Publié le 6 avril 2021 à 11h00 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
En Israël, le président n’a, comme ce fut le cas en France lors de la quatrième république, qu’un rôle honorifique. A un détail près. Après toute élection législative, il reçoit, pour consultation, les responsables de chaque liste qui a réussi à obtenir au moins quatre sièges au Parlement. Une fois l’ensemble des entretiens terminés, il doit désigner le député qui aura la charge de réunir au moins 61 députés sur les 120 que compte le parlement qui approuvent sa nomination en tant que Premier ministre. Ce député, choisi par le Président, a quatre semaines (plus 2 semaines si nécessaire), pour arriver à constituer une coalition.
La question est de savoir si le Président est tenu de choisir le responsable de la liste qui a obtenu le plus de voix lors des élections. Dans ce cas, il serait tenu de demander à l’actuel Premier ministre le soin de constituer une majorité, dans la mesure où son parti, le Likoud, est arrivé en tête avec 30 sièges. Au total, 13 partis feront parti de la Knesset.
En fait, et c’est là que réside son seul pouvoir, il n’est pas tenu de respecter cette « règle ». Il peut, en toute discrétion, demander à une des listes qui lui paraît la plus à même d’arriver à constituer une majorité parlementaire, même si elle n’a pas obtenu la première place en nombre de députés élus. Il lui appartiendra le soin de réunir un nombre suffisant de députés, prêts à le soutenir en tant que Premier ministre.
Il semble que ce sera le cas.
Lorsque le Président a reçu officiellement les résultats définitifs du scrutin il a fait un discours, laissant entendre que son choix ne tiendra pas compte de la « règle », déclarant de manière sibylline, «j’espère vraiment que les élus, les représentants de la population, pourront entendre l’appel du peuple israélien pour une coalition non conventionnelle, des collaborations intersectorielles, travaillant pour le bien de tous les citoyens israéliens.»
L’expression «coalition non conventionnelle» laisse supposer qu’il ne choisira pas le Likoud, mais une liste autre. Cette expression a mis en fureur de hauts responsables du Likoud, dont l’actuel président du Parlement sortant, Yarin Levin, pour qui, il n’est pas approprié que le Président prenne des décisions contraires à la tradition qui a toujours été pratiquée et qui consiste à confier le mandat de former un gouvernement à celui dont la liste est arrivée en tête des élections.
D’autres députés du Likoud vont plus loin et accusent le Président Rivlin d’être de connivence avec Gideon Sa’ar, ancien membre du Likoud, ancien conseiller proche de Netanyahu, et aujourd’hui son plus farouche adversaire et connu pour entretenir des liens d’amitié avec le Président, de chercher à renverser Netanyahu à tout prix, dans l’intérêt dit-il, du pays. Pour d’autres membres du Likoud, «le Président ne détermine pas les résultats des élections ! Il ne doit pas devenir un acteur politique.»
L’hypothèse, auquel ces critiques, font implicitement référence est qu’une coalition des anti-Netanyahu arrive à constituer une majorité, ce qui signerait probablement sa fin politique, d’autant plus que les trois procès pour lesquels il est mis en examen, débutent le 5 avril prochain. Si Netanyahu quitte la scène politique, ce serait un tournant car il est Premier ministre depuis de longues années. Ceux qui ont vingt ans n’auront connu que lui à la tête du pays.
Cependant, la messe n’est pas dite. La fin de sa carrière politique, souhaité par certains, dénié par ses soutiens, n’est pas certaine. Compte tenu de son talent politique, il peut encore surprendre et trouver une solution qui lui permettra de conserver son poste de Premier ministre.
Un autre tournant marque ces élections et celui-ci est structurel car il peut modifier le jeu politique en Israël. Depuis la création de l’État, les députés arabes de la Knesset n’ont fait partie d’aucune coalition gouvernementale. Or, cette fois, la donne a changé. Un petit parti arabe, Ra’am, parti islamiste, affilié aux Frères Musulmans, dirigé par un dentiste, Mansour Abbas et qui a obtenu quatre sièges, pourrait jouer le rôle de « faiseur de roi ».
La coalition qui soutient Netanyahu a obtenu 52 sièges, et dans l’hypothèse où le parti de droite, Yamina (la droite en français) dirigé par Bennet, qui obtenu sept sièges, ainsi que le parti Ra’am, rejoignent la coalition menée par Netanyahu, celui-ci pourra disposer d’une majorité de 63 sièges. Cependant, les jeux ne sont pas faits. Les députés d’extrême-droite qui soutiennent Netanyahu refusent catégoriquement de faire alliance avec un parti islamiste qui, de plus, nie l’existence d’Israël en tant qu’État juif. Netanyahu, fin stratège, saura-t-il, une fois de plus concilier ce qui paraît inconciliable ? Affaire à suivre…
Ce qui nous paraît important à noter est que les arabes israéliens font maintenant partie du jeu. Ils ne sont plus mis sur la touche par les principaux partis. D’une manière ou d’une autre, ils vont participer à la prise de décision gouvernementale. Aussi bien, la droite, menée par le Likoud que le centre-gauche, se démènent pour les inciter à rejoindre la coalition en formation.
Jeudi 1 avril, Mansour Abbas est intervenu en hébreu à la télévision israélienne à 20h, heure de grande écoute et son intervention a été relayée par toutes les chaînes. Il a appelé à la coopération arabo-juive en Israël et a exhorté les partis juifs à ne pas boycotter son parti islamiste conservateur. Son discours a été modéré «Je tends la main en mon nom et au nom des membres du public arabe qui nous ont élus pour créer une chance d’une vie partagée en Terre Sainte (…) Je me tiens ici et je dis que le moment est venu, et c’est le moment d’écouter l’autre, de reconnaître le narratif de l’autre». Son discours bref, il n’a duré que sept minutes, a été bien reçu par la critique. Notons au passage que lors de son intervention, il y avait non le drapeau d’Israël mais celui, vert, des islamistes. Prudent et fin politique Mansour Ra’am n’a pas indiqué qui il soutiendra. Ce tournant d’une insertion de la population arabe aux destinées du pays est conforté par les réponses d’un sondage effectué en mai 2020 par l’Institut de la Démocratie Israélienne.
Une forte majorité des arabes interviewés (81%) pensent que les citoyens arabes désirent s’intégrer à la société israélienne et en faire partie, alors que seulement 44% estiment que ce n’est pas le cas actuellement. La population arabe israélienne n’est pas homogène, constituée de musulmans, de chrétiens et de druzes. Alors que seulement 40% des musulmans estiment se sentir appartenir à la société israélienne, ils sont 60% des chrétiens et 66% de la population druze.
En conclusion, une certitude et une incertitude. D’une part, l’arrivée dans le jeu politique du pays des arabes israéliens, considérée de plus en plus par la population juive comme légitime, est un tournant qui nous semble peu susceptible d’être inversée. D’autre part, le maintien au pouvoir ou le retrait de la vie politique de Netanyahu est incertain. A suivre…
[(Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.)]