« Mettez dans vos discours un peu de modestie, ou je vais sur-le-champ vous quitter la partie ». Molière aurait-il imaginé que Tartuffe réponde à des questions d’actualité et ce, à l’issue d’un second tour des élections législatives qui vient de lever l’hypothèque (posée par les élections européennes) du basculement de la France à l’extrême droite.
A la faveur du débat sur la constitution du Gouvernement, des volontés s’éveillent pour imposer unilatéralement un programme, que d’aucuns affirment par ailleurs intangible car supposément adoubé par le peuple. Comment peut-on oublier une des règles simplement de bon sens, que les électeurs eux connaissent, qui est celle du choix au premier tour et de l’élimination au second tour ? Tout le monde a conscience que cette mécanique électorale est un des fondements de la démocratie. Donc, non, le refus du projet lepéniste ne vaut pas adhésion au programme porté par la formation politique sortie en tête du front républicain.
Aujourd’hui, l’Assemblée nationale est donc divisée en plusieurs groupes dont on pourrait dire qu’il s’agit des trois tiers. On ne peut que se remémorer la superbe formule de Marcel Pagnol dans Marius, où César explique à son fils ce qu’il en est des quatre tiers. Il est acté que les trois tiers de l’Assemblée nationale ne seront, bien entendu, pas les mêmes puisque nous pouvons supposer à ce jour une dizaine de groupes à l’assemblée alors que 22 nuances politiques étaient présentes au premier tour des élections législatives.
Les résultats sont là :
- 8 744 080 voix pour le Rassemblement National
- 7 004 525 voix pour le Nouveau Front Populaire
- 6 313 808 voix pour la Majorité Présidentielle
- Et 5 217 300 voix pour les autres nuances politiques, serait-ce le quatrième tiers de César ?
Si nous voulons être encore plus objectifs, réfléchissons sur les 16 424 052 abstentionnistes et les 850 711 votants blancs ou nuls.
Alors renouons avec le thème de la modestie ! Remontons à 1988 où le gouvernement Rocard s’est trouvé sans majorité absolue à l’Assemblée nationale et qu’il a fallu composer avec l’Union du Centre, coalition qui éclatera après le départ de Michel Rocard. Ou encore en 1962, face à l’absence de majorité, le Général de Gaulle dissout l’Assemblée nationale, propose un référendum qui sera suivi d’élections législatives. L’adoption de la réforme proposée entraînera l’élection d’une Assemblée nationale largement majoritaire au Président. Souvenons-nous donc que la pratique de la Ve République, qui permet au Président élu de disposer d’une Assemblée nationale de la même tendance politique, n’est recevable que pour autant que le peuple y consent.
Mais nous sommes maintenant devant la difficulté d’un Président qui n’est plus en cohérence avec la représentation nationale. Un vrai divorce est installé. Il faut comprendre également qu’il ne s’agit pas de revenir au régime de cohabitation habituelle, opposant un président de la République à un Premier ministre représentant une majorité hostile au chef de l’État au sein de l’Assemblée nationale, mais que nous sommes en pleine composition, en ce sens que le Président est amené à composer avec un chef du Gouvernement qui ne lui est pas nécessairement acquis, lequel doit de surcroît composer avec les partis et groupements politiques représentés au sein de la Chambre basse.
Gageons par ailleurs que ces derniers se remémorent de l’office qui leur est dévolu par l’article 4 de la Constitution, à savoir qu’« ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie » et qu’ils relèguent, pour une fois, leur mécanique d’écurie, fabrique de prétendants à l’élection présidentielle, afin de suivre scrupuleusement le message qui leur a été adressé par les Français.
La question qui se pose est celle de la dispersion des formations politiques face aujourd’hui à un bloc dévoyant le terme de rassemblement puisqu’il n’a pour programme que le rejet, l’exclusion de l’autre et le repli identitaire. Il est clair que ce projet a été rejeté par la majorité des électeurs, et c’est la seule chose intangible. La démocratie qui s’est exprimée le 7 juillet, nous impose la modestie, aucun programme n’obtient une majorité, même relative. La responsabilité des partis et groupements politiques est d’agir avec lucidité, de le dire et alors nous serons crédibles. Nous avons aujourd’hui le devoir de respecter le vote des Françaises et des Français. Le temps de faire front est passé, il faut désormais gouverner et composer afin que pour l’avenir personne ne quitte la partie.