Publié le 8 juin 2018 à 15h04 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h49
Les manifestations palestiniennes qui se sont déroulées depuis plus d’un mois le long de la frontière qui sépare la Bande de Gaza d’Israël, et qui se sont traduites par un nombre important de morts et de blessés du côté palestinien, ont rappelé au monde la question non résolue des réfugiés palestiniens de 1948. A leur égard, de nombreuses questions se posent : quel est leur nombre exact ? Quelle est leur situation économique et humanitaire ? Quels souhaits manifestent-ils quant à leur avenir ? Qui finance l’Agence des Nations-Unies (UNRWA) en charge de leur situation sociale et sanitaire ? Dans quelle mesure la décision des États-Unis de réduire leur contribution à l’UNRWA affecte-t-elle son fonctionnement ? Cet article ne prétend pas répondre à toutes les questions, mais seulement de contribuer à y voir un peu plus clair.
1. Les réfugiés palestiniens. Le recensement libanais offre des surprises.
Selon l’UNRWA, à la date du 1 janvier 2017, il y avait 5 340 443 réfugiés inscrits à l’Agence, dont la répartition géographique est la suivante :
Jordanie | ||
Liban | ||
Syrie | ||
Cisjordanie | ||
Total |
Fin 2017, les services officiels de la statistique du Liban ont publié les résultats du recensement de la population du pays, et la lecture des chiffres est surprenante : le nombre des réfugiés palestiniens recensés officiellement par le service des statistiques libanais est le tiers de ce que l’Agence des Nations-unies pour les réfugiés avance comme chiffre [[Yan, V, «Census puts Palestinian refugees at third of estimates», Daily Star, 26 décembre 2017]]. Pour l’UNRWA, les réfugiés palestiniens inscrits sur les registres de l’Agence sont, au 1 janvier 2017, au nombre de 463 664, alors que le recensement libanais estime qu’il n’y en a que 174 442. La différence entre les deux estimations est importante, près de 300 000 [[Le nombre de camps de réfugiés est le même selon les deux sources, soit 12]]. Pour le Premier ministre libanais, Saad Hariri, «On a beaucoup parlé du nombre de réfugiés palestiniens dans le pays, et nous avons entendu des chiffres record dans les cercles politiques, mais ce Comité [[ Il s’agit du Comité de dialogue palestinien libanais, groupe gouvernemental, qui travaille étroitement avec le Bureau central palestinien des statistiques et de l’Administration centrale des statistiques du Liban]] a mis les choses en perspective (…), certains parlaient de 400 000, 500 000 ou 600 000, mais aujourd’hui le nombre est clair. Il y a 174 422». A la décharge de l’UNRWA, l’Agence n’a jamais prétendu que le nombre qu’elle publiait était fiable. Pour leurs responsables, les décès ou la réinstallation en dehors des camps ne leur sont pas systématiquement signalés, aussi pour l’UNRWA, «le nombre de réfugiés enregistrés n’est pas un bon indicateur de la population». Se pose alors la question plus générale de savoir quel est le nombre exact de réfugiés palestiniens ailleurs qu’au Liban, d’autant plus que pour un journaliste du New York Times, l’UNRWA, «conçue pour être temporaire, définissait vaguement les réfugiés et élargissait cette définition au fil du temps. Selon les critiques, la principale différence entre ce bureau et celui du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) est que le statut de réfugié peut être transmis de génération en génération. Une autre est que cela ne supprime pas les personnes de la liste qui ont acquis la citoyenneté dans un nouveau pays, alors que leur nombre augmente toujours [[Hafbfinger D.M., «US funding Cut Reignites Debate on Palestinian Refugee Agency», New York Times, 17 janvier 2018]].»
2.Les manifestations palestiniennes de la Bande de Gaza. Le droit au retour.
Ces dernières semaines, sur la frontière qui sépare Israël de la Bande de Gaza, le mot d’ordre officiel des manifestants, tel qu’on pouvait le lire sur les pancartes brandies, était «La Grande Marche du Retour». Il s’agissait pour eux de retrouver les villages, les maisons, que leurs grands-parents avaient dû laisser derrière eux en 1948, et à cet égard, il n’est pas rare de rencontrer des descendants de réfugiés détenant encore aujourd’hui les clés de leur maison abandonnée, voire les titres de propriété. Pourtant, la question du retour n’est pas le souci prioritaire des Palestiniens, aussi bien en Cisjordanie que dans la Bande de Gaza. C’est ce que confirme un sondage effectué entre le 14 et le 17 mars le 2018. L’objectif premier est de mettre fin à l’occupation et de créer un État dans les frontières de 1967.
Quels sont les objectifs les plus vitaux auxquels sont confrontés les Palestiniens aujourd’hui ?
Mettre fin à l’occupation israélienne et construire un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza avec Jérusalem-est comme capitale | |||
Obtenir le droit au retour des réfugiés dans leurs villes et villages de 1948 | |||
Construire un État islamique | |
||
Établir un système politique démocratique qui respecte les libertés et les droits des Palestiniens |
Le droit au retour des réfugiés n’apparaît qu’en seconde position, y compris pour les habitants de la Bande de Gaza, dont il faut rappeler qu’ils constituent 70% de la population totale. Les réponses à la question de savoir qui est responsable de la situation dans la Bande de Gaza nous paraissent éclairantes dans la mesure où elles diffèrent selon la zone géographique, la Cisjordanie et Gaza. La question précise posée à l’enquête de mars 2018 était la suivante : « Les rapports internationaux indiquent que les conditions humanitaires deviennent pires de jour en jour, et que la Bande est au bord de l’effondrement. Qui, à votre avis est le plus responsable de la détérioration croissante dans la Bande de Gaza ? ». Les réponses sont reportées dans le tableau ci-dessous :
Qui est responsable de la situation dans la Bande de Gaza ?
L’Autorité palestinienne et le Fatah | |||
Le Hamas | |||
L’occupation | |||
Autre ou pas de réponse | |||
Total |
Pour les habitants de la Bande Gaza le premier responsable de l’effondrement est, à 43%, l’Autorité palestinienne présidée par Mahmoud Abbas et le parti du Fatah au pouvoir à Ramallah. L’occupation israélienne n’arrive qu’en seconde position, loin derrière (30%). En revanche, pour les habitants de Cisjordanie la responsabilité première de la situation dans la Bande de Gaza est l’occupation israélienne, l’Autorité palestinienne n’arrive qu’en troisième position, après celle du Hamas. Si l’on se place du côté israélien, ce qui frappe c’est que le sort actuel et futur des réfugiés palestiniens est une non question. C’est ce que note Rex Brynen, universitaire canadien «Contrairement à Jérusalem, aux frontières, à la sécurité et aux colonies de peuplement, la question des réfugiés palestiniens est une question à laquelle de nombreux politiciens et fonctionnaires israéliens préfèrent ne pas penser [[Brynen, R «Compensations for the Palestinians refugees: law, politic and praxis», Israël Law Review, vol 51, n°1, mars 2018]].» Rappelons que la superficie de la Bande de Gaza est de 360 km², et la population qui y vit est estimée, selon les sources fournies par le Bureau Central Palestinien des Statistiques, de 1 943 398 habitants. La densité de population est l’une des plus élevées au monde, soit 5 300 habitants au km². Pour l’UNRWA, il y a 1.3 millions de réfugiés, soit près de 70% de la population totale de la Bande de Gaza. La question des réfugiés est considérée, depuis 1948, comme l’une des principales questions non résolues du conflit entre Israéliens et Palestiniens, et il est clair qu’aucun accord de paix ne pourra faire l’impasse sur la résolution de ce problème. Il n’existe pas, à notre connaissance de publication de sondage récent effectué auprès de la population réfugiée sur la question de savoir, dans leur majorité, ce qu’ils souhaitent. Le seul sondage de ce type est ancien, il date de 2003 et a été effectué par le Palestinian Center for Policy and Survey Research. Cet institut a effectué un sondage auprès de la population palestinienne réfugiée, en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza, au Liban et en Jordanie. Le questionnaire reprenait la solution au problème des réfugiés telle qu’elle avait été publiée dans les journaux palestiniens à la lumière des négociations de Taba en janvier 2001 : «La création d’un État palestinien en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza et la reconnaissance par Israël de la résolution 194 de l’ONU sur le droit au retour. Les deux parties seraient d’accord sur le retour d’un petit nombre de réfugiés en Israël selon un calendrier qui s’échelonnerait sur plusieurs années. Chaque famille aura le choix entre cinq options ». Les résultats sont donnés dans le tableau ci-dessous.
Sondage effectué en 2003 auprès des réfugiés palestiniens
Option 1 | ||||
Option 2 | ||||
Option 3 | ||||
Option 4 | ||||
Option 5 | |
|||
Refuser toutes les options | ||||
Pas d’opinion |
Option 1 : Retour en Israël et devenir on citoyen israélien
Option 2 : Rester dans l’État palestinien (Cisjordanie/Bande de Gaza) et recevoir une compensation équitable pour les biens pris par Israël et pour d’autres pertes et souffrances
Option 3 : Recevoir la citoyenneté palestinienne et retourner dans les zones désignées à l’intérieur d’Israël qui seraient échangées plus tard avec les zones palestiniennes dans le cadre d’un échange territorial et recevoir une compensation
Option 4 : Recevoir une compensation équitable pour les propriétés, les pertes et les souffrances et rester dans le pays hôte, et recevoir soit sa citoyenneté soit la citoyenneté palestinienne
Option 5 : Recevoir une compensation équitable pour les propriétés et les pertes et émigrer dans un pays européen, aux États-Unis, en Australie ou au Canada et obtenir la citoyenneté de ce pays ou la citoyenneté palestinienne.
Le principal résultat est que seulement 10% des réfugiés veulent retourner en Israël. Le pourcentage est plus élevé lorsqu’on interroge les réfugiés vivant au Liban, 23%. En conclusion, le problème des réfugiés palestiniens, qui comporte plusieurs dimensions (statut définitif, indemnisation des pertes subies), n’est toujours pas résolue, et ne semble pas prêt de trouver une solution dans les mois qui viennent …, à moins que le Plan promis par l’administration américaine et qui devrait, paraît-il, être dévoilé dans les prochaines semaines ne nous réserve une surprise.
Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées. |