Publié le 11 avril 2019 à 20h45 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Netanyahu a gagné les élections législatives israéliennes. Il s‘agissait d’élire la 21e Knesset du pays, et 39 listes étaient en compétition, et compte tenu de la composition du futur Parlement c’est Netanyahu qui sera désigné futur Premier ministre pour quatre ans.
Ce qui frappe en premier, c’est que les deux listes rivales les plus importantes, ont obtenu 35 sièges chacune, soit au total plus de la moitié des 120 sièges que compte le Parlement. Ceci n’est pas arrivé depuis fort longtemps. Cette élection marque ainsi la polarisation des forces politiques, une droite forte et un centre gauche important. Ainsi, deux grands partis vont dominer les débats futurs, ce qui devrait logiquement réduire l’influence des petits partis. Selon la loi électorale, il appartient au Président de l’État, Reuven Rivlin, le soin de recevoir les responsables des listes qui auront obtenu au moins quatre sièges sur les 120 que compte le Parlement [[La loi électorale prévoit qu’une liste devra obtenir au minimum 3.25% des suffrages, soit l’équivalent de quatre députés.]] et, à l’issue des consultations, il devra désigner celui (ou celle) qui aura la charge de constituer une majorité de coalition, soit au minimum 61 députés.
Selon les derniers résultats, qui risquent peu de se modifier dans les jours qui viennent, la liste du Likoud, parti de Netanyahu, a obtenu 35 sièges, à égalité avec celle des Bleu et Blanc, dirigée par un ancien chef d’État-major, Benny Gantz. Compte tenu du fait que Netanyahu a plus de chances que Gantz de constituer une majorité de gouvernement, il est pratiquement acquis que le Président Rivlin lui demandera le soin de former, dans un délai de 28 jours (plus éventuellement 14 jours de plus) le futur gouvernement d’Israël. Rappelons que Netanyahu est mis en cause par la justice dans trois affaires. La procédure d’inculpation risque d’être longue, elle affectera donc sa capacité de travail. Par ailleurs, il aura donc un choix important à faire. Soit il décide de s’appuyer sur les listes qui l’ont soutenu durant la campagne et le gouvernement qui résultera des consultations sera un gouvernement fortement ancré à droite, soit il décide de proposer à l’autre liste, grande rivale de ces élections, la liste de Gantz, le soin de constituer un gouvernement d’union nationale. Nous le saurons dans les jours qui viennent. Quel que soit le choix qui sera fait le futur gouvernement aura à traiter d’importants dossiers, aussi bien sur le pan international qu’au niveau domestique.
En premier, il devra décider des relations futures avec les Palestiniens. Cette question a de fortes chances de se poser dans les prochaines semaines car l’administration américaine va dévoiler le Plan de Paix que Jason Greenblatt et Jared Kouchner préparent depuis de longs mois. La réponse palestinienne est attendue et elle risque d’être négative, compte tenu de la méfiance que lui inspire cette administration américaine considérée comme acquise à la cause israélienne. Cependant, une surprise n’est pas à exclure. Il n’est pas impossible que le plan américain puisse comporter des éléments qui seront considérés positivement par la partie palestinienne, qui ne le rejettera pas a priori, d’autant plus que les pays arabes, dont l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite et les États du Golfe, inciteront les Palestiniens à participer aux futures négociations. De plus, le Président Abbas a désigné un nouveau premier ministre en la personne de Mohammad Shtayyeh, un économiste qui avait participé aux négociations israélo-palestinienne en 2013-2014, parrainé par les américains et plus particulièrement John Kerry. La réponse israélienne, si elle est positive, reflètera son engagement à sortir de la politique du statu quo qui a prévalu ces dernières années.
Pour les israéliens une paix durable devra :
-Exiger des palestiniens qu’ils reconnaissent Israël comme État-nation du peuple juif
-Imposer un plan de sécurité qui laisse la Vallée du Jourdain sous la responsabilité sécuritaire israélienne,
-Permettre à Tsahal d’intervenir en Cisjordanie
-Mettre fin à l’incitation à la haine.
Il y a quelques jours, en plein dans la campagne, Netanyahu, cherchant à s’attirer des voix aux élections, s’était dit prêt à placer les colonies israéliennes (blocs importants et petites implantations isolées) sous souveraineté israélienne, ce qui est contraire au droit international. S’agissait-il de sa part de promesses de campagnes ou de véritable changement de paradigme. Dans la seconde hypothèse, Israël devra faire face à une forte opposition, de la part des Palestiniens, de l’ensemble des pays arabes et également des pays européens. Il n’est pas exclu également que l’administration américaine s’y oppose. Après la reconnaissance par Trump de l’annexion par Israël du Golan syrien, le ministre américain Pompéo avait indiqué qu’il n’y aurait pas d’autre reconnaissance de ce type par l’administration américaine. Dans l’hypothèse où Netanyahu décide de s’adresser à son adversaire, Benny Gantz afin de constituer un gouvernement d’union nationale, et que ce dernier accepte, alors on peut penser que la discussion avec les Palestiniens sera plus apaisée, et pourrait aboutir à des compromis acceptables par les deux parties. Concernant les autres problèmes, Israël devra continuer à lutter contre les menaces émanant de l’Iran en Syrie, en particulier contre les efforts iraniens d’aider le Hezbollah libanais à améliorer les roquettes ainsi que celles du Hamas à Gaza. Une autre question importante se posera à l’avenir aux israéliens. Elle concerne les relations avec la communauté juive américaine, car le fossé entre celle-ci et Netanyahu s’est aggravé ces dernières années. Le gel de l’accord passé avec les congrégations juives non orthodoxes (massorti et libéraux) qui sont majoritaires aux États-Unis, concernant l’esplanade devant le Mur des Lamentations à Jérusalem ainsi que les textes sur la conversion, ont fortement choqué les juifs américains, qui plus est ont plutôt tendance à voter démocrate. En d’autres termes il s’agira pour le nouveau gouvernement israélien d’arrêter le processus qui transforme les relations entre Israël et les États-Unis en une question partisane, compte tenu des liens très forts que Netanyahu a tissé avec le président Trump et l’administration républicaine.
Au niveau domestique la nouvelle administration devra s’attaquer sérieusement à une série de crises. Pour Dan Bendavid, «Israël a atteint l’un des carrefours les plus décisifs de son histoire. Les priorités nationales qui seront décidées dans les années à venir, avant que le pays n’atteigne le point de non-retour démographique et démocratique, détermineront si Israël sera ou ne sera pas dans ou trois générations.» Le pays aura à relever des défis importants liés à la crise du logement, à la dégradation sanitaire, à la question des transports, à la dégradation du niveau scolaire et au dualisme de l’économie.
1. La crise du logement. Le prix des logements a fortement augmenté. Ils ont pratiquement double depuis 2008. Cette augmentation affecte fortement les jeunes ménages qui ont manifesté leur colère en 2011.
2. La crise sanitaire. Le nombre de lits d’hôpitaux par habitant a chuté depuis les années 70, aussi le taux d’occupation est le plus élevé des pays de l’OCDE. Il en est de même pour les décès pour cause infectieuse, ce que montre les comparaisons internationales.
Décès pour cause infectieuse (pour 100 000 habitants) 2013 -2016
-Israël : 38.4
-États-Unis : 22.2
-Portugal : 17.7
-Canada : 13.2
-France : 12.2
-Finlande / 4.
3. Les infrastructures de transport ont été négligées. Le trafic routier est saturé et les transports collectifs ne sont pas à la hauteur des besoins.
4. La crise du système scolaire. Les performances des enfants israéliens dans les matières de base sont très faibles comparées à celles des pays développés, et cela «sans même prendre en compte les élèves ultra-orthodoxes qui n’étudient pas les matières de base et ne participent pas aux tests internationaux. Les performances des enfants israélo-arabes sont inférieures à celles des pays du tiers monde.» (Dan Bendavid).
5. Une partie de l’économie israélienne (12% des actifs) est constitué d’entreprises à forte valeur ajoutée, à marchés internationaux, et une autre partie (88% des actifs) de l’économie relève du tiers-monde, à faible valeur ajoutée. Le résultat global et inquiétant est que l’écart de productivité entre Israël et les pays développés s’aggrave d’année en année. Le niveau d’éducation des familles arabes israéliennes et des familles juives ultra-orthodoxes est très faible.
6. Les disparités économiques et sociales. Pour l’OCDE «La société israélienne est marquée par des disparités importantes entre les différentes communautés. La plupart des Haredim (ultra-orthodoxes) et des arabes israéliens vivent séparément du reste de la population. Ils ont différents systèmes scolaires, vivent principalement dans différentes villes et ne servent pas dans l’armée. Cela contribue à différents résultats sur le marché du travail, l’éducation et les revenus». Or, compte tenu de leur tendance à avoir de très grandes familles, la part démographique des juifs ultra-orthodoxes devrait presque tripler dans les prochaines décennies pour atteindre près de 30%. Cela aura de graves conséquences économiques car les hommes poursuivent des études religieuses à plein temps plutôt que de participer au marché du travail. De plus, les femmes ne peuvent travailler qu’à temps partiel du fait d’avoir à s’occuper de familles nombreuses. L’ensemble des familles juives ultra-orthodoxes et des familles arabes représenteront 51% de la population totale du pays en 2059.
En conclusion, Il nous paraît que, dans l’intérêt du pays, le choix d’une union nationale est la solution la plus raisonnable, car dans l’hypothèse où une coalition restreinte composée de la droite, l’extrême droite et les partis religieux, sera le choix de premier ministre, Israël prendra le risque de se transformer, à la longue, en une démocratie illibérale.
Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées. |