Publié le 20 août 2020 à 17h57 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Le nouveau traité de paix entre Israël et les Émirats Arabes Unis est un événement historique. Porteur d’espoir, dans un Moyen-Orient qui en a tant besoin, il annonce d’autres avancées non seulement avec les pays du Golfe, mais également des convergences accrues entre la France et l’État Hébreu, tout en préservant le droit des Palestiniens d’avoir un État.
Un accord entre Israël et les Émirats Arabes Unis (EAU), ayant trait à de nombreux domaines tels que la santé, la culture, la technologie ou la sécurité vient d’être annoncé. Cette avancée majeure, 26 ans après le dernier traité de paix avec la Jordanie, a de quoi susciter l’espoir tant le Moyen-Orient connaît de drames sanglants. Ceux qui n’y verraient qu’un coup politique de Donald Trump en prévision des élections américaines de novembre et la fin programmée d’un État palestinien se trompent, car il ne s’agit que de la première manifestation officielle d’un processus engagé de longue date. C’est la première étape d’une reconfiguration majeure des alliances régionales qui sera bénéfique pour tous. Car la reconnaissance par ses voisins de l’État Juif, et l’enterrement des vieilles rancœurs au profit de futures coopérations, ne renforce pas uniquement la sécurité de ce dernier, mais représentent des gages réels de stabilité pour les pays arabes et le monde musulman dans son ensemble. A ce titre il doit être soutenu.
L’avenir du Moyen-Orient sera à l’image du prochain président américain
Malmené par une gestion chaotique de la pandémie de Covid-19, Donald Trump a plus que besoin de se remettre en selle s’il veut assurer sa réélection en novembre prochain. L’annonce de l’accord historique de normalisation entre les EAU et Israël arrive à point nommé et apparaît comme la confirmation du bienfondé de sa politique pour le Moyen-Orient : de la sortie de l’accord sur le nucléaire iranien et l’exercice de pressions maximales sur le régime des Mollahs, en passant par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État Hébreu, jusqu’au «deal du siècle». Ses opposants, Téhéran en tête, mais également Pékin, préféraient avoir Joe Biden comme nouveau locataire de la Maison-Blanche qui d’après eux fera preuve d’une plus grande souplesse à leur égard.
C’est la faute d’Obama !
En réalité les causes de la reconfiguration des alliances au Proche-Orient sont plus anciennes. Cela résulte principalement de la réorientation de la politique extérieure des USA sous l’administration Obama, celle dite du pivotement vers l’Asie-Pacifique. Pour se consacrer à ce projet, l’ancien Président, a remis les «clés de la région» à la théocratie chiite, via le JCPoA (Plan d’action conjoint sur le nucléaire iranien), au détriment des alliés traditionnels de l’Amérique, les pays arabes sunnites. Confrontés aux mêmes menaces existentielles que représentaient Daesh et la politique hégémonique perse (via le croissant chiite du Yémen au Liban, en passant par l’Irak et la Syrie), Israël et les pays du Golfe, hormis le Qatar, se sont rapprochés pour mettre en place une coalition, basée sur des intérêts partagés et bien compris. Initialement discrète, elle est désormais officielle. Et après les Émirats, d’autres États du Golfe tels que Bahreïn ou Oman devraient annoncer à leur tour leur normalisation.
La France et Israël garant de la sécurité en Méditerranée orientale ?
On ne peut pas déconnecter le présent accord de deux crises majeures récentes ayant sans doute contribué à accélérer son annonce, et qui voient les intérêts respectifs de la France et d’Israël converger. Il s’agit, d’une part, de la dévastation de Beyrouth par l’explosion d’un stock de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium pouvant servir à la confection d’explosifs et à la fabrication de missiles, pour lequel la milice chiite du Hezbollah, supplétif zélé de Téhéran, est montré du doigt. L’Europe, avec en première ligne la France, du fait de son lien historique avec le pays du cèdre, s’est positionnée pour réformer les institutions du pays et éviter toute nouvelle ingérence extérieure, faisant clairement référence à l’Iran. De leur côté les USA et Israël font pression auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU pour que le rôle de la FINUL (Force intérimaire des Nations Unies au Liban) soit renforcé, notamment en ce qui concerne le désarmement du Hezbollah dont l’arsenal compte plus de 150 000 missiles et roquettes menaçant l’État Hébreu. Un Liban indépendant, dégagé de la tutelle mortifère du régime des Mollahs, pourrait sérieusement envisager à son tour un rapprochement avec son voisin du sud, ce qu’a laissé entendre, il y a peu, le Président Michel Aoun dans une interview.
D’autre part, la situation très préoccupante en Libye et en Méditerranée orientale, où la Turquie tente de s’approprier par la force les immenses réserves de pétrole et de gaz offshore au détriment des pays riverains, comme la Grèce ou Chypre, tous deux membres de l’UE, l’Égypte et Israël. Non seulement cela menace l’avenir du gazoduc EstMed devant relier cette région à l’Europe, pour diversifier son approvisionnement et amoindrir sa dépendance à la Russie, mais une guerre peut éclater à tout instant du fait des forces en présence. En effet, pour contrebalancer l’envoi de troupes par Ankara aux islamistes du GNA libyen (Gouvernement d’Accord National à Tripoli, non reconnu par le parlement élu siégeant à Tobrouk), les pays du Golfe, en particulier les EAU, soutiennent l’Armée Nationale Libyenne du Maréchal Khalifa Haftar, affiliée au parlement légitime. Seule, une coopération internationale intégrant la France, chargée de faire respecter l’embargo sur les armes, et Israël est de nature à favoriser la désescalade et à diminuer l’appétit territorial du Président Turc Erdogan. Pour cela, Paris a adossé son approche diplomatique à des moyens militaires dépêchés dans la région, et l’État Hébreu qui s’entraîne régulièrement avec les forces aériennes hellènes et françaises a officiellement pris la défense de la Grèce et de Chypre face à Ankara.
Le front du refus !
Sans étonnement, l’Iran qui a fait des EAU une cible légitime, la Turquie, l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas et le Hamas sont vent debout contre l’accord et parlent de trahison. Pourtant, si on se réfère aux propositions publiées par l’administration américaine, à savoir la déclaration sur Jérusalem ou les 180 pages du «deal du siècle», elles intègrent la position fondamentale des Palestiniens, à savoir, le droit à un État contigu, même si toutes leurs revendications ne sont pas retenues. Il s’agit d’une base de négociation et non pas de documents gravés dans le marbre. De leur côté, les EAU ont conditionné le traité avec Israël à une suspension de la souveraineté/annexion de parties de la Cisjordanie, afin de préserver la solution à deux États.
Les deux frères ennemis Palestiniens ne se rejoignent que sur un point. Et ce n’est pas l’opposition à «l’entité sioniste» qui est en réalité leur meilleur ennemi. En effet, Tsahal (Armée de défense d’Israël) assure la sécurité de Mahmoud Abbas en Cisjordanie, dont la vie est régulièrement menacée par des groupes terroristes. Et pour le Hamas, la lutte contre «l’occupant» est un prétexte bien pratique pour légitimer sa main mise sur Gaza et justifier le refus d’une union nationale. La véritable raison de l’opposition des leaders palestiniens aux différents plans de paix, dont le plus favorable, celui de l’ancien Premier Ministre Ehud Olmert en 2008, est qu’ils ont tout à redouter de la mise en place d’un État avec des institutions transparentes. Ils y perdraient à la fois le pouvoir en cas de nouvelles élections tant le mécontentement est grand parmi la population, et l’accès à la manne financière internationale qui n’a d’autre équivalent que le plan Marshall pour l’Europe d’après-guerre. Dans ce contexte de recomposition des alliances internationales, il n’y a pas d’autre choix que de préparer la succession du vieux Raïs palestinien, à la santé déclinante, et de favoriser l’émergence de nouveaux responsables plus pragmatiques et à l’écoute de leur peuple. Dans le cas contraire, en continuant à se laisser séduire par les sirènes des puissances qui les instrumentalisent à des fins personnelles, il est à craindre que de plus en plus isolés, la communauté internationale n’ait d’autres priorités que de se soucier de l’avenir de la Palestine.
De nouvelles alliances pour assurer la paix et la stabilité du Moyen-Orient
L’annonce d’un accord entre les EAU et Israël est un véritable bouleversement diplomatique et psychologique. Il contredit toutes les certitudes que l’on pouvait avoir sur les causes de l’instabilité régionale en démontrant que ce n’est pas l’État Hébreu qui est un frein à la paix avec ses voisins mais ceux qui s’opposent à la normalisation. Ces deux puissances technologiques ont beaucoup en commun et l’on a pu voir concrètement l’efficacité de leur partenariat dans la gestion de la pandémie de la Covid-19 et dans leur volonté de développer conjointement un futur vaccin. Et ce n’est qu’un des aspects de ce dont le Moyen-Orient tout entier pourrait bénéficier. Un tabou a été brisé et la répercussion, à n’en pas douter, va s’étendre à d’autres pays de la région, voire au-delà, comme en Afrique, avec le Maroc et le Soudan par exemple. Mais comme tous les édifices complexes, il est encore fragile. Il faut s’attendre à ce que les tenant de la ligne intransigeante n’en restent pas là et tentent de torpiller la paix en cours par tous les moyens. C’est dans la durée et malgré les épreuves que devront s’incarner le courage politique et la solidarité, seules capables de changer radicalement la donne. Pour ne pas laisser passer cette chance inespérée, nous devons soutenir cette initiative de paix et celles qui vont suivre, chacun à notre niveau. Car un échec nous reviendrait inévitablement comme un boomerang.
Hagay Sobol est médecin et professeur des universités. Il est également spécialiste du Moyen-Orient et militant du dialogue intercultuel dans le collectif Tous Enfants d’Abraham