Publié le 26 avril 2020 à 7h11 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Porte-parole de l’association Ecoforum, Marie Anne Le Meur a organisé et animé plus d’une centaine d’événements, émissions de radio et conférences-débats sur l’environnement, la santé et le cadre de vie et pour la solidarité (air, déchets, transition écologique, biodiversité, eau…). Son parcours professionnel a toujours été d’agir pour la sensibilisation, l’éducation et la formation à la pollution de l’air à travers un programme pédagogique, humanitaire et gratuit pour les enseignants et animateurs (un demi-million d’enfants sensibilisés dans le monde). En mars 2020, elle était candidate aux élections municipales dans les 11e et 12e arrondissement de Marseille sur la liste du rassemblement écologiste et citoyen Debout Marseille.
Actuellement, la fin de la vie terrestre est loin d’être le centre de nos préoccupations. Le Coronavirus lui a volé la vedette. Cela se comprend. Ce petit virus nous impacte au quotidien et nous en sommes directement victimes. Il met nos vies en danger et tue. En nous obligeant au confinement, il impose des changements radicaux de mode de vie à plus d’un tiers de l’humanité… On peut toutefois espérer que, dans quelques mois, si les bonnes mesures sont prises et respectées pour le faire reculer, il ne sera plus à craindre. Malheureusement, le dérèglement climatique en cours et la disparition de la vie sur terre, eux, le seront encore, et plus que tout ! Certes, ils n’ont jamais été, même avant la pandémie qui nous paralyse et cela malgré les cris d’alarme des scientifiques et de ceux, très nombreux, qui les ont entendus, le vrai centre des préoccupations, la chose dont on parle tous les jours en première info dans tous les médias, celle qui anime réellement tout le monde et occupe tous les esprits, y compris les esprits de nos politiques. C’est pourtant la place qu’il me semble qu’ils mériteraient d’avoir le plus tôt possible, pour que nous nous organisions ensemble pour agir à leur sujet.
Une disparition alarmante de la vie sur Terre : “ En 40 ans, plus de 70 % de la vie sur Terre a disparu
La sixième extinction de masse est en cours. Les publications de plus de 100 000 scientifiques sont formelles : en 40 ans, plus de 70 % de la vie sur Terre a disparu. Et le phénomène, déjà très rapide, aurait tendance à s’accélérer. La vie se meurt. Et les animaux ne sont pas les seuls menacés. L’ONU estime que si nous ne changeons pas radicalement notre mode de fonctionnement d’ici un an et demi, nous allons être confrontés, nous aussi, les humains, à une «menace existentielle directe». Concernant le dérèglement climatique, son impact écologique et économique ne peut faire oublier qu’il tue. L’OMS estimait ainsi en 2014 qu’il pourrait causer la mort de près de 250 000 personnes chaque année. Par ailleurs, notre corps n’a pas la capacité de s’adapter au rythme auquel la hausse des températures est prévue. A 50°C, il ne fonctionne tout simplement plus, ou en tout cas pas très longtemps… Or lors des dernières canicules en France, nous avons atteint des pics à plus de 45°C. Ce qui est non seulement appelé à se reproduire dans les années à venir, mais à s’amplifier ! A cette menace s’ajoute celle que ces enjeux colossaux pourraient mettre en danger de la paix mondiale. En effet, pour ne citer que cet exemple, de nombreux conflits locaux sont déjà liés à des problèmes de sécheresse et d’accès à l’eau. D’une manière générale des guerres pour les ressources pourraient menacer notre humanité.
De l’économie de la mort à l’économie de la vie
Alors, que faire ? Les solutions me semblent se trouver dans l’analyse même des causes du problème. Pourquoi la sixième extinction de masse, le dérèglement climatique en cours et aujourd’hui la pandémie du coronavirus ? Pour moi, la cause de ces trois problèmes apparemment distincts est commune : elle réside dans le fait que l’Homme agit, depuis bien trop longtemps, contre la vie elle-même. Il méprise grand nombre de vies animales, végétales et même humaines ! Il accepte que la famine tue encore 25 000 humains chaque jour tandis que nous jetons 3,5 tonnes de nourriture. Il accepte que 9 millions de personnes meurent prématurément de la pollution de l’air dans le monde. Il accepte que les populations des pays pauvres travaillent dans des conditions déplorables pour que nous puissions acheter chez nous un énième jean au coût le plus bas. Il accepte qu’on exploite encore de nos jours le travail des enfants, que des personnes meurent de cancers causés par la prolifération des polluants et des agents toxiques. Il accepte que des lobbies de l’industrie chimique s’enrichissent quand les plus défavorisés vivent entassés dans des environnements pollués et se demandent chaque jour comment ils vont payer leurs loyers en fin de mois. Il accepte beaucoup de choses…
C’est ainsi que la disparition des espaces de vie du monde animal pourrait être à l’origine de la crise sanitaire que nous traversons, les animaux n’ayant plus assez de forêts, leurs territoires se rapprochant des villes et favorisant de la sorte la propagation des virus. C’est ainsi encore que la probabilité que le dérèglement climatique ne soit pas lié à l’Homme est inférieure à 0,0005 %. Il est donc bien lié à ses modes de production et de consommation, à ses voitures, à ses usines, à ses systèmes de chauffage, à son agriculture conventionnelle, à sa pêche intensive, aux produits toxiques auxquels il a recours. C’est ainsi que par ses soins, le vivant disparaît si vite ! C’est tout notre modèle de société qui est à repenser. La crise sanitaire mondiale du Covid-19 a le mérite de mettre en évidence la défaillance de notre système économique et social, mais aussi de nous montrer que changer nos priorités est possible. Elle révèle la vulnérabilité de nos appareils de santé liée à une économie mondialisée où la vie des individus et des populations est subordonnée à des gestions comptables et soumise à des objectifs de rentabilité financière essentiellement dictés par des intérêts privés. Elle met en lumière les inégalités sociales, l’injustice par laquelle les plus démunis sont les plus durement frappés. Elle nous montre que la délocalisation de tous les essentiels, si elle est source de profits, crée en revanche des dépendances immenses et que la Recherche et l’Éducation ont été délaissées et qu’elles manquent cruellement de moyens pour accomplir leur mission. Elle montre que lorsqu’on suspend les activités marchandes, l’air peut redevenir respirable ! Pourquoi ne pas imaginer alors un monde où les richesses seraient mieux réparties, où la santé deviendrait objet d’éducation, où chacun pourrait être non seulement soigné, mais devenir acteur de sa propre santé, en étant conscient de l’importance de prévenir la maladie plutôt que d’avoir à la guérir, où le local peu à peu se substituerait au global pour que nous sortions d’une dépendance qui nous met en danger, où les enfants sauraient que le monde est en danger mais qu’il existe des solutions ?
Agissons dès maintenant pour ne rien regretter demain !
Devant la complexité des facteurs en présence et des interactions qui lui sont liées, nous avons tendance à nous dire : « Mais qu’est-ce que je peux faire à moi tout seul ! ». C’est méconnaître notre pouvoir. Ma première idée est celle de commencer par soi-même en se disant : «Je me lance et j’agis, je n’attends pas que d’autres me précèdent. Je serai sûrement rejoint sur le chemin et nous serons de plus en plus nombreux !» Nos gouvernements, on le voit dans la manière dont les dernières COP sur le climat (ces instances de décisions majeures du sort de la vie) se sont déroulées, n’arrivent pas à prendre des décisions à la taille des enjeux. Les scientifiques le disent : les objectifs ne sont pas assez ambitieux (sans compter que si petits soient-ils, nous n’arrivons pas à les tenir !). Alors il revient à chacun d’entre nous de prendre les choses en main à son niveau. Il ne s’agit pas de faire de petits gestes par ci par là pour se donner bonne conscience. Le seul geste de trier ne suffit plus, même s’il est évidemment nécessaire. Il convient désormais de nous engager entièrement dans une approche transversale de la problématique, à tous les niveaux possibles. La demi-mesure ne sera pas suffisante. Nous devons faire un demi-tour à 180°. A chaque action, nous pouvons nous demander si nous sommes bien en train de servir la vie par notre action. Et ce processus peut vraiment nous apporter beaucoup de joie. C’est mon cas et celui de nombre de mes amis et proches qui sont lancés dans la transition et qui adorent découvrir ensemble de nouveaux gestes à ajouter à leurs habitudes.
L’achat : notre grand pouvoir
C’est majoritairement par notre mode d’achat que nous construirons le monde que nous voulons pour demain. Nous pouvons désormais arrêter de donner notre argent à des entreprises qui traitent leurs employés comme des esclaves, qui sont basées à l’autre bout du monde, qui polluent, qui utilisent des produits toxiques. Tournons-nous plutôt vers de petites structures qui nous fourniront de préférence en produits bio, locaux et de saison. Choisissons d’encourager par nos achats ceux qui n’emploient pas de produits toxiques ni de pesticides, qui se soucient de leurs employés, des animaux, des plantes, qui se soucient de notre santé et du climat… Renseignons-nous et choisissons les structures qui collent le plus à nos valeurs. Évidemment, la question du prix est importante mais à terme nous gagnerons à privilégier la qualité à la quantité.
• Vers d’autres modes de déplacement
Des solutions efficaces et non polluantes existent et nous devons continuer de faire pression sur nos décideurs pour qu’ils les mettent en place. Dans le même temps, nous pouvons choisir de limiter drastiquement nos déplacements polluants au profit de déplacements plus doux comme la marche, le vélo, les transports en commun. Il ne s’agit pas de lubies de bobos. Ces pratiques répandues à l’échelle planétaire réduiraient la pollution de manière significative. Dans les grandes villes, un trajet en voiture sur deux fait moins de 3 km. Réduire la pollution de l’air de moitié y est donc possible ! Les publications des Agences agréées de surveillance de la qualité de l’air en cette période de confinement le prouvent…
• Usines : chasse à la surconsommation
Quant aux usines, il serait souhaitable que nous participions à réduire drastiquement leur activité. Beaucoup de ce qu’elles produisent n’est pas de première nécessité. Si nous y renonçons, les industries n’auront plus d’intérêt à continuer de les produire. Nous pouvons nous passer de beaucoup de choses et le confinement actuel nous le rappelle. Aller vers plus de sobriété peut nous offrir énormément : quand on quitte le monde de l’avoir, on retrouve notre être véritable pour le plus grand bonheur.
• Alimentation saine
Cela n’est plus à démontrer, les produits les moins sophistiqués, locaux, de saison et issus de l’agriculture biologique sont à privilégier pour nous éviter de manger, de respirer ou de boire notre cancer de demain. Ils contiennent plus de vitamines et d’acides aminés que ceux vantés par l’industrie agro-alimentaire à grands frais de publicité. Et si par ailleurs nous devenions tous végétariens, le taux de mortalité reculerait de 6 à 10 % tout en mettant un coup d‘arrêt à la maltraitance des animaux d’élevage et en réduisant les taux de pollution. Mais limiter notre consommation de viande serait déjà un pas dans la voie de la santé et du respect de l’environnement. Notons enfin qu’une alimentation saine combattrait ce fléau qu’est l’obésité moderne, renforcerait nos défenses immunitaires et permettrait de la sorte de lutter efficacement contre l’agressivité de certains virus.
Agissons pour la vie sur Terre main dans la main
On le voit, des solutions sont à portée de main. Elles ne suffiront peut-être pas à sauver l’humanité, car la machine du changement climatique et de l’extinction du vivant est à présent lancée. Nombre de scientifiques pensent en effet qu’il sera difficile de l’arrêter et l’ONU parle de «génocide environnemental en cours». Mais nous pouvons essayer, sinon de la stopper, du moins de la freiner pour le plus grand bien de tous. Cela nous aidera à vivre mieux les changements qui se préparent, non seulement parce que nous aurons cherché à faire quelque chose, mais parce que nous aurons cherché à le faire ensemble. Précisément parce que les temps qui viennent s’annoncent difficiles, nous serions sûrement plus heureux de les traverser main dans la main, tous solidaires, plutôt qu’armés les uns contre les autres…
Marie-Anne LE MEUR