Tribune de  Mohamed Laqhila : La dette française, un défi pour la souveraineté et l’avenir de notre modèle social

La dette, comme le cholestérol, a son bon et son mauvais côté.

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Mohamed Laqhila, ancien député des Bouches-du-Rhône et vice-président du MoDem13 © archives Destimed/RP

La dette publique peut être comparée au cholestérol dans le corps humain : elle peut être bénéfique lorsqu’elle est bien utilisée, mais devenir dangereuse si elle n’est pas maîtrisée. À l’image du « bon cholestérol », une « bonne dette » sert à financer des investissements stratégiques : infrastructures, transition écologique, innovation, éducation. Ces investissements créent de la valeur à long terme, renforcent la compétitivité du pays et préparent l’avenir.

En revanche, la « mauvaise dette », comme le « mauvais cholestérol », est celle qui finance des dépenses courantes sans impact durable, alourdissant la charge financière pour les générations futures. Lorsque l’État s’endette pour couvrir des déficits structurels ou répondre à des urgences conjoncturelles sans perspective de rentabilité économique ou sociale, il compromet sa souveraineté et son équilibre budgétaire.

L’enjeu pour la France n’est donc pas tant d’éliminer la dette – un objectif irréaliste dans une économie moderne – mais de l’utiliser de manière responsable et stratégique, en favorisant les dépenses porteuses d’avenir et en réduisant celles qui n’apportent pas de bénéfices tangibles à long terme.

La dette publique de la France est devenue un sujet incontournable dans le débat public. À la croisée des enjeux économiques, sociaux et politiques, elle interroge notre capacité à préserver un modèle social ambitieux tout en garantissant notre souveraineté face à des créanciers internationaux. Loin d’être un simple exercice comptable, la gestion de la dette conditionne l’avenir de notre société et de notre indépendance nationale.

Une dette sous surveillance internationale

Avec une dette publique avoisinant les 3 200 milliards d’euros en 2024, soit près de 112 % du produit intérieur brut (PIB), la France est dans une situation critique. Cette dette, majoritairement détenue par des investisseurs étrangers, expose le pays à une perte de contrôle sur ses choix économiques. Les agences de notation, véritables vigies des marchés financiers, dictent leur loi : une dégradation de la note française pourrait entraîner une hausse des taux d’intérêt et rendre le coût de la dette encore plus lourd.

Mais au-delà des chiffres, c’est un enjeu de souveraineté qui se joue. Comment prendre des décisions stratégiques pour le pays lorsque la moindre variation des marchés peut paralyser toute ambition politique ? La dépendance aux créanciers étrangers limite la liberté de manœuvre de l’État, réduisant la politique économique à un exercice de conciliation entre les exigences des marchés et les attentes des citoyens.

L’avenir du modèle social en question

La dette publique ne finance pas uniquement des infrastructures ou des projets d’investissement ; elle soutient également le modèle social français, l’un des plus protecteurs au monde. Santé, retraites, éducation, prestations sociales : autant de piliers qui assurent la cohésion de notre société, mais qui représentent une part substantielle des dépenses publiques.

Face à cette situation, les appels à la « rigueur budgétaire » se multiplient, menaçant directement les acquis sociaux. Les réformes successives des retraites ou de l’assurance chômage illustrent cette tension croissante entre la nécessité de réduire les déficits et le maintien des droits sociaux. Pourtant, sacrifier le modèle social sur l’autel de la dette serait une erreur historique. Ces filets de sécurité ne sont pas des charges, mais des investissements dans le bien-être et la stabilité de la nation.

Une dette pour investir, pas pour s’endetter

Il est essentiel de redéfinir la relation entre dette publique et souveraineté. La dette peut être un levier puissant pour financer la transition écologique, l’innovation technologique et le renforcement de nos infrastructures stratégiques. Mais pour cela, elle doit être orientée vers des investissements porteurs d’avenir, et non vers la gestion de dépenses courantes ou le paiement des intérêts passés.

La France doit également s’interroger sur les conditions de son financement. Pourquoi ne pas développer davantage des mécanismes de financement domestiques, comme des obligations citoyennes, pour réduire la dépendance aux marchés internationaux ? Ce type d’initiative pourrait réconcilier les citoyens avec la dette publique en leur permettant de devenir acteurs de la souveraineté financière du pays.

Réconcilier souveraineté et solidarité

Le défi est donc de concilier deux impératifs : préserver la souveraineté économique de la France tout en consolidant son modèle social. Cela passe par une gestion plus stratégique de la dette, mais aussi par une réflexion collective sur la manière de partager équitablement les efforts nécessaires.

La dette ne doit pas être un prétexte pour détruire notre modèle social, mais une opportunité pour le réinventer et le rendre plus durable. C’est une question de choix politiques, mais aussi de vision : voulons-nous être un pays qui subit les contraintes des marchés financiers, ou un pays qui, fort de sa souveraineté, bâtit un avenir solidaire et prospère pour ses citoyens ?

Il appartient aux responsables politiques, mais aussi à chaque citoyen, de faire entendre leur voix pour défendre cette vision d’un État souverain, protecteur et innovant. La dette n’est pas une fatalité ; c’est une opportunité de repenser notre modèle, à condition d’avoir le courage de transformer cette contrainte en force.

Une piste pour l’avenir : un financement contributif et équitable du modèle social

Pour préserver notre modèle social tout en répondant aux impératifs de la dette, il est urgent d’explorer de nouvelles sources de financement. Une piste intéressante réside dans la mise en place d’une ressource contributive universelle « RCU », inspirée de la logique de la TVA. Ce mécanisme permettrait de financer les grandes missions sociales de l’État tout en répartissant équitablement l’effort entre tous les citoyens et acteurs économiques.

Pourquoi une ressource contributive universelle ?

La TVA, bien que critiquée pour son caractère régressif, a prouvé son efficacité comme levier de financement stable et pérenne. Elle s’appuie sur la consommation, un moteur économique difficilement délocalisable, et garantit une contribution large. S’inspirer de ce modèle pour concevoir une nouvelle ressource pourrait être une solution innovante pour répondre aux défis actuels.

Une telle ressource pourrait être prélevée non pas uniquement sur la consommation, mais aussi sur d’autres formes d’activité économique ou de création de valeur, y compris dans les secteurs aujourd’hui moins taxés, comme le numérique ou l’économie de plateforme. L’idée serait d’établir un prélèvement progressif et équitable, tenant compte des capacités contributives de chacun, tout en restant simple à collecter et à gérer.

Un financement adapté à l’économie contemporaine

Cette ressource contributive universelle pourrait également répondre aux défis posés par les transformations économiques. L’économie numérique, par exemple, génère des richesses considérables mais reste sous-taxée par rapport à son poids réel. En élargissant la base contributive à ces secteurs, tout en veillant à ne pas pénaliser les acteurs émergents, la France pourrait moderniser son modèle fiscal tout en renforçant la justice sociale.

Ce type de prélèvement pourrait également inclure une dimension environnementale, en taxant plus fortement les activités polluantes ou non durables. Ainsi, il ne s’agirait pas seulement de financer notre modèle social, mais aussi d’encourager une transition écologique cohérente avec les enjeux du XXIᵉ siècle.

 Une condition essentielle : l’adhésion citoyenne

Pour qu’une telle réforme réussisse, elle devra s’accompagner d’une pédagogie claire et d’une transparence totale sur l’usage des fonds collectés. Les citoyens doivent pouvoir constater que leur contribution alimente directement les piliers de notre modèle social : santé, éducation, retraites, mais aussi des investissements structurants pour l’avenir.

En renforçant le lien entre la contribution de chacun et les bénéfices collectifs, cette ressource contributive pourrait restaurer la confiance dans l’État et dans la capacité de la France à relever les défis économiques et sociaux. Elle incarnerait un pacte de solidarité nationale renouvelé, où chacun, à la mesure de ses moyens, participe à la construction d’un avenir commun.

Une opportunité historique à saisir

Le moment est venu d’envisager des solutions audacieuses et adaptées aux réalités de notre époque. La mise en place d’une ressource contributive universelle, bien pensée et équitable, pourrait devenir l’outil clé pour préserver la souveraineté économique de la France tout en renforçant son modèle social.

Ce projet ne sera pas sans défis, mais il offre une chance unique de réconcilier les impératifs économiques, sociaux et environnementaux. Faire le choix d’une telle réforme, c’est refuser de sacrifier notre avenir au poids de la dette et affirmer que la solidarité, loin d’être une faiblesse, est la force qui nous permettra de bâtir un modèle durable et souverain. C’est aussi une invitation à repenser ensemble ce que signifie être citoyen d’une nation : non seulement bénéficier des droits qu’elle garantit, mais aussi contribuer activement à son avenir.

Une nouvelle ressource contributive, mais pas sans réflexion sur la dépense publique

La mise en place d’une nouvelle ressource contributive, si elle constitue une solution prometteuse pour financer durablement notre modèle social, ne doit pas nous dispenser de réfléchir à la gestion de la dépense publique. Chaque euro collecté par l’État, qu’il provienne de l’impôt, de la dette ou de cette nouvelle contribution, doit être utilisé de manière efficace, transparente et au service de l’intérêt général. La réduction des mauvaises dépenses publiques est donc un impératif complémentaire à la création de cette ressource.

Identifier et réduire les mauvaises dépenses

La « mauvaise dépense publique » ne se limite pas aux dépenses excessives ou inutiles ; elle inclut aussi celles qui manquent d’efficience ou qui répondent mal aux besoins de la population. Il ne s’agit pas de réduire aveuglément les budgets, mais de poser un diagnostic précis sur les programmes publics afin de distinguer les investissements stratégiques des dépenses obsolètes ou mal gérées.

  • Audits indépendants des politiques publiques : Des audits réguliers et indépendants permettraient d’évaluer l’efficacité des programmes financés par l’État. Quels dispositifs atteignent réellement leurs objectifs ? Quels secteurs nécessitent une réorganisation pour mieux répondre aux attentes des citoyens ?
  • Simplification administrative : La complexité bureaucratique en France est souvent pointée du doigt comme une source de gaspillage. Réduire les doublons administratifs, mutualiser certaines fonctions et simplifier les démarches pourrait générer des économies substantielles tout en améliorant la qualité des services publics.
  • Prioriser les investissements à long terme : Une partie des dépenses publiques souffre d’un manque de vision stratégique. Il est essentiel d’allouer les ressources à des projets qui renforcent la résilience économique et sociale du pays, plutôt que de maintenir des dépenses dont l’impact est marginal ou temporaire.

Réorienter les économies vers des besoins prioritaires

L’objectif d’une réduction des mauvaises dépenses ne doit pas être une austérité stérile, mais une réorientation des ressources vers des priorités nationales. Les économies réalisées pourraient servir à :

  • Renforcer les investissements dans la santé, l’éducation ou la transition écologique, des secteurs essentiels pour préparer l’avenir ;
  • Réduire la dette publique en limitant le poids des intérêts ;
  • Alléger la pression fiscale sur les citoyens et les entreprises, tout en maintenant un financement stable pour les politiques sociales.

Transparence et responsabilité

Pour que cette démarche soit acceptée par les citoyens, elle doit être accompagnée d’une transparence totale sur les choix opérés. La publication régulière de rapports clairs et accessibles, détaillant l’usage des fonds publics et les résultats obtenus, est indispensable pour restaurer la confiance dans l’action publique.

Une réforme à double volet

Ainsi, la réflexion sur la dépense publique et la mise en place d’une ressource contributive universelle ne s’opposent pas, mais se complètent. D’un côté, une nouvelle source de financement garantirait la pérennité de notre modèle social en répartissant équitablement l’effort ; de l’autre, une gestion optimisée des dépenses publiques assurerait que chaque euro collecté est utilisé à bon escient.

Ce double mouvement, associant solidarité contributive et responsabilité budgétaire, pourrait redonner à l’État les moyens d’agir tout en renforçant la souveraineté économique et sociale de la France. Il s’agit, au fond, d’un appel à une gouvernance éclairée, où les citoyens ne sont pas seulement des contributeurs, mais des partenaires dans la construction d’un avenir durable et juste.

 Conclusion : Choisir la bonne dette pour bâtir l’avenir

Comme pour le cholestérol, tout est question d’équilibre et de discernement. La dette publique ne doit pas être diabolisée, mais appréhendée avec intelligence. La « bonne dette », investie dans des projets structurants, peut devenir un levier de prospérité et de souveraineté. La « mauvaise dette », en revanche, doit être réduite, car elle alourdit inutilement la charge financière de l’État.

Pour répondre aux défis actuels, la France doit s’engager dans une double réforme : orienter la dette vers des investissements stratégiques tout en rationalisant les dépenses publiques. Ce n’est qu’en faisant ces choix responsables et audacieux que notre pays pourra préserver son modèle social, garantir sa souveraineté économique et offrir à ses citoyens un avenir durable et solidaire.

Mohamed Laqhila est ancien député des Bouches-du-Rhône et vice-président du MoDem 13

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