais immédiatement dans mes souvenirs, j’analysais mon présent et fouillait Google minutieusement afin de constater si nos intonations, notre tonalité et bien évidemment nos expressions allaient subitement être occis sur l’autel de l’accent Parisien. Je m’inquiétais de devoir dès demain acheter des chocolatines plutôt que des pains au chocolat et d’être contraints de nous gaver d’infâmes galettes au beurre bourrées d’acides gras saturés et de frangipane parisienne en délaissant notre gâteau des rois aux fruits confits et farcis eux d’une véritable fève et d’un sujet.
Comment allais-je donc faire pour évoluer sur le Vieux-Port en entendant les vendeuses de poissons subitement transformées en titi Parisien, allais-je supporter d’écouter mes amis dire que les rues étaient désertées alors que la veille ils m’affirmaient qu’il y avait dégun ? La pression montait et je frôlais à plusieurs reprises le malaise vagal tant l’idée même de ne plus entendre Bengous et René Malville en V.O glaçait mon sang. Pire encore, lorsque je me laissais aller à les écouter en version nordique.
In fine, d’après les fossoyeurs de l’info objective, Marseille allait devenir une banlieue du Nord de la France et nos rues allaient être envahies de monsieur Brun et d’autres gandins imposant un langage feutré, lisse, fade, insipide … Bref, n’ayant aucun intérêt et faisant de nous des ringards du verbe, des gougnafiers du parler pourtant internationalement reconnus ! Car, il ne faut pas perdre de vue que notre accent reste notre patrimoine, notre marque de fabrique. Il est un tatouage indélébile pour tout Marseillais expatrié à Lyon, Brest et malheureusement lorsque l’un d’entre nous fait son baluchon pour vivre à Paris ! Jadis il était perdu, considéré comme un traître et banni par toute une famille portant désormais l’opprobre et l’infamie d’une telle décision fût-elle motivée par un emploi au salaire juteux ou par l’amour d’une jeunette pourtant croisée dans nos calanques un soir d’été.
Ainsi bon nombre de familles marseillaises ont préféré opter pour un suicide collectif et une inhumation au cimetière Saint-Pierre plutôt que d’annoncer en soirée que l’un des leurs vivait à Lyon, Valence et surtout à la capitale. Il ne faut pas perdre de vue que pour nous, Marseillais nés là sur les terres de Pagnol, le Nord commence souvent en Avignon et pour d’autres plus aventureux à Valence. Mais aujourd’hui, nous sommes plus tolérants, plus ouverts sur le monde, sur le reste du pays et même si l’on considère qu’il n’existe que deux types de gens de par le monde : Les Marseillais et ceux qui rêvent de l’être on ne condamne plus l’aventurier du Nord suffisamment courageux pour quitter la plus belle ville du monde. Nous nous sommes résignés à accepter que Marseille ne soit pas le centre du pays … Elle est le centre du monde !
Alors je me suis imaginé parler avec l’accent pointu, j’ai même répété devant mon miroir en mettant ma bouche en cul de poule pour éliminer mon accent, pour être à la nouvelle mode, celle voulue par BFM TV. Je dois avouer que l’exercice est extrêmement difficile voire même périlleux puisque ma fille m’ayant surpris dans mon délire s’est écriée : «Oh bonne mère! Il devient complètement barjot mon père.» J’ai été submergé par la honte et suis allé lui présenter des excuses en tentant de lui expliquer que notre accent était devenu ringard et que maintenant à la Joliette, à Montolivet et à la Pointe rouge il fallait effacer nos intonations chantantes; il fallait parler comme les gens du Nord pour être dans le mouve, dans la vague, bref pour être branché. La pauvre minote m’a regardé du coin de l’œil en avalant son chocolat chaud, j’ai senti de la pitié. J’étais tout estranciné et je ne savais que dire. J’ai senti le poids des regards de Fernandel, Pagnol et même Bengous ; tous trois me blâmaient ouvertement et je me suis senti mal.
Alors je me suis posé sur mon canapé, j’ai changé de chaîne pour cesser de souffrir, pour ne plus entendre autant de conneries. La pression est lentement redescendue, ma fille s’est préparée pour aller aux Terrasses du port et j’ai regardé cette Marseillaise, belle comme un cœur me quitter pour arpenter les rues de Marseille cette ville énigmatique, cette cité fabuleuse baignée de soleil.
C’est mon second café qui m’a remis les idées en place, sans doute les effets de la caféine ont boosté mon raisonnement et j’ai ouvert ma fenêtre pour emplir mes poumons d’un air qui se respire nulle part ailleurs, d’un oxygène ayant lui aussi un accent, celui de Marseille. Depuis ma fenêtre j’ai entendu les passants s’invectiver, je les ai écoutés avec attention pour constater qu’ils s’insultaient avec un fort accent et avec des mots bien à nous, un langage que l’on ne comprend qu’ici.
J’étais tout escagassé mais je suis sorti pour m’assurer que durant la nuit Marseille n’avait pas disparu, n’avait pas été remplacée par une autre ville. Elle était belle et les rayons de soleil frappaient déjà le Palais Longchamp lorsque je me suis attablé à la terrasse d’un bar. Ce matin là, j’ai écouté pour me rassurer et j’en ai pris plein les oreilles … Notre accent était encore là, il traînait dans toutes les bouches, il était exubérant, il était omniprésent. J’ai été rassuré …
Marc La Mola [[Marc La Mola a été flic durant vingt-sept années. Après des débuts à Paris, il rejoint sa ville natale, Marseille et choisit les quartiers Nord pour y exercer. C’est aussi là qu’il a grandi. Officier de Police Judiciaire, à la tête d’un groupe d’enquête de voie publique, il a traîné dans ces quartiers pour en mesurer les maux. Il a touché du doigt la misère et la violence de ces secteurs de la Ville. Marc La Mola a sans doute trop aimé son métier et c’est en 2013 qu’il décide de mettre un terme à sa carrière. Il retourne à la vie civile pour écrire. Il est aujourd’hui auteur, romancier et scénariste. Chez Michalon Éditions il a publié : «Le sale boulot, confessions d’un flic à la dérive», «Un mauvais flic, lettre ouverte à Manuel Valls», «Quand j’étais flic …». Ces trois témoignages relatent les moments forts de sa carrière et ses différentes prises de position. C’est chez ce même éditeur qu’il publiera en mars 2017, «Police, Grandeur et Décadence» dans lequel il explique comment la police en est arrivée à descendre dans la rue pour manifester son mécontentement. Il est encore romancier. Il publie chez Sudarenes Éditions un polar à l’accent Marseillais, «Le sang des fauves». En juin 2017 le personnage de ce premier polar revient dans «Vallis Clausa», deuxième volet des enquêtes de son personnage Randy Massolo, un flic torturé. Il est aussi scénariste et a signé l’écriture de plusieurs synopsis optionnés par des maisons de production. Il enseigne également l’écriture de scénarios à l’École supérieure du cinéma Cinemagis de Martigues (13)]]