Publié le 8 avril 2015 à 22h25 - Dernière mise à jour le 1 décembre 2022 à 16h54
Lors de la récente commémoration des attentats de Toulouse et de Montauban, le Premier Ministre, Bernard Cazeneuve, et l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, ont rappelé l’attachement de la France envers ses citoyens juifs et le rôle essentiel qu’ils ont joués dans l’histoire du pays. Le premier a dit à leur adresse: «La France a besoin de tous ses enfants et elle a besoin des Juifs de France (…) elle sait parfaitement que si vous deviez quitter ses bras la France ne serait plus la France». Quant au second, il a déclaré: «Vous appartenez à l’Histoire de la France, ses malheurs, son miracle : la France ne serait pas la France sans la présence du judaïsme et des Juifs de France». Mais au-delà des mots qu’elle est cette contribution si essentielle des juifs de France qui sans eux notre nation en perdrait de son identité ?
Un engagement pour la France et la République
La France abrite la plus importante communauté juive d’Europe, avec près de 600 000 personnes, et sa présence est attestée depuis l’antiquité. Mais projetons-nous de la Gaule jusqu’à la Révolution française qui vit leur émancipation pour la première fois en Europe. En effet, la République a permis aux juifs de sortir des ghettos dans lesquels ils étaient confinés et marginalisés pour se voir accorder la citoyenneté et ne plus rester cantonnés dans les quelques professions qu’on leur laissait exercer. Dès lors ils ont investi tous les secteurs de la société et ont embrassé ainsi le destin commun des Français jusqu’à payer «de leur sang leur amour de la patrie».
Une intégration réussie malgré les péripéties de l’Histoire
Ce succès d’intégration ne plut pourtant pas à certains qui pour protéger leur vision exclusive de la nation, inventèrent un nouveau concept, l’antisémitisme, affirmant ainsi que les juifs même assimilés restaient fondamentalement des étrangers, des sémites. L’affaire Dreyfus en fut une première illustration pour culminer avec la Shoah et les lois raciales du gouvernement de Vichy. Mais, malgré de tragiques événements, les juifs ont maintenu leur présence et ont ainsi contribué à l’Histoire de la France et à sa culture. Jusqu’à certains mots de la langue de Molière dont on a oublié l’origine hébraïque ou biblique, pour ne citer que paradis (du mot pardès, jardin), shelem (complet, complétude), maboul (le déluge), tohu bohu (le chaos originel), ou encore le célèbre abracadabra (par la parole il créa). Et fait significatif, nombreux sont ceux qui lorsqu’ils font leur « Alyah » – monté – en Israël, reconnaissent volontiers qu’ils se sentent encore plus Français depuis leur départ. On le voit, la France et les juifs c’est bien plus qu’une histoire d’amour, c’est tout simplement indissociable de l’Histoire de France.
La loi du pays est la loi
Une partie de l’incompréhension entourant les juifs qu’ils soient pratiquants ou athées est que le même mot désigne à la fois un peuple et la religion qu’il pratique. La République et la laïcité à la française, ont permis à cette composante de la nation d’exister pleinement à la fois en tant que citoyens apportant leur contribution au collectif, et de se doter d’institutions spécifiques grâce aux lois sur les associations de 1901 et 1905. C’est ainsi qu’il faut considérer ce que l’on appelle la « communauté juive organisée » et principalement le Crif (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France), organe laïque regroupant le réseau associatif et le Consistoire ayant trait au culte -initialement créé sous l’Empire, il fut revisité par la suite. On est bien loin des accusations de communautarisme que d’aucuns profèrent. De cette dichotomie entre représentations laïque et religieuse, conforme aux principes républicains qui pourrait servir d’exemple à d’autres composantes de la communauté nationale, découle un principe fondamental, «La loi du pays est la loi». Ce principe explique les raisons de l’intégration des juifs dans toutes les nations où ils ont vécu et à chaque fois qu’on leur en a laissé la possibilité.
Pour rester soi-même, il faut toujours avancer
Contrairement aux poncifs véhiculés par l’expression «peuple élu», les Français juifs ne sont ni retranchés de la communauté nationale, ni au-dessus des lois du pays comme on vient de le voir. Cette très mauvaise traduction de l’hébreu «Am ségoula» signifie en fait «peuple qui évolue». Venant du mot «ségol», une voyelle en forme de triangle représentée par trois points, cette expression illustre le principe de toujours retomber sur sa base quelle que soit la situation. Cette notion de mouvement va même plus loin puisque la Loi religieuse juive s’appelle la « Halakha » du verbe aller en hébreu et qui peut se traduire par «la marche à suivre». C’est cet impératif de toujours avancer quels que soient les événements qui est la véritable constante du peuple juif et non de faire toujours la même chose depuis des millénaires. Cela explique également cette volonté farouche de continuer à partager le destin national malgré les aléas de l’Histoire.
Résister à la barbarie et aux totalitarismes toujours
Suite aux tragiques événements de janvier, une amie me posa la question suivante : «Comment se fait-il que les juifs depuis des temps immémoriaux aient fait l’objet de discriminations et d’attaques ?» Après réflexion, je lui répondis que cela tenait au moins à trois choses, nous sommes encore là, nous avons la mémoire de ce qui est advenu et nous la transmettons et enfin, la tendance irrépressible à ne pouvoir supporter les totalitarismes. De quoi agacer je l’avoue. Mais aujourd’hui, si j’ai un message à adresser à mes concitoyens : ce n’est pas de me plaindre de l’antisémitisme, de la judéophobie, de l’antisionisme ou quel que soit le nom. C’est plutôt le désir ardent de partager cette expérience acquise qui peut nous permettre collectivement de rester nous-même, unis dans notre diversité sans abdiquer aucune de nos valeurs et cela malgré les événements. A l’image du discours prononcé par le Président de la République François Hollande lors de la commémoration de la rafle des 44 enfants juifs d’Izieu, si nous y parvenons, ce sera notre plus grande victoire contre la barbarie.