Publié le 9 novembre 2018 à 10h30 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Dans un article paru en octobre 2018 [[Facundo Alvaredo, Lydia Assouad, Thomas Piketty “Measuring Inequality in the Middle East 1990–2016: the World’s Most Unequal Region?” Review of Income and Wealth, octobre 2018]], trois économistes de l’École d’Économie de Paris, ont mesuré le degré d’inégalité des revenus dans les pays du Moyen-Orient [[ Pays étudiés : Turquie – Iran – Égypte – Irak – Syrie – Jordanie – Liban – Palestine – Yemen – Arabie Saoudite – Oman – Bahrain – UAE – Koweït – Qatar pour la période 1990-2016]], à partir d’un ensemble de sources : enquêtes des ménages, comptes nationaux, données fiscales et données relatives au patrimoine. Leur conclusion, «robuste et la plus intéressante» est, on ne peut plus claire : le Moyen-Orient (Israël exclu) est la région la plus inégale au monde. La part des revenus des 10% les plus aisés de la population y est de 64%, alors qu’elle est 37% en Europe occidentale, 47% aux États-Unis et 55% au Brésil, pays souvent cité en exemple comme étant particulièrement inégalitaire. Les inégalités sont même plus importantes qu’en Chine (42%) ou qu’en Inde (54%). De plus, la part du 1% des plus aisés est :
Pour les auteurs cette situation est due «à la fois aux inégalités énormes entre les pays (en particulier entre les pays riches en pétrole et les pays riches en population) et aux très grandes inégalités au sein des pays». De plus, sur la période d’étude, 1990-2016, l’inégalité «est très élevée et à peu près constante dans la région dans son ensemble». Durant la période de près de 25 années, la part des revenus des 10% les plus aisés fluctue entre 60% et 70%, tandis que la part de revenus des 50% les moins aisés oscille entre 5% et 10%. Et, si on compare avec d’autres régions du monde, il apparait que l’inégalité des revenus, entre 1990 et 2016, est toujours plus importante au Moyen-Orient. La conséquence est que, en sus des facteurs religieux, historiques, culturels et politiques, le niveau d’inégalité élevé explique le degré d’instabilité politique de la région. Ils affirment que «les perceptions relatives à l’inégalité et à l’équité ou à l’injustice de la répartition du revenu sont déterminées non seulement par l’inégalité à l’intérieur des pays, mais également par l’inégalité au niveau régional et parfois même au niveau mondial». Leurs résultats vont à l’encontre de nombre de travaux parus ces dernières années, qui soutenaient que l’inégalité des revenus au niveau national, dans cette région du monde, «n’était pas particulièrement élevée» et que par conséquent, n’expliquait pas l’insatisfaction de la population qui s’était manifestée lors du printemps arabe. Ainsi, pour la Banque mondiale (2015) [[Banque mondiale, “Inequality, Uprisings, and Conflict in the Arab World“, 2015]], «les révolutions du Printemps arabe ont été déclenchées par un mécontentement croissant et partagé par rapport à la qualité de la vie plutôt que par une inégalité de dépenses élevée et croissante». En conclusion, les auteurs insistent sur l’importance de disposer de données fiables, et d’une transparence accrue, dans la mesure où il est très difficile de tenir un débat éclairé sur les tendances en matière d’inégalité sans un accès aux données. Ils ajoutent que la région du Moyen-Orient se distingue car «bien que le manque de transparence sur les revenus et la richesse soit un problème important dans de nombreuses régions du monde, voire dans la plupart d’entre elles, il semble être particulièrement extrême au Moyen-Orient et pose sans doute un problème de responsabilité démocratique».
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Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées. |