Tribune de Seif Eddine Fliss. ‘La BCE : 25 ans et aprĂšs ?’

Publié le 7 juin 2023 à  18h20 - DerniÚre mise à  jour le 1 août 2023 à  15h21

Destimed photo portrait Seif copie
Seif Eddine Fliss ancien Consul Général de Tunisie (Photo D.R)

Seif Eddine Fliss est ancien Consul GĂ©nĂ©ral de Tunisie – Doyen du Corps Consulaire de Marseille. Il est doctorant, chercheur en sciences politiques (politiques publiques, finance, zone Euro). Sa premiĂšre tribune dans Destimed porte sur la Banque Centrale EuropĂ©enne.

La Banque Centrale EuropĂ©enne (BCE), a cĂ©lĂ©brĂ© le 1er juin 2023, son 25e anniversaire. Cette institution maĂźtresse de l’Union EuropĂ©enne (UE), fut un aboutissement marquant de la construction monĂ©taire europĂ©enne, dont l’histoire avait Ă©tĂ© jusqu’alors traversĂ©e par de nombreuses crises financiĂšres et de change. En tant qu’institution de l’UE, la BCE obĂ©it Ă  des rĂšgles clairement dĂ©finies, fixĂ©es par le droit communautaire, en incluant ses branches : droit primaire et droit dĂ©rivĂ©.

Actuellement prĂ©sidĂ©e par l’ancienne ministre française de l’Économie et l’ancienne Directrice GĂ©nĂ©rale du FMI, Christine Lagarde, la BCE a succĂ©dĂ© Ă  l’Institut MonĂ©taire EuropĂ©en (IME), qui avait lui-mĂȘme, remplacĂ© en janvier 1994 le Fonds EuropĂ©en de CoopĂ©ration MonĂ©taire (Fecom) crĂ©e en avril 1973.

La BCE est la synthÚse des histoires monétaires nationales en Europe

Incontestablement, nous pouvons dire que la BCE est la synthĂšse des histoires monĂ©taires nationales en Europe, jusque-lĂ  bien diffĂ©rentes. Elle constitue par consĂ©quent un aboutissement du processus de construction monĂ©taire europĂ©enne, engagĂ© depuis l’adoption du TraitĂ© de Rome en 1957, qui a posĂ© les fondements de la CommunautĂ© EuropĂ©enne (CE), en vue de crĂ©er une Union de plus en plus Ă©troite entre les peuples d’Europe, en fixant le cadre d’un marchĂ© commun, ainsi que d’une Union Économique et MonĂ©taire (UEM), communĂ©ment appelĂ©e « zone euro ».

La BCE est dirigĂ©e par un Conseil des gouverneurs, composĂ© des membres du directoire de la BCE et des gouverneurs des banques centrales nationales des pays de la zone euro. La mission de base de la BCE est l’Ă©mission de l’euro en collaboration avec les banques centrales nationales (BCN). Son principal objectif est le maintien de la stabilitĂ© des prix dans la zone euro en maintenant l’inflation Ă  un niveau infĂ©rieur, mais proche de 2 % Ă  moyen terme. Pour atteindre cet objectif, la BCE utilise divers outils, notamment les taux d’intĂ©rĂȘt, les opĂ©rations « d’open market » et d’autres mesures non conventionnelles.

«La BCE a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e sur un modĂšle d’indĂ©pendance»

La BCE a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e sur un modĂšle d’indĂ©pendance. Elle ne prend aucun ordre, ni n’est influencĂ©e par les demandes des États membres. Si son conseil et son prĂ©sident sont bien nommĂ©s par les gouvernements des pays de la zone euro, la BCE ne doit prĂ©senter ses actions et bilans que devant le Parlement europĂ©en.

Depuis la grande crise financiĂšre et bancaire des «subprimes» qui a frappĂ© les États-Unis en 2007-2008 et s’est propagĂ©e dans le monde, y compris les États membres de la zone euro, la BCE s’est dotĂ©e du rĂŽle de superviseur bancaire au sein du MĂ©canisme de surveillance unique (MSU).

Désormais, la BCE est responsable de la supervision des banques importantes dans la zone euro afin de garantir la stabilité du systÚme financier et la protection des déposants. Par ailleurs, le rÎle de la BCE est déterminant dans la préservation de la stabilité financiÚre dans la zone euro, en surveillant les marchés financiers, évaluant les risques et prenant des mesures pour prévenir les crises financiÚres et atténuer leurs effets.

«En 2020, l’émergence de la crise liĂ©e Ă  la propagation de l’épidĂ©mie de la Covid-19»

En 2020, l’émergence de la crise liĂ©e Ă  la propagation de l’épidĂ©mie de la Covid-19 a de nouveau poussĂ© les banques centrales Ă  rĂ©agir en assouplissant l’orientation de la politique monĂ©taire, ce qui s’est traduit par le recours massif aux mesures non conventionnelles. Il en a rĂ©sultĂ© une forte augmentation de la taille de leur bilan. Dans ce sillage, la BCE lance en mars 2020, un plan d’achat de dettes en mettant en place le programme PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme), qui lui permet d’acheter jusqu’Ă  1 350 milliards d’euros d’actifs, dont une majoritĂ© d’obligations d’États membres.

En outre, l’adoption en juillet 2020, sous la prĂ©sidence allemande (appuyĂ©e par la France), d’un nouveau plan de relance dont le montant global s’élĂšve Ă  750 milliards d’euros, a aidĂ© Ă  mieux affronter la rĂ©cession consĂ©cutive Ă  la crise sanitaire due Ă  la Covid-19 et ce, malgrĂ© la rĂ©ticence des pays « frugaux » (Pays-Bas, SuĂšde, Autriche, Danemark). L’adoption de ce plan de relance Ă©tait un Ă©vĂ©nement historique, puisque c’est la premiĂšre fois que la Commission europĂ©enne s’endette sur trois dĂ©cennies, au nom des 27 États membres, pour un montant aussi important.

En mai 2023, la croissance de l’économie de la zone euro s’est Ă©tablie Ă  0,1 % au premier trimestre 2023. Quant Ă  l’inflation, elle s’est Ă©tablie Ă  7 % en avril 2023, aprĂšs ĂȘtre revenue de 8,5 % en fĂ©vrier Ă  6,9 % en mars. Bien que la confiance des entreprises et des consommateurs se soit redressĂ©e rĂ©guliĂšrement ces derniers mois, elle reste toutefois, en deçà des niveaux observĂ©s avant la guerre en Ukraine. D’aprĂšs le dernier bulletin Ă©conomique publiĂ© par la BCE en mai 2023, «les perspectives d’inflation demeurent trop Ă©levĂ©es sur une pĂ©riode trop longue», ce qui a amenĂ© le Conseil des gouverneurs, lors de sa rĂ©union du 4 mai 2023, d’augmenter les trois taux d’intĂ©rĂȘt directeurs de la BCE de 25 points de base.

«Assurer un retour au plus tĂŽt de l’inflation au niveau de son objectif de 2 %»

Selon la mĂȘme source, les dĂ©cisions futures du Conseil des gouverneurs «feront en sorte que les taux directeurs soient fixĂ©s Ă  des niveaux suffisamment restrictifs pour assurer un retour au plus tĂŽt de l’inflation au niveau de son objectif de 2 % Ă  moyen terme» (2024-2025). S’agissant du programme PEPP, le Conseil des gouverneurs entend rĂ©investir les remboursements au titre du principal des titres arrivant Ă  Ă©chĂ©ance acquis dans le cadre du programme au moins jusqu’à la fin de 2024. L’augmentation galopante et inĂ©dite de l’inflation causĂ©e essentiellement par la crise Ă©nergĂ©tique et gĂ©opolitique dĂ©clenchĂ©e par la guerre russe en Ukraine, dĂ©note que les prochains mois et mĂȘme les prochaines annĂ©es ne seront pas faciles pour la BCE dont la vocation principale Ă©tait depuis sa crĂ©ation, il y a un quart de siĂšcle, la maĂźtrise de l’inflation autour d’un niveau bas de plus ou moins 2%.

En effet, avec le changement du contexte europĂ©en et international, il s’avĂšre que la politique monĂ©taire de la BCE gagnerait Ă  changer de paradigme en dĂ©passant la rigiditĂ© des textes du droit communautaire, particuliĂšrement l’article 127 du TraitĂ© sur Fonctionnement de l’UE qui stipule que l’objectif principal de la BCE et le SEBC est de «maintenir la stabilitĂ© des prix». L’expĂ©rience de la RĂ©serve FĂ©dĂ©rale AmĂ©ricaine (Fed) nous semble intĂ©ressante, dans la meure oĂč la Fed en s’appuyant sur un grand nombre d’indicateurs qui dĂ©finissent sa stratĂ©gie, a un double objectif : stabiliser les prix et promouvoir la croissance Ă©conomique.

«Un bastion monétaire solide»

Nous estimons que les crises financiĂšres et Ă©conomiques qui ont secouĂ© l’économie mondiale, depuis la grande crise de 2008, ont nettement dĂ©montrĂ© que les politiques monĂ©taires de la Fed, en comparaison avec celles de la BCE, Ă©taient relativement plus souples et rĂ©actives, mais toutefois un peu moins rĂ©silientes que celles de la BCE qui, malgrĂ© la succession des crises, reste encore un bastion monĂ©taire solide et incontournable pour la consolidation de l’Union EuropĂ©enne en gĂ©nĂ©ral et l’unitĂ© de la zone euro en particulier.

Nul doute qu’avec le contexte actuel, la tĂąche de la PrĂ©sidente de la BCE Christine Lagarde et celle des membres de son directoire, n’est pas facile. Mais il ne faut pas oublier que la prĂ©sidente de cette institution est suffisamment rompue Ă  gĂ©rer efficacement les crises Ă  toutes leurs dimensions.

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