Publié le 9 janvier 2023 à 9h08 - Dernière mise à jour le 9 juin 2023 à 20h17
Les dernières élections législatives en Israël ont vu arriver au pouvoir (64 sièges sur 120) le parti de droite, le Likoud, des partis orthodoxes et des partis d’extrême droite, dont les programmes politiques, s’ils sont votés par la Knesset et mis en œuvre de manière effective, transformeront en profondeur le caractère démocratique du pays.
Certains commentateurs n’hésitent pas à considérer que, dans cette hypothèse, Israël se transformera, à l’instar de la Hongrie, en une démocratie illibérale. Le premier à avoir employé le terme de démocratie illibérale est le politologue américain, Fareed Zakaria qui, en 1990, désignait ainsi un régime qui repose sur le respect des élections mais qui se défie des autres aspects de la démocratie.
La majorité qui arrive au pouvoir sera démocratiquement élue, mais au lendemain des élections, elle s’empressera d’adopter des lois qui priveront les citoyens de leurs droits fondamentaux. Elle s’efforcera, se réclamant du pouvoir que confère les élections, de priver les citoyens de leurs droits fondamentaux. Elle contestera l’indépendance de la justice. Dans le cas d’Israël elle cherchera concrètement à affaiblir la Cour Suprême.
Pour Sylvain Kahn et Jacques Lévy (Les pays des Européens, Odile Jacob, 2019): «La démocratie illibérale ne met en place ni censure ni parti unique, mais elle assèche l’écosystème du pluralisme».
Israël n’a pas de constitution écrite. Cependant, le Parlement a voté, au fil des années, un certain nombre de lois dites fondamentales, qui constituent un arsenal juridique qui fait fonction de lois constitutionnelles. Le problème est que, pour le journal israélien Haaretz, «nulle part dans le monde démocratique, la démocratie n’est aussi faible en termes de freins et contrepoids (…). Israël a une chambre parlementaire unique, contrôlée par le gouvernement, une constitution faible qui peut être amendée à tout moment et qui n’est pas soumise à une Cour internationale des droits de l’homme. Les seules défenses dont il dispose sont le pouvoir et l’indépendance de la Cour suprême et, dans une certaine mesure, le statut indépendant et la subordination des conseillers juridiques du ministère au procureur général.»
L’objectif, proclamé depuis longtemps par le nouveau ministre de la Justice, Yariv Lévin, qui considère que la Cour Suprême a trop de pouvoirs, est de passer outre, au nom de la majorité parlementaire, les décisions que pourrait prendre la Cour et qui ne conviennent pas à la majorité parlementaire. Aussi il propose que le Parlement vote une nouvelle loi qui priverait la Cour de son pouvoir d’annuler une loi qu’elle considère comme contraire aux prescriptions des lois fondamentales. Concrètement toute loi votée par la Knesset, annulée par la Cour suprême, reviendra devant les parlementaires qui auront le dernier mot. Le Parlement, grâce à une loi dite de dérogation, aura ainsi le pouvoir de passer outre la décision de la Cour suprême.
L’adoption de cette loi de dérogation n’est pas choquante en soi, car après tout, elle émane de la volonté populaire, par l’intermédiaire de ses représentants au Parlement, mais à une condition. La loi dite de dérogation devra, pour être mise en œuvre, être votée à la majorité qualifiée et non à la majorité simple. Dans le cas d’Israël, cette loi devrait obtenir, par exemple, 80 voix sur 120 pour entrer en vigueur. Ce n’est pas le schéma proposé par Yariv Lévin. Pour lui, la majorité simple suffira (61 sur 120). Si la loi dite de dérogation est votée en ces termes, alors Israël sera considéré comme une démocratie illibérale. Je fais l’hypothèse optimiste que, cette loi, si elle est votée par la Knesset, ne sera applicable qu’à la majorité qualifiée et non à la majorité simple. Le diable est dans les détails…Dieu également.
[(Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.)]