Publié le 10 août 2020 à 14h06 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
A la suite des gigantesques explosions qui ont ensanglanté Beyrouth, le monde se mobilise pour venir au chevet du Liban. Cette tragédie permettra-t-elle de transcender les clivages internes et les antagonismes régionaux ou va-t-on assister à une instrumentalisation de la situation ?
Alors que le Liban est touché par une triple crise, sanitaire, économique et politique, une autre tragédie vient de toucher très durement le pays du cèdre. Cent cinquante-huit morts, 6 000 blessés, 300 000 sans-abri, des hôpitaux détruits et le port dévasté, tel est le bilan provisoire de la série d’explosions qui vient de ravager Beyrouth. Ce drame, sans précédent depuis la guerre civile, a suscité un immense élan international pour venir en aide aux victimes. A l’image du Président français, Emmanuel Macron qui a fait le déplacement pour témoigner de sa solidarité, ou des voisins israéliens, spécialisés dans la médecine en situation de catastrophe qui négocient leur intervention via l’ONU. Mais pour que le Liban ait un avenir, il faudra non seulement faire toute la lumière sur ce drame atroce, mais surtout dépasser les clivages entre les différentes communautés, et procéder à une réévaluation radicale des relations régionales avec, en particulier, l’Iran et Israël.
Beyrouth dévastée
La tragédie que vient de vivre le Liban n’a pas fait de distinction entre les victimes. Elles sont de toutes confessions et classes sociales. Pour panser les plaies et entamer la reconstruction, l’union est désormais un impératif existentiel. Pour cela, les Libanais devront transcender les clivages confessionnels résultant d’un système institutionnel qui paralyse le pays en exacerbant les rivalités entre communautés et qui a permis au Hezbollah chiite de s’imposer comme un État dans l’État. Dans ce cauchemar, une note d’espoir, les manifestations contre la gestion de la crise économique et à la suite de la catastrophe réunissent désormais des Libanais de tous horizons qu’ils soient chrétiens, sunnites, chiites ou druzes.
Le gouvernement et le Hezbollah montrés du doigt
Premier chef d’État à se rendre sur place, le Président français Emmanuel Macron a été témoin de la défiance des Libanais envers leur classe dirigeante accusée d’incompétence, de corruption et d’être inféodée au Hezbollah. Après le choc initial, des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées pour critiquer les autorités à qui il est reproché d’avoir minimisé dans le drame, le rôle de la milice chiite. En effet, ayant d’abord incriminé des feux d’artifice, ce n’est que dans un deuxième temps qu’a été avancée l’implication d’un stock de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, à l’origine des plus confuses, et qui aurait été laissé à l’abandon depuis 6 ans par les autorités. Cette explication peine à convaincre quand on sait que le Hezbollah est le véritable patron du port de Beyrouth et qu’il est passé maître dans l’utilisation de ce composé chimique intervenant dans la confection d’explosifs ou la propulsion de missiles, et dont il cherche à s’en procurer par tous les moyens. Depuis 2012, plusieurs tentatives d’attentats de cette nature, perpétrés par le Hezbollah, ont été déjoués à l’étranger, y compris en Europe, comme à Chypre ou en Grande-Bretagne.
Que s’est-il passé et qui est responsable ?
Les images de la triple explosion, dont l’onde de choc s’est fait ressentir jusqu’à Chypre, ont fait le tour du monde. Très rapidement des experts en armement ont remis en cause la thèse initiale, ce qui a conduit le Premier ministre libanais, Hassane Diab, proche du Hezbollah, à s’engager de trouver les responsables et à les confronter. De son côté, le Président Michel Aoun, dont l’indépendance politique est également limitée, tout en écartant une commission d’enquête internationale, n’a exclu aucune hypothèse, dont une intervention extérieure «comme un missile, une bombe ou un autre moyen». Cependant, aux yeux des Libanais, les autorités semblent se contenter de trouver des boucs émissaires plutôt que de rechercher les vrais coupables. En ce qui concerne le nitrate d’ammonium, même si la thèse de la négligence était avérée, elle n’exclurait pas une intervention humaine. En effet, une explosion d’une telle violence nécessite un conditionnement spécifique du composé chimique pour produire cet effet destructeur, ou pour le moins, la propagation d’un incendie accidentel du stock de nitrate à de puissants explosifs qui n’auraient jamais dû se trouver au milieu d’installations civiles. Ainsi, plusieurs hypothèses ont été avancées, sans que, pour l’heure, elles puissent être confirmées, tel le déchargement de missiles iraniens à destination du Hezbollah dans le port de Beyrouth ou l’explosion dans un entrepôt d’armes de ce dernier. Israël qui a été rapidement mis hors de cause par la milice chiite, a révélé, il y a peu à l’ONU, une liste de sites de reconversion de roquettes en missiles de précision implantés parmi les habitations civiles. Ces mêmes accusations ont été reprises lors des manifestions contre le gouvernement où des simulacres de pendaisons du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah ou du Président libanais ont été mis en scène. Que ce soit le nitrate d’ammonium ou l’une des autres pistes énoncées, toutes pointent la responsabilité du Hezbollah et de son arsenal.
Au chevet du Liban meurtri
Si une majorité de pays ont proposé au Liban leurs services de manière altruiste, pour certains en revanche, il est légitime de s’interroger. C’est le cas de l’Iran et de la Chine. Depuis de nombreuses années, le Hezbollah est un supplétif zélé de Téhéran intervenant dans différents théâtres d’opération telle que la guerre en Syrie ou contre Israël en 2006. Les sanctions américaines envers la théocratie chiite ont eu pour conséquence de réduire considérablement l’aide financière apportée au groupe dirigé par Nasrallah. Aussi, ce dernier est moins enclin à une action militaire d’envergure contre l’État Hébreu, ennemi juré du régime des Mollahs. Sous couvert d’aide humanitaire, l’Iran pourrait tenter de reprendre la situation en main et réaffirmer ainsi son autorité. En ce qui concerne la Chine, elle pourrait avantageusement faire valoir ses compétences en matière d’aménagements portuaires. Sans reconstruction du port de Beyrouth, poumon économique du pays, aucun avenir ne sera possible. Ce faisant, Pékin s’offrirait un débouché maritime en Méditerranée orientale qui servirait sa politique expansionniste, mais au détriment de l’indépendance libanaise, comme elle tente de le faire également en se rapprochant de Téhéran.
Reconfiguration des alliances régionales
Déjà au bord du gouffre, cet événement terrible pousse le Liban un peu plus dans les abîmes. Les amis de ce qui fut jadis la Suisse du Moyen-Orient, s’ils désirent sincèrement sa survie, doivent aider les Libanais à recouvrer leur indépendance. Pour cela, il n’y a pas d’autres choix que de s’émanciper de la tutelle mortifère de l’Iran et d’en finir avec l’arsenal du Hezbollah qui prend en otage la population, tout en évitant le piège d’une éventuelle inféodation chinoise. Ce n’est qu’à cette condition qu’il sera possible de réformer les institutions politiques garantissant l’unité nationale. De nouvelles élections tout en conservant le même système confessionnel, ainsi que la capacité de nuisance de la milice chiite armée par Téhéran, n’y changeront rien. Dans ce combat, les occidentaux, et la France en particulier, au nom de son implication historique, doivent être en première ligne. Mais il est une autre priorité essentielle, celle d’un rapprochement avec le voisin israélien. Hormis la politique hégémonique perse, rien ne s’oppose à un traité de paix entre les anciens ennemis, comme il le fut avec l’Égypte et la Jordanie. Car seule une vaste coopération régionale est de nature à favoriser, sur le long terme, la stabilité du Liban et de tout le Proche-Orient.
Hagay Sobol est médecin et professeur des universités – Également spécialiste du Moyen-Orient