Publié le 15 août 2017 à 9h24 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h24
Durant la période dite des trente glorieuses, 1945-1975, dans l’ensemble des pays développés, la croissance relativement forte, comparée à celle de la période qui a suivi, a masqué la question des inégalités. Avec un taux de croissance d’environ 5% par an, le revenu moyen de la population doublait tous les quatorze ans, ce qui peut expliquer que cette question était moins prégnante, aussi bien dans l’opinion publique que chez les gouvernants. Avec seulement un taux de 2%, le revenu moyen doublait tous les trente-cinq ans. Depuis, on observe une double évolution : la croissance s’est fortement ralentie et les inégalités, aussi bien de revenu que de fortune, ont augmenté sensiblement.
C’est bien ce que note l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) [[OCDE, « Inégalités et croissance », décembre 2014]], institution qui regroupe l’ensemble des pays riches, y compris Israël, dans un rapport récent de décembre 2014 : «Jamais en 30 ans le fossé entre riches et pauvres n’a été aussi prononcé dans la plupart des pays de l’OCDE. Aujourd’hui, dans la zone OCDE, le revenu des 10 % de la population les plus riches est 9.5 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres. À titre de comparaison, dans les années 1980, le rapport était de 7 à 1». Ainsi, dans pratiquement tous les pays les inégalités de revenu ont augmenté en longue période. L’indicateur d’inégalité, le coefficient de Gini [[Les inégalités s’accroissent lorsque la valeur du coefficient augmente]], augmente dans 16 des 21 pays de l’OCDE, pour lesquels cet organisme dispose de longues séries chronologiques.
La question se pose alors de savoir quel est l’impact de cet accroissement sensible des inégalités sur la croissance économique ? La réponse de l’OCDE est sans nuances : «toute amplification de ces inégalités fait chuter la croissance économique (…), une aggravation des inégalités de 3 points de Gini -soit la moyenne des pays de l’OCDE pour les vingt dernières années- ferait perdre 0.35 point de croissance par an sur 25 ans, soit une perte cumulée de PIB de 8.5% à terme». Ainsi, l’impact sur la croissance est négatif, mais également important. L’OCDE estime que le creusement des inégalités a coûté plus de 4 points de croissance dans la moitié des pays sur plus de deux décennies. À l’inverse, une situation plus égalitaire avant la crise a contribué à faire progresser le PIB par habitant dans quelques pays, notamment en Espagne. En d’autres termes, les bienfaits de la croissance ne se propagent pas d’eux-mêmes aux couches les plus modestes de la société, «la théorie du ruissellement, selon laquelle l’enrichissement des plus aisés est in fine bénéfique pour les moins aisés, devient beaucoup moins convaincante»[[Guillaume Allègre, «Impact des inégalités sur la croissance : que sait-on vraiment ?», Revue de l’OFCE, 2015/6 (n° 142)]]. Le Fonds Monétaire International (FMI), pourtant réputé pro-libéral, arrivait à la même conclusion [[J.D.Ostry, A.Berg , C. G. Tangarudes, “Redistribution, Inequality and Growth”, IMF Staff Discussion Note, avril 2014]]. Les inégalités tendent à saper la croissance. En conséquence, l’OCDE déduit de ses recherches, que les politiques qui cherchent à réduire les inégalités «feront les sociétés plus riches, en plus de les rendre moins injustes». Et le rapport insiste sur l’importance d’améliorer, non seulement la situation des plus pauvres mais aussi des classes moyennes, en ajoutant que «ce n’est pas uniquement la pauvreté ou le revenu des 10 % de la population au bas de l’échelle qui inhibe la croissance. Les pouvoirs publics doivent se préoccuper plus généralement du sort des 40 % les plus défavorisés. On retrouve notamment parmi ceux-ci les classes moyennes inférieures vulnérables, qui risquent de ne pouvoir ni bénéficier de la reprise et de la croissance future ni y apporter leur contribution. Les programmes de lutte contre la pauvreté n’y suffiront pas. Le versement de prestations en espèces, mais aussi le renforcement de l’accès aux services publics -entre autres à des services d’éducation, de formation et de soin de qualité- sont autant d’investissements sociaux qui doivent se traduire, sur le long terme, par davantage d’égalité des chances. Il convient également de s’attaquer aux conséquences du sous-investissement chronique des groupes à faible revenu dans l’enseignement scolaire. Les stratégies en faveur du développement des compétences doivent miser entre autres sur le renforcement de la formation et de l’enseignement professionnel pour les travailleurs peu qualifiés, tout au long de leur vie active.» Cette conclusion va à l’encontre des idées généralement admises par les gouvernants et la majorité du public, pour qui toute politique visant à réduire les inégalités et la pauvreté se fait au détriment de la croissance, car, dans cette approche, les mesures qui visent à agir sur les impôts affecteraient l’incitation à travailler et à investir, et donc la croissance.
La question qui se pose alors est de savoir pourquoi les inégalités freinent la croissance, et, pour l’OCDE, l’explication est qu’«en entravant l’accumulation de capital humain, les inégalités de revenu compromettent les possibilités de s’instruire pour les populations défavorisées, limitant ainsi la mobilité sociale et le développement des compétences».
Notons que les mesures préconisées par l’OCDE mais aussi par le FMI ne retiennent pas l’action des pouvoirs publics en matière de fiscalité ou de redistribution des revenus pour lutter contre les inégalités. Pour le FMI, il faut agir principalement sur la santé et l’éducation. Le cas de l’économie d’Israël est intéressant à analyser du fait que ce pays présente un paradoxe du fait que cette économie enregistre tout à la fois une croissance non négligeable et, en même temps, un creusement des inégalités. Comparé à d’autres pays développés, Israël apparaît comme le pays le plus dynamique et, le plus inégalitaire. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées. |