Publié le 10 mars 2022 à  8h30 - DerniÚre mise à  jour le 9 décembre 2022 à  14h11
La menace nuclĂ©aire brandie par la Russie dĂšs les premiers jours de lâinvasion de lâUkraine a tĂ©tanisĂ© lâoccident et laissĂ© ce pays seul face Ă la 2e armĂ©e du monde. Cette sĂ©quence dramatique sonne le glas de la dissuasion nuclĂ©aire, et souligne Ă©galement lâincapacitĂ© des grands forums mondiaux Ă prĂ©venir les conflits. Aussi, il est impĂ©ratif dâĂ©laborer de nouvelles doctrines afin de rĂ©tablir lâĂ©quilibre des forces pour assurer la paix entre les nations, si lâon ne veut pas que la raison du plus fort prĂ©vale.
La dissuasion nuclĂ©aire nâa pas Ă©tĂ© enterrĂ©e par Vladimir Poutine. Elle lâa Ă©tĂ© par lâabsence de rĂ©ponse appropriĂ©e des occidentaux Ă la mise en alerte des forces non conventionnelles russes, trois jours seulement aprĂšs le dĂ©but de lâinvasion de lâUkraine. ils ont ainsi fait voler en Ă©clats un systĂšme international basĂ© sur lâĂ©quilibre de la terreur qui a prĂ©valu depuis la guerre froide. Cette «doctrine militaire dĂ©fensive Ă©tait fondĂ©e sur la crainte rĂ©ciproque des consĂ©quences liĂ©es Ă lâemploi en premier de lâarme nuclĂ©aire et Ă la capacitĂ© de seconde frappe en riposte». En dâautres termes, il y avait la paix, car il devenait impossible de faire la guerre sous peine de destruction totale.
Le refus des occidentaux dâajuster leur rĂ©ponse au niveau de la menace adverse a encouragĂ© Vladimir Poutine dans son entreprise, comprenant quâil nâavait pas Ă craindre dâintervention extĂ©rieure. Par ce choix, des dĂ©cennies dâexpĂ©rience stratĂ©gique ont Ă©tĂ© remisĂ©es, alors que par le passĂ© cette doxa avait empĂȘchĂ© Ă plusieurs reprises une apocalypse nuclĂ©aire. Il suffit de penser Ă lâaffaire des missiles de Cuba. Alors quâaucune issue nâest encore en vue, un autre front tout aussi crucial pour lâavenir du monde vient encore assombrir lâhorizon, celui de lâIran et sa course effrĂ©nĂ©e vers la bombe atomique.
Quand la crise ukrainienne sâinvite dans le dossier nuclĂ©aire iranien
MaĂźtriser la technologie nuclĂ©aire a toujours Ă©tĂ©, un objectif assumĂ© de lâIran. Initialement civil, le volet militaire est devenu un impĂ©ratif stratĂ©gique depuis la rĂ©volution islamique pour deux raisons principales. Tout dâabord pour ravir Ă son grand rival saoudien le leadership du monde musulman et pour sanctuariser son rĂ©gime face aux oppositions tant internes quâextĂ©rieures. Dans cette perspective, lâaccord de Vienne sur le nuclĂ©aire (ou JCPOa) signĂ© en 2015, pour une durĂ©e de 10 ans, entre les P5+1 (Allemagne, Chine, USA, France, Royaume Unis, Russie) et lâIran nâa jamais Ă©tĂ© endossĂ© sĂ©rieusement par la thĂ©ocratie chiite (les preuves ont Ă©tĂ© apportĂ©es par le Mossad, dâautres services de renseignement et lâAIEA). Le JCPOa ne servait quâĂ masquer les vĂ©ritables intentions du pouvoir Khomeyniste, poursuivre secrĂštement son programme et devenir, en «toute lĂ©galité», une puissance nuclĂ©aire militaire dĂšs 2025. Câest parce quâil y a eu poursuite de lâenrichissement de lâuranium Ă des niveaux que seule une utilisation militaire impose, et le dĂ©veloppement des missiles balistiques intercontinentaux, que lâadministration Trump est sortie de lâaccord, rĂ©imposant les sanctions, et non lâinverse.
Alors que le renouvellement de lâaccord, promesse de campagne de Joe Biden, avance Ă marche forcĂ©e, la nouvelle donne internationale vient sâinviter aux nĂ©gociations. La vulnĂ©rabilitĂ© de Kiev ne peut que renforcer la dĂ©termination de TĂ©hĂ©ran Ă dĂ©tenir lâarme atomique. En effet, si lâUkraine qui sâest dĂ©nuclĂ©arisĂ©e contre des promesses sans rĂ©elle garantie, avait conservĂ© une partie de son arsenal hĂ©ritĂ© de lâĂšre soviĂ©tique, elle nâaurait jamais Ă©tĂ© Ă la merci de la Russie.
De son cĂŽtĂ©, le PrĂ©sident amĂ©ricain dĂ©sire clore au plus vite ce dossier, quel quâen soit le coĂ»t, pour se focaliser sur les sanctions contre Moscou et la rivalitĂ© avec PĂ©kin. Aussi, lâon peut craindre, sây rien ne sây oppose, un accord moins efficace encore que le prĂ©cĂ©dent. Il permettrait, Ă lâun des rĂ©gimes les plus rĂ©pressifs de la planĂšte, de poursuive en toute quiĂ©tude sa politique hĂ©gĂ©monique bien au-delĂ du Golfe persique, Ă lâabri de son parapluie nuclĂ©aire, en menaçant, par exemple, prĂšs dâun tiers de la production mondiale dâhydrocarbures, et tenir sa promesse de rayer IsraĂ«l de la carte.
Paralysie du systĂšme international et nouvelles voies diplomatiques
Que ce soit le conseil de sĂ©curitĂ© de lâONU, incapable de sanctionner les pays dĂ©tenteurs du droit de veto, lâOtan ou lâUnion EuropĂ©enne (UE), aucune de ces organisations internationales nâa Ă©tĂ© en mesure dâempĂȘcher la guerre en Ukraine. Pire encore, lâinstabilitĂ© mondiale risque de sâaccroĂźtre avec le nouvel accord de Vienne en prĂ©paration, Ă©laborĂ© au dĂ©triment des voisins immĂ©diats de lâIran, exclus des nĂ©gociations. LĂ nâest pas le moindre des paradoxes tant lâon revendique le multilatĂ©ralisme pour rĂ©gir les relations internationales. Cependant, la paralysie du systĂšme et lâurgence de la situation favorisent lâĂ©mergence de modalitĂ©s diplomatiques inusitĂ©es. Câest ainsi, que se trouve propulsĂ© au rang de mĂ©diateur de la derniĂšre chance, en coordination avec les USA, la France et lâAllemagne, un pays nâappartenant pas au sĂ©rail des grandes puissances, IsraĂ«l.
Mission Ă haut risque, le choix sâest portĂ© sur lâĂtat HĂ©breu qui l’a acceptĂ©e, pour plusieurs raisons. Tout dâabord, câest la seule dĂ©mocratie qui depuis des annĂ©es entretiens des rapports Ă©troits avec les deux belligĂ©rants, tout en Ă©tant un alliĂ© stratĂ©gique des Ătats-Unis. Ce lien privilĂ©giĂ©, ne sâexplique pas uniquement par la prĂ©sence en IsraĂ«l, de fortes communautĂ©s juives issues de lâex-URSS, toujours attachĂ©es Ă leur culture dâorigine. Elle est surtout le rĂ©sultat de la situation gĂ©opolitique trĂšs particuliĂšre de lâĂtat Juif, isolĂ© au Moyen-Orient, en Ă©tat de guerre quasi-permanent avec ses voisins depuis son indĂ©pendance qui a dĂ» innover sur les plans technologique, diplomatique et stratĂ©gique pour assurer sa survie. Ainsi se sont dĂ©veloppĂ©es des coopĂ©rations Ă©troites, basĂ©es sur des intĂ©rĂȘts rĂ©ciproques, avec un trĂšs large panel de pays sur tous les continents et la signatures dâaccords de paix. Ce savoir-faire peut ĂȘtre utilement mis Ă contribution, non seulement pour tenter de trouver une issue au conflit entre lâUkraine et la Russie, mais Ă©galement pour faire Ă©voluer ses propres dossiers, en tout premier lieu, la nuclĂ©arisation de lâIran, tant les protagonistes et les sujets sont intriquĂ©s.
Le premier résultat tangible de la médiation israélienne
La visite du Premier ministre Naftali Bennett Ă Moscou a dĂ©jĂ portĂ© ses fruits, non pas sur lâUkraine mais sur le nuclĂ©aire iranien, comme gage de bonne volontĂ© envers le mĂ©diateur israĂ©lien et pour prouver que lâhĂŽte permanent du Kremlin est le maĂźtre du jeu. Ainsi, le PrĂ©sident russe a exigĂ© des USA lâabsence dâentrave Ă son activitĂ© commerciale avec lâIran en cas de levĂ©e des sanctions contre TĂ©hĂ©ran. Dans le cas contraire, il ne soutiendrait pas les provisions de lâaccord de Vienne tant dĂ©sirĂ© par le locataire du bureau ovale. Cette rouerie politique dĂ©montre, sâil Ă©tait encore nĂ©cessaire, que Vladimir Poutine nâest pas dĂ©ment mais cynique, et rusĂ©. Il sait trĂšs exactement ce quâil veut et joue des faiblesses de ses adversaires comme de ses alliĂ©s, en lâoccurrence les mollahs perses.
Quelle issue Ă la crise ukrainienne ?
Le recours exclusif aux sanctions Ă©conomiques par les occidentaux, pourtant jugĂ©es inefficaces par les mĂȘmes contre la thĂ©ocratie perse, laisse peu dâespoir quant Ă un retrait rapide des troupes russes du territoire de son voisin. En refusant de se donner les moyens de sâopposer Ă cette agression, les USA et lâUE ont, de fait, entĂ©rinĂ© une partition qui amputera le pays de ses rĂ©gions les plus riches en ressources. IsraĂ«l peut servir au mieux de truchement entre les belligĂ©rants, les USA, la France et lâAllemagne pour tenter de limiter le nombre des victimes civiles, les destructions massives dâinfrastructures et favoriser des nĂ©gociations discrĂštes entre les parties. Mais en dĂ©finitive, lâavenir de lâUkraine repose essentiellement sur la rĂ©sistance du peuple ukrainien et de son courageux prĂ©sident, Volodymyr Zelensky. Plus le conflit durera, plus les pertes russes augmenteront (on en compterait dĂ©jĂ plusieurs milliers parmi lesquelles des officiers supĂ©rieurs) et plus il deviendra difficile de le justifier auprĂšs de la population russe ou des oligarques, menaçant ainsi le pouvoir sans partage du prĂ©sident Poutine.
AprĂšs un monde bipolaire, lâĂšre des blocs rĂ©gionaux ?
La grande leçon que la majoritĂ© des Ătats ont dĂ©jĂ tirĂ© de ce conflit, câest quâaucune instance internationale ne leur viendra en aide si une puissance belliqueuse, a fortiori dĂ©tentrice de lâarme nuclĂ©aire, venait Ă sâen prendre Ă eux. La disparition de la bipolaritĂ© Est-Ouest a rendu le monde plus incertain en gĂ©nĂ©rant une multitude de fronts, chacun dĂ©terminant des coalitions de circonstance, parfois contradictoires. On a pu le constater derniĂšrement avec le conflit entre lâArmĂ©nie et lâAzerbaĂŻdjan. Pour sortir de lâimpasse diplomatique et diminuer lâinstabilitĂ© actuelle, de nouvelles alliances doivent ĂȘtre tissĂ©es rĂ©gionalement. FondĂ©es sur des intĂ©rĂȘts mutuels et des complĂ©mentaritĂ©s, elles devront Ă©galement mobiliser les moyens nĂ©cessaires pour assurer leur sĂ©curitĂ©.
La dynamique engagĂ©e par les accords de paix dâAbraham israĂ©lo-arabes ou le consortium Est-Med en MĂ©diterranĂ©e orientale entre des pays europĂ©ens, arabes et IsraĂ«l va dans ce sens. Il se sâagit plus dâalliances ou dâoppositions globales entre des grands blocs idĂ©ologiques ou religieux, mais de regroupements rĂ©gionaux dictĂ©s par la nĂ©cessitĂ© de sâorganiser face Ă une mĂȘme menace. Les premiers sont la consĂ©quence de la politique pro-iranienne dâObama et le second sâest constituĂ© pour exploiter en commun et assurer la dĂ©fense de ressources gaziĂšres offshore, face Ă la politique expansionniste turque, ainsi que pour diminuer la dĂ©pendance Ă©nergĂ©tique europĂ©enne Ă la Russie.
Contrastant avec la faillite des dirigeants mondiaux, câest la voie que semblent avoir pris Ă©galement les peuples europĂ©ens, laissant poindre une lueur dâespoir. Ce conflit, a rassemblĂ© sous une mĂȘme banniĂšre, malgrĂ© leurs diffĂ©rences, une large majoritĂ© dâukrainiens afin de prĂ©server leur identitĂ© nationale. Ensuite, sâest forgĂ© une solidaritĂ© et un sentiment dâune communautĂ© de destin des citoyens dâEurope. Ce que le nouveau Tsar nâavait pas anticipĂ© et qui pourrait donner une tournure inattendue au conflit, en favorisant lâalternance du pouvoir Ă Moscou.
La morale du Chartier embourbĂ© de Jean de la Fontaine nâa jamais Ă©tĂ© aussi appropriĂ©e : «Aide-toi, le Ciel tâaidera!».
[(Hagay Sobol, Professeur de MĂ©decine est Ă©galement spĂ©cialiste du Moyen-Orient et des questions de terrorisme. A ce titre, il a Ă©tĂ© auditionnĂ© par la commission dâenquĂȘte parlementaire de lâAssemblĂ©e Nationale sur les individus et les filiĂšres djihadistes. Ancien Ă©lu PS et secrĂ©taire fĂ©dĂ©ral chargĂ© des coopĂ©rations en MĂ©diterranĂ©e, il est vice-prĂ©sident du Think tank « Le Mouvement ». PrĂ©sident dâhonneur du Centre Culturel Edmond Fleg de Marseille, il milite pour le dialogue interculturel depuis de nombreuses annĂ©es Ă travers le collectif « Tous Enfants d’Abraham ». ))]