Tribune du Pr. Gilbert Benhayoun: Gaza, la question de l’eau

Publié le 28 juin 2018 à  14h06 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h46

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La seule source d’eau naturelle de la Bande de Gaza est l’aquifère côtier alimenté par les pluies (20 à 30 cm d’eau qui tombe par an). Compte tenu de l’évaporation, la nappe se recharge chaque année de 75 à 125 millions de m3 pour une population estimée à près de 2 millions d’habitants. Afin de satisfaire les besoins de la population, et en même temps, d’éviter l’intrusion des eaux salées marines, la quantité d’eau que l’on peut prélever ne doit pas dépasser 100 millions de m3 par an. Or, il existe à l’heure actuelle plus de 400 puits et les prélèvements dépassent les 160 millions de m3. La conséquence est que l’eau utilisée est de plus en plus saumâtre. Aussi, le degré de salinité est supérieur à celui recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé. De plus, du fait que les stations d’épuration des eaux usées ne fonctionnent que de manière intermittente, conséquence du manque d’électricité, les experts estiment que 97% de l’eau est polluée par les égouts et les nitrates utilisées par l’agriculture, ce qui aggrave les risques de propagation de maladies dangereuses. En 2012, l’ONU avait signalé que 33 millions de m3 d’eaux usées non traitées étaient directement rejetées dans la Méditerranée. La pollution ignore les frontières. En 2016, la plage israélienne d’Ashkelon, située au nord de Gaza a dû être fermée en raison de la contamination des eaux usées non traitées rejetées dans la mer. De plus, du fait de cette pollution en provenance de Gaza, l’usine israélienne de dessalement d’eau de mer, qui fournit 15 à 20% de l’eau potable, a dû interrompre à deux reprises ses activités. Un expert israélien a fait alors remarquer, de manière ironique «les eaux usées de Gaza ont réussi à faire ce que les missiles du Hamas n’avaient pas réussi à faire – paralyser une infrastructure stratégique israélienne !». Cet incident a incité 14 membres du Congrès américain, démocrates et républicains, a envoyé un courrier au ministre israélien de la Défense et à celui des Infrastructures, afin qu’ils fournissent en électricité la nouvelle unité de traitement des eaux usées, Northern Gaza Emergency Sewage Treatment (NGEST), située dans le nord de la Bande de Gaza. En 2003, le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE) estimait qu’entre 2022 et 2032, l’aquifère de la Bande de Gaza serait définitivement inutilisable. En 2017, les NU [[ Nations-Unies, « Gaza, Ten Years Later », United Nations Country Team in the Occupied Palestinian Territory, juillet 2017]] ont publié un rapport sur la situation dans la Bande de Gaza, 10 ans après que le Hamas ait pris le pouvoir et contrôle depuis le territoire. Ce rapport est accablant pour la gestion (ou la non gestion) du Hamas. Concernant le problème de l’eau, le tableau suivant permet d’apprécier la gestion catastrophique.
La situation à Gaza (source : Nations-Unies)

2012
2017
2020
% eau potable
10%
3.8%
0%
Eaux usées non traitées rejetées en Méditerranée millions m3 /an
33
37à40
44

Ce rapport fait suite à un précédent rapport qui date de 2012, et fait le point sur les cinq années qui se sont écoulées entre 2012 et 2017. Le bilan est accablant. En 2012, le rapport projetait un taux de croissance annuel du PNB par habitant de 0.6% à 1.5%. En fait, il a diminué de 10% en 5 ans ! Les services de base sont en déclin. Le nombre de lits d’hôpital est passé de 1.8 pour 1000 habitants en 2012 à 1.58 en 2017, soit une diminution de 14% et, le nombre de médecins a diminué de 15%. Le seul indicateur qui ne s’est pas détérioré dans la période est, selon le rapport des NU, la quantité d’eau fournie par Israël et qui est financé par l’Autorité palestinienne. Effort louable mais très loin de ce qui serait nécessaire. Aux accords d’Oslo de 1993, il avait été prévu qu’Israël doublerait, de 5 à 10 millions m3, la quantité d’eau allouée à Gaza. Durant plus de 23 ans, l’accord n’a pas été respecté, d’une part parce que l’Autorité palestinienne avait refusé de doubler le paiement de la facture et, d’autre part, du fait de la prise du pouvoir par le Hamas en 2007. Ce n’est qu’en mars 2015, qu’Israël a, enfin, décidé de respecter l’accord et de doubler la dotation d’eau.

Bande de Gaza (source : Nations-Unies)

2012
2017
PNB per capita
1165 $
1038 $
Taux de chômage
29%
42%
Energie : % demande satisfaite
60%
26 à 46%
Nb de médecins/1000 hab
1.68
1.42

Avant le départ des israéliens de Gaza en 2005 et la prise du pouvoir de Gaza par le Hamas, qui a suivi, la totalité de l’eau consommée provenait de l’aquifère côtier et l’eau était d’excellente qualité. Dix ans après il ne contribue qu’à 90% des besoins et 97% est non potable.
En 2015, la structure de l’offre (95 millions m3) pour les besoins domestiques est la suivante :
-Puits : 81.7 millions m3 (86%)
-UNRWA : 2.9 millions m3 (3%)
-Dessalement 3.8 millions m3 (4%)
-Mekorot (Israël) : 5 millions m3 (7%)

En 2017, la demande d’eau n’est satisfaite qu’à 80%, et en 2020, elle ne sera satisfaite qu’à 78%
Certains députés israéliens ont plaidé pour que s’établisse une coopération avec la Banque mondiale et les pays donateurs à la Palestine afin de payer les factures d’électricité et les infrastructures nécessaires, et ce dans l’intérêt même des habitants israéliens vivant proches de la Bande de Gaza. Pour G. Bromberg, directeur d’EcoPeace Middle East, il faudrait qu’Israël construise une ligne d’électricité spécifique pour alimenter la station d’épuration à Gaza. Lors du dernier conseil des ministres israélien, un désaccord quant à l’aide humanitaire qu’Israël devrait accorder à la population de Gaza a opposé le chef d’État-major, Gadi Eisenkot et le ministre de la défense, Lieberman. Le premier a plaidé pour l’acheminement d’une aide, considérant qu’il s’agissait d’une aide vitale qui devait être accordée indépendamment de toute autre considération. Pour Lieberman, la responsabilité de la situation revient au Hamas qui, au lieu de s’occuper de la situation humanitaire des Palestiniens, utilise les moyens dont il dispose pour financer les tunnels et les missiles, et à l’Autorité palestinienne qui a réduit les salaires et refusé de payer des factures d’électricité. Il conditionne l’octroi de l’aide au retour des corps des soldats israéliens ainsi que d’un citoyen israélien, A. Mengistu, détenu par le Hamas.

Le 6 mars dernier Ecopeace a organisé une Conférence à Sdérot, localité israélienne frontalière de la Bande de Gaza. Lors de la Conférence, un médecin, le Pr Davidovitch a fait remarquer que les habitants de Gaza «vivent en dessous de la ligne rouge et présentent un risque élevé de maladies respiratoires et intestinales. Pour le moment, il n’y a pas de choléra à Gaza, mais il suffit qu’un malade arrive à Gaza pour que la maladie se propage. Les conditions sur le terrain feront qu’elle se propagera comme une traînée de poudre».
La population de Gaza, 2 millions d’habitants, est prise en otage, et la responsabilité de cette situation catastrophique est multiple. En évitant d’établir une hiérarchie entre les acteurs, citons la responsabilité du blocus imposé par les Israéliens qui imposent de sévères restrictions à la frontière, celle de l’Autorité palestinienne qui a réduit les salaires versés jusqu’à ces derniers mois aux fonctionnaires basés à Gaza, et qui a refusé le paiement des factures d’électricité qui alimente la Bande, ce qui aurait permis de faire fonctionner les stations d’épuration d’eaux usées. Celle enfin, du Hamas qui, depuis 2007 contrôle la Bande de Gaza. Le fait que le Hamas et l’Autorité palestinienne n’ont pas abouti, comme il avait été annoncé, à un accord de réconciliation, n’a pas arrangé la situation.

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Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

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