Publié le 5 avril 2022 à 7h05 - Dernière mise à jour le 9 décembre 2022 à 14h10
Il y a quelques jours, à Sde Boker, dans le désert du Négev en Israël, se sont réunis les ministres des affaires Étrangères d’Israël, nation invitante, du Maroc, de l’Égypte, de Dubaï, des Émirats Arabes Unis et des États-Unis. L’objet essentiel de cette première rencontre est clairement affiché, il s’agit de répondre aux menaces iraniennes.
Cette rencontre, au cours de laquelle il a été décidé qu’elle sera suivie d’autres qui se tiendront dans les autres pays présents, est importante, et ce à plusieurs titres.
Premièrement, elle confirme l’intérêt que les pays arabes sunnites et Israël accordent aux Accords d’Abraham signés à l’initiative de l’ex président des États-Unis, Donald Trump. Le regard que portent les pays arabes participants sur Israël est en train de se modifier. Ainsi, notons cette proposition du ministre des EAU (Émirats arabes unis), pour qui il convient de changer les termes du narratif des relations entre Israël et les pays arabes. Déplorant les 43 années -depuis que l’Égypte et Israël ont signé un accord de paix- qui se sont écoulées et qui auraient pu être utilisées pour «se connaître et changer le narratif».
En second, les pays arabes participants et Israël partagent un même souci, la menace iranienne. Même si celle-ci n’est pas la même pour Israël et les pays arabes, dans la mesure où l’Iran ne s’est jamais caché que son objectif ultime concernant Israël est que ce pays soit définitivement rayé de la carte, les pays arabes sunnites estiment que l’Iran menace leur sécurité et leur stabilité. Ainsi, pour Kuperwasser, ancien général israélien, «Les ÉAU et Bahreïn sont sous la menace militaire iranienne immédiate, le Maroc est sous une menace plus indirecte. Les Iraniens, depuis l’Algérie, sont impliqués dans la promotion du Front Polisario (organisation nationaliste dont l’objectif principal est l’indépendance du Sahara Occidental) qui s’activent contre les intérêts marocains». Il est clair que si la menace iranienne a rapproché l’ensemble des pays participant à la réunion de Sdé Boker, d’autres intérêts stratégiques sont en jeu, qui concernent l’économie, la recherche, l’eau, le tourisme, etc.
Troisièmement, les participants se sont engagés à élargir la coopération économique et diplomatique. Ainsi, Israël et les Émirats arabes unies viennent de signer un accord de libre-échange. Cet accord fait suite à la décision de créer ensemble un fonds de R&D pour soutenir des projets technologiques impliquant des entreprises israéliennes et émiraties. A cet égard le Wall Street Journal rapporte qu’un fonds souverain des ÉAU avait investi 100 millions de dollars dans six sociétés de capital-risque israéliennes.
Quatrièmement, la question palestinienne s’est invitée à la réunion bien que Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité palestinienne n’y était pas convié. Ainsi, le Secrétaire d’État américain, Bliken, a déclaré que «les Accords d’Abraham ne se substituaient pas à la question palestinienne». Le ministre égyptien a réaffirmé son soutien au processus de paix israélo-palestinien et la solution à deux États, ainsi que de Jérusalem. De plus, la question palestinienne s’est invitée d’une autre manière. Trois attentats contre des civils israéliens commis par les arabes israéliens et un palestinien originaire de Cisjordanie, ont eu lieu au même moment, relançant la crainte des Israéliens que ces attentats sont le prélude d’une troisième intifada, après celles de 1987 et 2000.
Depuis quelques mois la question israélo-palestinienne était reléguée au second plan. Pourtant, le conflit entre Israéliens et Palestiniens ne s’est pas évaporé. Depuis la seconde intifada (2000-2004), l’attitude des pouvoirs en Israël était en faveur d’une politique visant à gérer le conflit plutôt qu’à chercher à le résoudre. Certains se demandent alors si le temps n’est pas venu de chercher à le résoudre, compte tenu de la nouvelle donne et des relations nouvellement créées entre Israël et plusieurs pays arabes, et ce d’autant plus que l’Arabie Saoudite, pays sunnite important, entretient des relations semble-il importantes, bien que non officielles, avec Israël.
Pourtant, nous ne pensons pas que des négociations officielles entre Israéliens et Palestiniens verront le jour dans les prochaines semaines, voire les prochains mois. Des obstacles subsistent des deux côtés. Du côté palestinien, la question de la succession de Mahmoud Abbas se pose, car il vient de fêter ses 87 ans. Des bruits circulent pour savoir qui le remplacera, mais pour l’instant rien de précis. Par ailleurs l’attitude du Hamas et du Djihad islamique, organisations proches de l’Iran, ne montrent aucune volonté de se rapprocher du Fatah, intensifiant la partition de la Palestine en deux entités de plus en plus séparées.
Ainsi la Banque mondiale dans son dernier rapport du 17 novembre 2021 estimait que le revenu par habitant est de moins d’un tiers de celui de la Cisjordanie, alors qu’en 1994, à la signature des accords d’Oslo entre Israéliens et Palestiniens, il en représentait 87%. Le taux de chômage dans la bande de Gaza est estimé à 41.7%, alors que celui de la Cisjordanie est seulement (!) de 16.9%, soit 2.5 fois plus. Enfin, fin mars, des élections municipales ont été organisées en Cisjordanie et pas dans la Bande Gaza, le Hamas ayant décidé de les boycotter.
Du côté israélien, la majorité au Parlement n’est que d’une seule voix, 61 contre 59. Une simple défection suffira pour la démission du gouvernement, qui est soutenu par pas moins de huit partis. Les membres du gouvernement, situés à droite de l’échiquier, refuseront toute tentative de rapprochement vers la résolution du conflit. Alors ? patience…
[(Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.)]