Publié le 7 mai 2020 à 9h04 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Alors que tant de belles plumes font déjà le procès de la gestion de la crise sanitaire du Covid-19 ou prédisent avec assurance tout et son contraire, j’ai beaucoup hésité à écrire cette tribune. Il m’a semblé plus pertinent de porter témoignage, celui d’un citoyen, d’un père de famille et d’un médecin. Faire preuve d’humilité et de franchise en analysant ce que cette crise sanitaire m’a appris, et les choix que je suis prêt désormais à assumer pour aller de l’avant.
Faire mon mea culpa
Il est odieux et tellement facile d’avoir raison après les événements. Aussi, je dois bien reconnaître, comme beaucoup de professionnels de santé, induits en erreur par des informations erronées venant de Chine, que je n’ai pas immédiatement pris conscience de la gravité de la situation. Puis, progressivement, je me suis aperçu que les faits contredisaient la thèse officielle d’une « simple grippette » que j’avais moi-même contribué à diffuser… Il y a encore de trop nombreuses inconnues concernant cette maladie, le Covid-19, son agent pathogène, le coronavirus SARS-CoV-2, et bien-sûr sa prise en charge médicale. A mon humble niveau, j’ai donc essayé de redresser la barre et de pointer les incertitudes qui sont souvent plus difficiles à énoncer et à vivre que les fausses croyances relayées par nombre de «gourous» et spécialistes autoproclamés.
Médecin, ce n’est pas qu’un métier, c’est un état
J’ai eu la chance de ne pas rester confiné durant de longues semaines. En tant que médecin, j’ai continué à travailler. Bien que n’étant pas en «première ligne», dans l’Institut où je travaille, chacun à notre poste, nous avons continué collectivement à nous battre contre le cancer qui n’a pas fait de pose malgré la pandémie. C’est une expérience similaire qu’a vécu mon épouse Myriam, Directrice générale d’une structure médico-sociale, sur le pont en permanence pour trouver des masques et éviter la contamination des résidents. Ce paradoxe d’un monde figé, où l’essentiel est assuré par une minorité au service du plus grand nombre, m’a rappelé avec une acuité renouvelée les raisons de mon choix professionnel. J’en profite pour remercier celles et ceux qui applaudissent tous les soirs les soignants. Être médecin, ce n’est pas qu’un métier, c’est un état permanent. C’est la volonté constante d’être présent et d’aider celui qui souffre. En hébreu, médecin se dit « rofé », racine du nom de l’ange Raphaël qui a deux fonctions, soigner et de guérir. Car contrairement à une interprétation erronée de la Bible, le monde que Dieu a créé n’est pas un monde parfait et achevé. C’est un monde « à faire », avec ses imperfections et ses maladies que l’humanité doit vaincre. Le rendez-vous journalier du décompte des personnes atteintes et décédées, parmi lesquelles parfois des proches, a fait naître un sentiment d’impuissance et de stress. Comment dormir paisiblement, alors que l’on aurait pu en faire beaucoup plus ? Mais notre impréparation, certains choix politiques et la dégradation de notre système de santé, autrefois d’exceptionnelle qualité, nous ont fortement handicapés.
La famille confinée mais unie
Malgré le confinement et la distanciation sociale, le sentiment d’une menace extérieure invisible mais bien présente a eu pour effet bénéfique de resserrer les liens familiaux et de rajouter en intensité ce que nous avions perdu en espace. Un exemple, pour les fêtes de la Pâques juive (Pessach), où l’on fait traditionnellement un repas en famille les deux premiers soirs en lisant le récit de la sortie d’Égypte. Comme nous ne pouvions nous réunir et que nous étions dispersés et pour certains isolés, nous avons mis en place un système de «visio-conférence maison». Ainsi, nous étions tous réunis virtuellement autour de la table, mon épouse, mes quatre enfants, mon futur gendre, mon frère et sa grande famille, ainsi que ma mère toute seule dans sa grande maison dans l’agglomération lyonnaise. Cette atmosphère très inhabituelle et ce sentiment de vulnérabilité nous rendaient encore plus proche de ces hébreux libérés il y a plusieurs millénaires du joug de l’esclavage après les dix plaies et devant partir à la hâte sous la conduite de Moïse pour échapper à Pharaon.
Je dois dire également que j’ai été très impressionné par la maturité de trois de nos enfants de 17 à 21 ans vivant avec nous. La plus grande, une jeune artiste, inspirée par la situation, en a profité pour écrire et composer de nouvelles chansons. La seconde, en Paces (Première année commune des études de Santé), s’est accrochée et a travaillé dur, malgré l’incertitude sur la date du concours, les changements de programme et de modalités. Quant à notre fils, il a pris ses crayons et sa plume pour créer une bande dessinée hilarante racontant les aventures d’une famille confinée dont nous allons tout faire pour qu’elle soit publiée.
Nous Présidents ?
Après, la deuxième prise de parole d’Emmanuel Macron, j’ai fermé les yeux et imaginé les discours qu’auraient pu faire les Présidents qui l’ont précédé à la magistrature suprême dans la même situation… Certes, il y aura beaucoup à dire sur le retard à l’allumage, le problème de transparence et de communication, la pénurie de personnels qualifiés, de médicaments, de masques, de tests de dépistage et surtout le manque de lits de réanimation, un peu plus de 5 000 contre 25 000 chez nos voisins d’outre-Rhin.
Mais, il est tellement plus facile d’être dans l’opposition et de critiquer que d’avoir à prendre les décisions en situation d’incertitude majeure. Le procès en sorcellerie fait à Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la Santé, pour avoir acheté trop de masques et de doses de vaccins en prévision d’une pandémie de grippe A (virus H1N1) qui ne s’est heureusement pas produite, est exemplaire. Il est inadmissible d’instrumentaliser la santé pour faire de la politique politicienne. On voit où cela nous a menés : à parfois être contraints de choisir qui l’on va essayer de sauver, et mettre sous respiration artificielle, faute de moyens adéquats. La situation actuelle est le résultat de dizaines d’années d’une politique qui a sinistré notre système de santé qui s’est réduit comme peau de chagrin pour faire des économies utilisées à d’autres fins. Mais les électeurs, c’est-à-dire nous, avons également notre part de responsabilité. D’abord, parce que chacun a son idée sur la question de ce qu’il aurait fallu faire quelles que soit nos compétences et qualifications. Ensuite, parce que l’on ne veut rien lâcher. Bien que notre société ait changé, que nous vivons mieux et plus longtemps avec une consommation accrue de soins médicaux, une natalité plus faible et moins d’actifs, nous ne voulons rien changer : travailler toujours moins, moins longtemps, gagner plus et conserver notre État providence avec toutes les aides, son système de solidarité et de retraite par répartition etc. C’est en grande partie à ces non-choix que nous devons la paupérisation de notre système de santé et consécutivement notre incapacité à faire face de manière satisfaisante à la crise sanitaire, contrairement à d’autres pays développés.
Le choix, ce n’est pas ce que l’on préserve mais ce à quoi l’on décide de renoncer
Pour équilibrer d’autres budgets, fallait-il rogner autant sur la santé au point que nous soyons, dans certains domaines, proche du tiers-monde ? Peut-être fallait-il cette expérience malheureuse pour toucher du doigt la réalité et enfin faire les choix difficiles qui s’imposent. C’est-à-dire, accepter de perdre certains de nos avantages pour préserver l’essentiel, pour nous, et les générations à venir. Le coût de la dette contractée pour passer le cap de crise économique générée par la pandémie va être énorme. Nous n’avons pas d’échappatoire car il est impossible de repousser cette décision au lendemain, à plus tard ! Je reste raisonnablement optimiste, car malgré l’adversité, un début chaotique et certaines exceptions, nous avons tous assisté à de grandes et belles choses comme : la solidarité envers les plus faibles et les plus démunis, la coopération européenne exemplaire entre l’Allemagne et la France pour les lits de réanimation, le partage de données et la collaboration scientifique internationale pour vaincre le fléau épidémique. Alors, pour le meilleur et pour nous tous, le monde d’après doit commencer aujourd’hui.
Hagay Sobol est médecin et professeur des universités