Publié le 28 septembre 2018 à 19h54 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h30
Au XIXe siècle a été tracée arbitrairement la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, coupant en deux la terre historique des Pachtounes. Ce qui explique en grande partie le jeu trouble que joue aujourd’hui le Pakistan dans la lutte contre Al-Qaïda et le terrorisme islamiste.
Les historiens appellent cela le «Grand jeu». Une sorte de guerre froide entre Russes et Anglais, sans confrontation directe mais par peuples autochtones interposés. Au XIXe siècle, la Russie historique poussa sa «conquête de l’Est» et étend son emprise sur le Kazakhstan, le Turkménistan, le Tadjikistan… Son but est -on l’a vu à de nombreuses reprises dans cette chronique- de s’emparer de ports en eaux libres. La Russie ne peut rêver d’être une grande puissance si elle ne dispose que de ses ports de la Baltique, difficilement accessibles l’hiver, ou de Crimée, le détroit des Dardanelles étant contrôlé par la Turquie. Dans le même temps, les Anglais, eux, parachèvent leur conquête du Royaume des Indes. La rencontre est inévitable. Elle se produit en Afghanistan, où les Anglais aident les populations sur place, les Hazaras chiites et surtout les Pachtounes sunnites, à s’opposer à l’envahisseur russe et orthodoxe. Ils s’opposeront aussi à leurs anciens alliés anglais. En 1893 est signé entre Sir Mortimer Durand pour le Royaume-Uni et l’Émir Abdur Rahman Khan, chef des Afghans, un traité pour 100 ans fixant la frontière entre l’Afghanistan et l’Empire des Indes. Cette «ligne Durand» coupe en deux le territoire des Pachtounes. Dans ces terres de montagne, difficilement contrôlables, cette frontière a longtemps été uniquement virtuelle. Elle ne signifiait qu’un trait sur des cartes… que les populations locales ne possèdent pas. Puis vient en 1947 la décolonisation de l’Empire britannique, la naissance du Pakistan et de l’Inde dans la douleur et la guerre. Des millions de musulmans fuient l’Inde pour le Pakistan, des millions d’hindous fuient le Pakistan pour l’Inde, les deux pays se font la guerre au sujet du tracé des frontières du Cachemire… Nait entre les deux pays une hostilité, une animosité encore vivace aujourd’hui. Les deux pays sont toujours en état de guerre larvée [[Une des raisons pour lesquels ils ont l‘un et l’autre dépensé des milliards de dollars pour acquérir l’arme atomique, sans que la communauté internationale ne puisse faire pression contre. En effet, comme Israël, ils ne sont pas signataires du Traité de Non-Prolifération, contrairement à l’Iran et à la Corée du Nord.]]. Après 1947, le Pakistan a renoncé à contrôler sérieusement ce «pays Pachtoune» où les habitants sont d’une autre ethnie, d’une autre culture, parlent une autre langue. Il lui donne le nom de «zones tribales»… Il a tout intérêt à bien s’entendre avec ce peuple, car, en cas de conflit armé avec l’Inde, il pourrait lui offrir une «profondeur stratégique» (zone de repli militaire, voies d’approvisionnement…) y compris en Afghanistan. Mais vient un jour où le Mollah Omar, un Pachtoune, offre l’hospitalité à Ben Laden. Le code d’honneur des Pachtounes est d’une rigueur que l’on ne peut imaginer en Occident. Le Pakistan doit alors se poser la question de savoir qui est son ennemi principal ? Ben Laden ou l’Inde? Officiellement, dans les discours à la communauté internationale, et surtout aux États-Unis, ce sera le terroriste. Mais l’ISI, le si puissant service secret pakistanais qui agit peut-être même contre les ordres du gouvernement, ne peut pas ignorer la menace indienne. D’où le jeu trouble du Pakistan, dont le gouvernement condamne le terrorisme. Mais c’est pourtant au Pakistan, pas loin d’une caserne militaire, que les Américains ont fini par trouver Ben Laden. La situation peut-elle durer ainsi ? De très nombreux attentats ont lieu en ce moment au Pakistan. On peut poser l’hypothèse qu’ils viennent d’un irrédentisme Pachtoune. Les auteurs de ces attentats voudraient intégrer «les zones tribales pachtounes» du Pakistan à l’Afghanistan, ou créer un État indépendant, le Pachtounistan. Déjà en 1949, Kaboul avait demandé à renégocier cette Ligne Durand, négociée, on le rappelle, pour 100 ans en 1893 [[En droit international, une renégociation des frontières n’est possible que si les deux parties sont d’accord, or, en l’occurrence, le Pakistan n’a pas donné suite.]]. L’auteur de ces lignes a rencontré en Afghanistan de très nombreux Afghans, pas uniquement Pachtounes mais aussi d’ethnie Hazara, jurant qu’ils donneraient leur vie pour que l’Afghanistan retrouve ses terres historiques. Ce serait le paradoxe d’Islamabad. Il aurait privilégié ses alliés Pachtounes dans sa rivalité avec l’Inde. Maintenant ses anciens alliés se retourneraient contre lui.
Thierry Noir, Journaliste, enseignant-associé à Aix-Marseille Université, Laboratoire interdisciplinaire de Droit des Médias et des Mutations sociales
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