Publié le 10 octobre 2022 à 8h44 - Dernière mise à jour le 11 juin 2023 à 18h03
Le père Christian Salenson, ancien directeur de l’Institut de science et théologie des religions, théologien, écrivain, et toujours membre de l’équipe de l’ISTR où il donne de nombreuses formations, revient sur les 30 ans de l’Institut.
Fondé en 1992, l’ISTR de Marseille est né sous le patronage confiant du cardinal Coffy et sous la responsabilité avisée de Jean-Marc Aveline, qui s’est associé toute une équipe, dont Paul Bony qui en avait suggéré l’idée. L’Institut est né de la demande d’un synode diocésain, ce qui fait mesurer la fécondité de la synodalité vécue, d’une nécessité théologique formulée ainsi : « Que faisons-nous quand nous acceptons de prendre au sérieux les autres traditions religieuses ?», et d’une ouverture méditerranéenne dont on voit plus encore aujourd’hui la nécessité.
Le contexte était plutôt favorable. Jean-Paul II avait posé des gestes prophétiques, comme la rencontre d’Assise de 1986. L’heure était aux colloques interreligieux. Il fallait même modérer les discours sur la tolérance, ce qui n’est plus vraiment nécessaire aujourd’hui ! Les attentats du 11 septembre n’avaient pas encore eu lieu. Certains purent alors exprimer leur suspicion contenue sur le dialogue. On se mit à faire valoir l’importance des différences : même ce qui était commun était tellement différent que l’on n’était plus sûr que ce soit commun !
Dans la réalité, la pluralité religieuse s’imposait comme un fait dans la société, et le travail de formation, d’enseignement et de recherche se poursuivait. Il fallait dispenser une connaissance des religions et des phénomènes religieux ; apporter une contribution à une théologie chrétienne des religions, du peuple juif, ou de l’islam ; penser les conséquences sur la théologie chrétienne de la prise au sérieux des autres religions.
Le travail persévérant fut possible grâce au magistère constant des papes, à contre-courant des idéologies qui traversaient la société, et parfois l’Église. La célébration des 25 ans d’Assise par Benoît XVI, malgré les résistances auxquelles il dut faire face, confirmait que l’engagement dans le dialogue ne relevait pas d’une sensibilité personnelle, mais faisait réellement partie de l’enseignement et de la mission de l’Église. Nous avons aussi grandement bénéficié de l’expérience des moines de Tibhirine et de la pensée de Christian de Chergé. La théologie du cloître, nourrie de spiritualité, encourageait notre manière de faire de la théologie. Leur béatification, celle de Pierre Claverie et des autres religieuses et religieux martyrs, confirmait que le dialogue avec les autres croyants est une voie privilégiée de sainteté pour notre temps.
Avec tous ceux qui, en d’autres lieux, étaient engagés dans le même travail, la rencontre des cultures et des religions nous est apparue comme un kairos -comme l’écologie, la place des femmes ou l’éducation, etc.- par lequel Dieu peut faire du neuf dans la société avec l’Église ! Ce kairos déploie la compréhension de la médiation du Christ. «L’Église est encore une enfant, le Christ auquel elle croit est démesurément plus grand qu’elle ne l’imagine», disait Teilhard ! Il ouvre l’intelligence de l’Église, la décentre au service de la mission de Dieu en vue d’une autre civilisation… Nombreux sont ceux qui ont découvert le bonheur de croire dans cette ouverture, d’être des éducateurs au dialogue dans les établissements scolaires, de (re)découvrir le sens de la catholicité de l’Église…
Et aujourd’hui ? Les pistes de travail sont nombreuses. Il faut approfondir la notion même de dialogue. Sa dimension interpersonnelle ou celle du vivre ensemble ne suffit pas à rendre compte du dialogue de Dieu avec les hommes ni des dialogues de la vie comme voie de salut. La théologie elle-même doit se penser en dialogue, comme nous y encourage avec bonheur le pape François. Enfin, la Méditerranée retient notre attention car elle est une matrice de cultures et de religions et un laboratoire d’une culture du métissage.
La création de Jean-Marc Aveline comme cardinal est une joie pour l’Institut et une bénédiction du travail passé et présent. Elle est aussi une promesse pour le temps qui vient, en nous avançant, selon une expression qui lui est chère, dans «une fidélité sans faille à la tradition et une ouverture sans crainte à la rencontre et au dialogue».