Publié le 9 août 2021 à 12h19 - Dernière mise à jour le 9 décembre 2022 à 14h17
La crise liée au manque d’eau potable au Moyen-Orient se rappelle à nous. Les effets dévastateurs de la pandémie, dont nul ne sait quand elle se terminera, l’avait reléguée au second plan. Les populations du Moyen-Orient font face à une grave crise de l’eau, synonyme de famine. De plus, cette pression qui affecte les plus vulnérables est susceptible de déclencher des révoltes et de contribuer à une crise des réfugiés, soit vers l’Europe soit vers les pays voisins. Ainsi, beaucoup de syriens fuient leur pays pour se réfugiés en Jordanie.
Pourtant, la parution de rapports aussi bien de la Banque mondiale, que des diverses agences de l’environnement n’ont pas arrêté de lancer des alarmes concernant cette région du monde. En 2011, l’ancien secrétaire général des Nations-Unies avertissait : «les phénomènes météorologiques extrêmes continuent de devenir de plus en plus fréquents et intenses, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, dévastant non seulement des vies, mais aussi des infrastructures, des institutions et des budgets – un breuvage impie qui peut créer de dangereux vides sécuritaires». Par ailleurs, des experts ont trouvé qu’il existait une corrélation statistiquement significative entre les catastrophes liées au climat et la survenue de conflits armés, même si en général ces conflits sont de faible intensité.
Cette région, dite semi-aride, est reconnue comme ayant un déficit structurel d’eau potable et ces derniers mois la situation s’est aggravée encore plus du fait de l’instabilité sécuritaire qui affecte plusieurs pays de la région. Les mouvements migratoires non contrôlés de population dus à la situation politique et sécuritaire, associée à la croissance naturelle démographique et au manque d’entretien des réseaux hydrauliques n’ont fait qu’aggraver le déficit en eau. A l’avenir, les risques hydrométéorologiques devraient devenir plus fréquents et plus intenses, et les implications en matière de sécurité, en particulier dans le contexte du changement climatique en cours seront de plus en plus préoccupants.
Ces risques vont probablement se traduire par des conflits à l’intérieur des sociétés qui seront certes de faible intensité, à petite échelle comme des manifestations, des protestations impliquant peu ou pas de violences physiques, mais pourtant annonciateurs de troubles plus importants. La perturbation de l’approvisionnement en eau a longtemps été un catalyseur potentiel de conflit ou d’instabilité dans la région aride du Moyen-Orient. Mais cela n’a jamais été un risque aussi important qu’aujourd’hui.
Une étude récente [[Tobias Ide, Miguel Rodriguez Lopez, Christiane Fröhlich, “Pathways to water conflict during drought in the MENA region”, Journal of Peace Research, 2021]] a montré que ces conflits liés à la sécheresse sont fortement dépendants du contexte, ainsi «dans les systèmes politiques autocratiques, les coupures de l’approvisionnement public en eau sont des prédicteurs pertinents de l’apparition de conflits non violents liés à l’eau pendant les sécheresses. Les griefs profondément ancrés dans les structures socio-économiques combinés à un événement déclencheur comme une sécheresse ou des coupures d’eau sont donc à l’origine de tels conflits liés à l’eau». De plus, ces études montrent que si les conflits sont de faible intensité, ne causant qu’un petit nombre de décès par rapport aux guerres civiles, ils peuvent être un moteur d’émancipation et de changement social. Ainsi, les conflits non violents dus aux conséquences de la sécheresse peuvent être un indicateur de griefs légitimes, qui devraient être pris au sérieux par les institutions politiques.
La crise de l’eau se répand au Moyen-Orient
La crise de l’eau se répand au Moyen-Orient. En Iran, au Liban, en Jordanie le manque d’eau potable s’aggrave. Le seul pays de la région qui arrive à satisfaire ses besoins en eau, c’est Israël, dont la situation hydrique est à contre-courant de ce qui se passe dans les pays voisins.
En Israël, jusqu’à ces dernières années, la saison des pluies s’étalait d’octobre à mars. Depuis, le changement climatique fait qu’elle a été réduite à quelques jours de pluie torrentielle, aussi les cours d’eau du nord du pays ne sont plus une source d’approvisionnement par ruissellement pour une partie du pays. De plus, le lac de Tibériade, source essentielle d’eau potable, est de plus en plus souvent à son niveau d’alerte. En conséquence et paradoxalement, en hiver, il faut irriguer. C’est dire à quel point les ressources naturelles en eau diminuent de façon dramatique.
Face à cette situation alarmante, le gouvernement s’est lancé dans un programme ambitieux de production d’eau non conventionnelle, soit à partir de traitement à grande échelle des eaux usées, soit par dessalement d’eau de mer. Les besoins en eaux du pays, pour satisfaire les ménages, les entreprises, l’agriculture, sont estimés à environ 2,1 milliards de mètres cubes par an. Près d’un tiers de l’eau d’irrigation provient du traitement des eaux usées et 80% de l’eau municipale provient des usines de dessalement. Dans quatre ans, deux usines supplémentaires devraient être achevées, ce qui fera que l’eau dessalée représentera plus de la moitié des besoins totaux du pays.
Le coût de l’eau dessalée dans l’usine de Sorek, la plus importante du pays, est de 55 cents le mètre cube, ce qui indique que, comparé à d’autres pays, où le coût peut aller jusqu’à 3$ le mètre cube, le système israélien est efficient. Par pure souci de comparaison, le coût de l’eau naturelle n’est que de 10 cents.
La Jordanie souffre depuis longtemps d’un manque d’eau potable. Elle est l’un des pays les plus secs de la planète et les pénuries devraient s’aggraver avec le changement climatique. Le déficit annuel en eau est estimé à 500 millions de mètres cubes, aussi le pays est dans l’obligation d’en importer. De plus, ce pays connaît, depuis 2013, un afflux de réfugiés syriens, dont le nombre total est estimé à environ 1,3 million. La majorité, environ 84%, vivent dans des zones urbaines et il est fort probable qu’elle s’y installe définitivement. Cet afflux de population a accru la pression sur l’eau. Selon le ministère de l’eau et de l’irrigation estime la quantité d’eau disponible en eau par habitant à 140 mètres cubes, très en deçà du seuil mondialement reconnu de 500 mètres cubes.
Début juillet un accord est intervenu entre les Israéliens et les Jordaniens
Au début juillet un accord est intervenu entre les Israéliens et les Jordaniens. Israël accepte d’augmenter considérablement l’approvisionnement en eau de la Jordanie desséchée. Dans le cadre de cet accord, Israël fournira 50 millions de mètres cubes d’eau supplémentaires en 2021, ce qui s’ajoutera à ce qu’Israël fournit chaque année en vertu d’un accord signé en 1994.
En Iran, très récemment, des milliers de personnes ont manifesté de manière pacifique dans la région du sud-ouest, le Khuzestan, pour exprimer leur mécontentement face à la pénurie d’eau qu’elles subissent, résultat de la sécheresse, mais aussi de la mauvaise gestion des ressources hydriques. Hélas, alors que la manifestation était pacifique, les forces de l’ordre ont tiré, tuant plusieurs personnes.
De plus, double peine, les autorités iraniennes auraient décider de fermer Internet dans cette région. Le paradoxe est que cette province du Khuzestan est très humide, car il y a des montagnes au nord et au sud. La pénurie est donc le résultat catastrophique d’erreurs de gestion par les autorités. Comme ailleurs le changement climatique a joué un rôle dans la crise, mais il ne s’agit pas de la cause principale, et les pouvoirs publics qui prétendent que c’est le cas le font afin de rejeter toute responsabilité, alors que leur rôle est de prévoir, de préparer et de rendre le système résilient.
«L’Iran devrait changer son modèle de développement»
Pour le New York Times «Une sécheresse prolongée aggravée par le changement climatique et la mauvaise gestion du gouvernement a ajouté un nouvel élément volatile au tourbillon de défis en Iran, allant de la pandémie aux sanctions américaines (…) et un manque de planification ont transformé la crise de l’eau en un incubateur instable de protestations et de troubles violents».
Pour Kaveh Madani de l’université de Yale et ancien directeur adjoint du ministère iranien de l’environnement, la solution à cette grave crise est, ni plus ni moins, que «L’Iran devrait changer son modèle de développement, investir dans le secteur industriel et des services et diminuer la pression sur son environnement naturel s’il veut survivre. Cela signifie diversifier l’économie et entreprendre de grandes réformes dans le secteur agricole. Et ce sont des chirurgies très, très douloureuses que vous ne pouvez pas faire, essentiellement, dans des systèmes où les gens sont en colère contre vous ou ont perdu confiance dans le gouvernement».
Hélas, au lieu de s’occuper des problèmes graves qui affectent directement la population, comme la pénurie d’eau potable, les autorités iraniennes sont plus préoccupées d’accroître leur influence sur les pays voisins, l’Irak, la Syrie, le Liban au lieu de prendre en charge les besoins urgents de la population. Pour Ben-Dror Yemini, éditorialiste du journal israélien Yédioth Aharonoth, le drame est que «la République islamique devient plus faible à l’intérieur, mais plus forte à l’extérieur», ce qui inquiète, non seulement Israël, ses voisins arabes comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, mais aussi les pays européens et les États-Unis.
L’Iran cherche à accroître son influence régionale et en même temps à se doter de l’arme nucléaire, afin d’assurer la permanence de son régime politique des mollahs. Ce faisant, le pays sera forcément confronté au paradoxe de la sécurité. Tout État qui augmente très sensiblement les moyens de sa propre sécurité contribue dans le même temps à augmenter l’insécurité globale et donc, paradoxalement, à diminuer sa propre sécurité.
Liban: le système public d’eau est au bord de l’effondrement
Au Liban, l’Unicef prévient que le système public d’eau est au bord de l’effondrement, mettant 71% de la population, soit quatre millions de personnes, «en danger immédiat de perdre l’accès à un approvisionnement sûr.» Pour le représentant de l’Unicef, «le secteur de l’eau est écrasé par la crise économique actuelle au Liban, incapable de fonctionner en raison des coûts de maintenance dollarisés, des pertes d’eau causées par l’eau non facturée, de l’effondrement parallèle du réseau électrique et de la menace d’une augmentation des coûts du carburant.»
La région est un point chaud d’utilisation non durable de l’eau, dans la mesure où les prélèvements d’eau dépassent largement les quantités disponibles. L’écart entre l’offre et la demande s’accroît de manière dramatique, ce qui déjà, affecte la croissance et la stabilité de la région. D’une manière générale, dans cette région du monde, la situation de stress hydrique devrait inciter à une coopération entre pays voisins, dans la mesure où souvent ils partagent des réservoirs d’eau souterraine avec leurs voisins. Il faudrait également que l’aide accordée par les pays développés, en particulier les pays européens, puisse se concentrer sur les technologies modernes pour le traitement des eaux usées, pour la construction d’usines efficientes de dessalement d’eau de mer, pour réduire les pertes en eau des canalisations mal ou pas entretenues.
Concernant les eaux usées, 18% seulement sont recyclées, contre 70% dans les pays développés et 92 à 93% en Israël, alors qu’il s’agit d’une très bonne opportunité pour mieux satisfaire la demande en eau, d’autant plus que c’est la seule ressource naturelle qui augmente avec l’urbanisation et la croissance démographique. A cet égard, Israël constitue un exemple où l’innovation a permis de résoudre le problème de la crise de l’eau. Pour la Banque mondiale [[Marin, Philippe ; Tal, Shimon ; Yères, Josué ; Ringskog, Klas B, “Gestion de l’eau en Israël : Innovations clés et leçons apprises pour les pays pauvres en eau“ Banque mondiale, Washington, DC. © Banque mondiale. https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/28097 Licence : CC BY 3.0 IGO.(2017)]] , «bien qu’il soit l’un des pays les plus pauvres en eau au monde, Israël a atteint la sécurité de l’eau et le recouvrement intégral des coûts grâce aux tarifs et grâce à une série de réformes ambitieuses (…) l’expérience israélienne contient neuf leçons importantes apprises, qui sont d’une importance majeure pour d’autres pays confrontés à une pénurie d’eau croissante» :
1. Mise en place d’un système national d’adduction d’eau pour connecter toutes les infrastructures hydrauliques.
2. La réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation.
3. Le dessalement à grande échelle pour l’indépendance de l’eau potable.
4. L’utilisation des aquifères comme réservoirs.
5. L’interception du ruissellement des eaux de surface.
6. La promotion de la sélectivité des cultures et l’importation d’eau virtuelle.
7. Des technologies d’irrigation efficaces (goutte à goutte).
8. La gestion de la demande et la communication publique.
9. Créer un environnement favorable à l’innovation.
A ces innovations, il faut insister sur la sensibilisation du public à la valeur de l’eau, l’accès à des données de qualité pour une gestion intégrée, des investissements massifs dans les infrastructures, des prix bas de l’eau dessalée.
[(Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.)]