Publié le 7 septembre 2018 à 21h06 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Il y a une certaine ironie à voir Emmanuel Macron et Angela Merkel à Marseille, pour entre autres, parler de la Méditerranée, ne serait-ce qu’à travers la question migratoire. Car c’est bien la chancelière allemande qui a porté un coup terrible, sinon fatal, à la coopération entre les pays des deux rives. Reprenons rapidement : en octobre 2007, Nicolas Sarkozy appelle les 25 pays riverains ou proches [[Les 22 riverains plus le Portugal, la Jordanie et la Mauritanie]] de la Méditerranée à discuter «d’égal à égal», eau, environnement, énergie et transports. Le 20 décembre 2007, le Président français et les Premiers ministres espagnol et italien lancent même en ce sens «L’appel de Rome», plutôt bien accueillis même de l’autre côté de la Méditerranée.
Mais Angela Merkel met son veto. Pas question que l’Union européenne ne donne le moindre centime. Nicolas Sarkozy doit donc revoir son projet, et associer tous les pays européens aux riverains du sud. Lancée à Paris le 13 juillet 2006, l’Union pour la Méditerranée (UpM) devient donc un «machin» de 43 membres. Et pour nombre d’entre eux, la Méditerranée est un concept abstrait. Ce qui n’aurait pas été le cas avec une union de projets à 25 pays impliqués géographiquement et politiquement.
Les deux co-présidents de l’UpM ont ensuite quitté leurs fonctions : l’Égyptien Hosni Moubarak pour cause de Printemps arabe et Nicolas Sarkozy pour cause de défaite électorale. Leurs successeurs ne manifestant pas la même volonté politique, l’UpM est aujourd’hui une institution qui végète.
Angela Merkel ne tourne pas le dos à la Méditerranée. L’Allemagne a même pensé un temps installer de méga-centrales photovoltaïques dans le Sahara pour produire son électricité ; les rapports commerciaux avec l’Algérie se développent… Mais comme le veut l’adage, «un pays a surtout la diplomatie de ses frontières», et à l’Est de l’Allemagne, il y a encore de nombreux marchés à conquérir. Et des travailleurs en manque de travail. Ce n’est pas pour rien si la diplomatie européenne, où Berlin joue un rôle majeur, a joué à l’apprenti sorcier en proposant un partenariat privilégié à l’Ukraine. Joli marché en perspective. Reste que Sébastopol est le seul port en eaux libres de la Russie. Les ports de la Baltique sont difficiles d’accès surtout l’hiver, comme ceux du Pacifique, qui sont de plus bien éloignés. Même à l’heure d’Internet, ces liaisons physiques ont encore leur importance. Depuis les Tsars, les Russes cherchent à maîtriser des ports en eaux libres [[C’est l’une des raisons pour lesquelles Poutine soutient en Syrie Assad, qui lui facilite l’accès au port de Lattaquié.]] . Au XIXe siècle, dans leurs conquêtes des territoires de l’est (Turkménistan, Kazakhstan Tadjikistan…) Ils ont même visé l’est de l’Inde (aujourd’hui le Pakistan) pour trouver de tels ports. L’histoire a retenu que les Anglais les ont arrêtés en Afghanistan dans ce qu’on appelle «Le Grand Jeu». Mais, croire que Poutine aurait pu laisser planer une menace sur Sébastopol était une erreur qu’un étudiant en première années de science-politique n’aurait pas dû commettre. Et dans le dossier ukrainien, l’autocrate a montré qu’il n’était pas avare de violences. C’est la double erreur de la diplomatie européenne, inspirée par Berlin. Ne pas avoir délégué, par subsidiarité, l’intérêt de la Méditerranée aux pays méditerranéens. Et avoir cru pouvoir défier l’ogre russe parce que celui-ci était affaibli.
Thierry Noir est journaliste, professeur de journalisme à AMU (lid2ms)