Publié le 28 avril 2022 à 16h52 - Dernière mise à jour le 9 décembre 2022 à 14h07
Assurément ce conflit a perdu de l’intérêt ces dernières années, aussi bien auprès du public israélien, de celui plus large des pays occidentaux, qu’auprès des décideurs publics israéliens. Cette tendance s’est affermie lorsque plusieurs pays arabes ont officiellement décidé de reconnaître Israël et de vouloir concrètement travailler avec lui, sans pour autant, du moins en paroles, avoir renoncé à défendre la cause palestinienne en manifestant explicitement leur adhésion à une solution de deux États. Nous pensons que paradoxalement, et précisément parce que le conflit n’est plus à la une de l’actualité, cette désaffection observée doit inciter à examiner les solutions qui circulent en Israël.
Faut-il chercher à résoudre le conflit entre Israéliens et Palestiniens dont l’origine date bien avant la création de l’État d’Israël ? Ou, faute d’y arriver, faut-il simplement le gérer, et faire en sorte de minimiser les pertes. Ou encore, pour sortir de l’impasse, faut-il plus modestement le réduire ? C’est cette dernière solution que propose un philosophe israélien, Micah Goodman, populaire auprès du public, et auteur à succès. Son importance actuelle tient au fait qu’il a l’oreille de l’actuel Premier ministre israélien Naftali Bennet ainsi que du futur Premier ministre, Yair Lapid. Il est considéré comme le visiteur du soir du Premier ministre. Ce philosophe israélien, sans poste officiel de conseiller a, comme Bennet, le même âge. Comme lui, il est d’origine américaine, et comme lui, il est de la tendance religieuse orthodoxe. Enfin, comme le Premier ministre, il est classé à droite sur l’échiquier politique israélien. Pour toutes ces raisons il est important de connaître sa pensée, en particulier concernant la solution qu’il préconise concernant le conflit entre Israéliens et Palestiniens et ce d’autant plus que le Premier ministre Bennet en a fait la promotion auprès du Président Biden lors de leur rencontre à la Maison Blanche.
Pour Goodman, afin de réduire le conflit sans pour autant préserver la sécurité, il convient de faire preuve de pragmatisme et abandonner l’idéologie paralysante. Aux accords d’Oslo de septembre 1993, c’est l’idée de chercher à résoudre le conflit avec les Palestiniens qui a prévalu. La signature de l’accord intérimaire entre Rabin et Arafat à la Maison Blanche marquait la volonté d’en finir avec le conflit et qu’enfin les deux peuples, israélien et palestinien, pourraient à l’avenir, vivre en paix côte à côte.
Gérer le conflit et ne plus chercher à le résoudre
Le second soulèvement (intifada) palestinien de septembre 2000 allait marquer pour les Israéliens la fin de l’espoir d’une paix avec les Palestiniens, et l’enracinement à droite de l’échiquier politique. La gauche, qui avait, avec Rabin, mis en œuvre les accords d’Oslo de 1993, avait perdu une grande partie de sa crédibilité politique. Aussi, pour la grande majorité des Israéliens, il était préférable, faute d’interlocuteur crédible en face, de gérer le conflit et ne plus chercher à le résoudre. La confiance entre Palestiniens et Israéliens était, et est encore, au plus bas. En 2013, le Président Barak Obama et son secrétaire d’État John Kerry ont bien tenté de relancer le processus de paix, mais en avril 2014, les négociations ont été rompues et jusqu’à nos jours aucune tentative de relance n’a vu le jour.
Dans ces conditions que propose Micah Goodman ?
Pour Micah Goodman, il faut en revenir à l’année 1967 qui a vu la victoire d’Israël sur les pays arabes et le début de l’occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza. Pour la droite religieuse, cette victoire relève du miracle, car «Israël est retourné sur les terres bibliques de Judée et de Samarie…et en colonisant cette terre on ouvrait la voie à la rédemption». De son côté, la gauche, camp de la paix, considérait que sur le plan stratégique, et non messianique, ces territoires nouvellement conquis représentaient une monnaie d’échange contre un véritable et solide accord de paix qui «changerait l’histoire israélienne et juive (…). Car, pour la première fois, Israël ne serait plus un État forteresse mais une partie organique de la région.» Hélas, ces deux visions optimistes de l’histoire, ne se sont pas réalisées. Pour Goodman, «les deux parties avaient tort. Tous les israéliens n’ont pas rejoint l’un ou l’autre mouvement. En fait, au cours des 52 dernières années, la plupart des israéliens sont devenus désenchantés par les deux idéologies. (….) la première Intifada a porté un coup à la droite messianique, la deuxième Intifada a porté un coup fatal à la gauche messianique.» En conséquence, les Israéliens se retrouvent depuis plus de vingt ans face à un dilemme, concernant le sort des territoires occupés.
Le dilemme
Pour la droite, si Israël évacue la Cisjordanie, alors le pays se met en danger, car compte tenu de l’étroitesse du pays, la sécurité sera difficile à assurer. Entre la Cisjordanie et la Méditerranée la distance n’est que de 14 km dans la zone la plus étroite. De plus, le moment pour envisager une évacuation est loin d’être idéal. L’Autorité palestinienne est actuellement très affaiblie. Le Président Abbas a 87 ans. Il est très impopulaire auprès de la population palestinienne. Aussi, le départ des Israéliens favoriseraient le retour en force du Hamas, et du Djihad islamique, allié de l’Iran. Ces mouvements, profitant de la faiblesse du pouvoir palestinien en place pourront prendre le pouvoir et rendre la vie des Israéliens très difficile.
Pour Goodman, si dans le passé, les Israéliens craignaient qu’une Palestine forte menace Israël, aujourd’hui, les Israéliens redoutent les conséquences d’une Palestine faible. En conclusion, la droite estime que quitter la Cisjordanie serait un désastre, aussi il convient de gérer au mieux le conflit plutôt que de chercher à le résoudre.
A l’opposé, la gauche estime qu’au contraire, ce qui est un désastre c’est cette politique qui consiste à ne pas chercher à résoudre et à poursuivre l’occupation. Celle-ci comporte trois inconvénients importants. Premièrement, si Israël continue à contrôler la Cisjordanie, alors le pays s’isolera de la communauté internationale. Deuxièmement, le fait qu’il y ait un régime militaire en Cisjordanie contrôlant une population civile, n’est ni éthique, ni moral, ni juif. La poursuite de l’occupation risque de corrompre les jeunes soldats chargés du contrôle et du maintien de l’ordre. Et troisièmement, si Israël continue de s’accrocher à la Cisjordanie, le pays contrôlera effectivement la vie d’un autre peuple, environ 2,4 millions de Palestiniens qui, dans un proche avenir, cesseront de se battre pour une solution à deux États et, se déclareront majoritairement en faveur d’une solution à un seul État. En conséquence, ils exigeront de pouvoir voter pour élire les députés à la Knesset.
Quand ce jour viendra, Israël devra faire face à deux options très défavorables. La première impliquerait une minorité juive contrôlant une majorité musulmane. Aussi, ce sera la fin d’Israël en tant qu’État démocratique et le début de l’apartheid. La seconde option serait, que pour conserver les manettes du pouvoir, la minorité juive devra contrôler une majorité musulmane. Ce sera alors la fin d’Israël en tant qu’État juif. Ces options marqueraient la fin du sionisme. En conclusion, compte tenu de la gravité des inconvénients de la poursuite de l’occupation, la solution consiste à évacuer la Cisjordanie et à favoriser une solution de deux États pour deux peuples.
Finalement, pour la droite, quitter la Cisjordanie serait une solution catastrophique pour des raisons essentiellement sécuritaires, et pour la gauche, parlant moins de paix mais plus des méfaits de la colonisation, continuer l’occupation est une solution catastrophique. Pour Goodman, beaucoup d’Israéliens ont assimilé à la fois les peurs de la gauche et ceux de la droite. Ils sont convaincus à la fois que le retrait serait un grave danger sécuritaire, mais que rester serait un grave danger démographique.
C’est un dilemme dans la mesure où les deux parties ont raison. Cependant, pour Goodman, les deux parties ont également tort si elles pensent qu’il n’y a que ces deux options. C’est une fausse dichotomie : l’alternative à la fin du conflit ne doit pas être la gestion du conflit. La solution consiste à réduire le conflit à des proportions qui «ne menaceront plus l’existence même d’Israël»
Les propositions de Micah Goodman
Elles sont au nombre de quatre. Premièrement il faut transférer des parties de la Zone C (60% de la superficie de la Cisjordanie) afin de réduire la dépendance palestinienne vis-à-vis d’Israël. Deuxièmement, il faut construire un réseau de ponts, de tunnels et de routes contournant les implantations israéliennes afin de relier les différents territoires (zones A et B) sous contrôle de l’Autorité palestinienne, et leur donner la souveraineté sur les artères de déplacement. Ce qui reviendra à donner aux Palestiniens une souveraineté de continuité de transport sans pour autant leur accorder une contiguïté territoriale. Troisièmement, Israël s’engagerait à cesser d’étendre les implantations situées à l’extérieur des grands blocs de colonies, afin de créer une contiguïté maximale pour les Palestiniens. Quatrièmement, il conviendra de modifier le Protocole de Paris (1994) qui définit les relations économiques entre Israéliens et Palestiniens, afin de renforcer les pouvoirs financiers et économiques de l’Autorité palestinienne et ainsi aller dans le sens d’une plus grande indépendance économique. Pour Goodman, ces mesures pourraient être mises en œuvre rapidement car elles n’exigent de négocier et signer un traité de paix.
[(Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.)]