Publié le 26 août 2022 à 9h24 - Dernière mise à jour le 25 août 2023 à 12h17
Quand on pense développement économique, on pense encore très souvent rattrapage. On conçoit que les pays en développement vont et doivent refaire peu ou prou le même chemin que les pays les plus avancés pour se hisser, à terme, au même niveau qu’eux.
Dans les années 60, le classique de William W. Rostow Les étapes de la croissance économique (1961) a ainsi tracé le parcours contraignant à travers lequel les pays doivent passer pour se développer, installant une vision qui, jusqu’à nos jours, aura été particulièrement durable. Une vision qui, bien entendu, n’est certainement pas sans pertinence, tant les pays émergents connaissent et reproduisent effectivement des phénomènes -transition démographique, élargissement de leur classe moyenne, importance prise par le secteur des services …– identiques à ceux qu’ont historiquement connus des pays plus développés. Toutefois, cette vision, quoique pertinente, est devenue trop limitative. Car aujourd’hui, les nouvelles technologies invitent à dépasser l’idée de rattrapage. Elles peuvent même donner aux pays en plein essor une certaine avance par rapport aux économies les plus anciennement développées.
Prenons par exemple le cas des services bancaires. Imagine-t-on que l’Afrique, avec la bancarisation de ses populations, va se couvrir d’agences et d’automates bancaires comme cela a été le cas en Occident et va voir se généraliser l’usage de moyens de paiement comme le chèque ou même les cartes ? Certainement pas ! L’Afrique adoptera plus rapidement que l’Europe la banque digitale, sur mobile et en ligne. D’autant plus que n’ayant pas à reconvertir et à entretenir le temps d’en développer de nouvelles, d’importantes infrastructures bancaires, cela lui coûtera beaucoup moins cher.
Bien d’autres exemples pourraient être donnés qui illustrent aussi bien l’obligation de penser le développement économique sous de nouveaux paradigmes, parmi lesquels, l’un -tiré de ma propre expérience des secteurs dans lesquels j’exerce en Mauritanie : la logistique énergétique et la transformation agroalimentaire- me paraît essentiel. Il a trait à la mise aux normes pour se hisser aux standards internationaux.
En 2014, nous avons racheté Maurilog SA, qui fournit des services logistiques aux industries extractives, particulièrement pétrolières et gazières, quand tout allait mal dans ce secteur. Les perspectives, en effet, étaient alors peu encourageantes. Les nouveaux gisements, dont celui de «Grand Tortue Ahmeyim», partagé entre la Mauritanie et le Sénégal- n’étaient pas encore réellement attestés et leur éventuelle exploitation en offshore profond s’annonçait difficile. Le prix du baril ne cessait de baisser et l’exploitation du premier champ pétrolier découvert en Mauritanie était très décevante. Dans ces conditions, l’opérateur logistique allemand DB Schenker ne voulait plus opérer dans notre pays directement mais à travers un partenaire local. Ce fut notre opportunité !
Nous avons racheté la filiale mauritanienne de DB Schenker et nous avons maintenu un partenariat opérationnel avec eux. Personnellement, j’avais une certaine expérience des partenariats internationaux, avec des acteurs de la taille de Yamaha notamment, dans le secteur de la pêche. Pourtant, en reprenant les activités de DB Schenker, nous changions véritablement de dimension. Il nous fallait entretenir des équipements et des infrastructures et les développer tout en étant soumis à un faisceau d’exigences élevées. Notre but était d’assurer la logistique d’acteurs internationaux de la taille de Kosmos Energy, puis de BP et bien d’autres. Pour cela, pour les convaincre, il nous fallait acquérir une reconnaissance internationale.
Une nouvelle identité validée par de nombreuses certifications, soumises à un contrôle permanent, attestant de notre capacité à satisfaire les normes internationales de conformité, de sécurité, de probité, aussi bien que de respect de l’environnement. Ceci, dans un secteur qui ne tolère ni panne, ni défaillance et qui n’accepte aucun accident de travail. Au total, nous avons ainsi accédé au statut de Local Contact pour des leaders internationaux du secteur. Un statut non pas de simples sous-traitants mais de véritables partenaires.
Ce fut, je dois dire, une première pour une entreprise 100% mauritanienne mais Maurilog ne représente aujourd’hui nullement un exemple isolé. Le développement passe désormais par des approches de ce type, collaboratives et apprenantes, favorisant l’agilité entrepreneuriale.
Une telle approche, qui demande avant tout de l’audace, est lourde de conséquences. Il ne s’agit pas de refaire ce que d’autres ont fait mais d’adopter les standards d’un monde résolument ouvert, avec de nouveaux défis et risques. Dans ce monde, comme avec les nouvelles technologies, les normes qui s’appliquent aux modes opératoires guident et favorisent le développement, tout en offrant d’immédiates opportunités, mais elles ne sont, ni un objectif, ni le cadre rigide d’un parcours de transformation qui doit se réinventer.
Reposant sur des initiatives entrepreneuriales locales, opportunistes, innovantes et souvent disruptives, l’approche réclame des encouragements et des facilitations de la part de la puissance publique, plus qu’une planification centralisée et directive. Ce dernier point est essentiel et les États du Continent y répondent de mieux en mieux. Mais tout ceci est déjà un autre sujet…
[(Mohamed Abdellahi Yaha est président du Groupe Maurilog SA, ancien Délégué Général à la Promotion de l’Initiative Privée en Mauritanie)]