Publié le 2 mars 2018 à 13h52 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 17h58
Alors que les civils ne cessent de payer le prix fort, comme à la Ghouta orientale ou à Afrin, le conflit syrien vient de rentrer dans une nouvelle phase. Si la principale raison avancée pour justifier l’intervention d’armées étrangères était la lutte contre l’État Islamique, depuis l’effondrement de ce dernier, c’est désormais le temps du partage, laissant présager d’autres affrontements. En effet, nous avons assisté durant le mois de février à des événements d’une extrême gravité qui pourraient être les prémices d’une confrontation généralisée entre l’Iran et Israël, où planent les ombres ambiguës de la Russie et des USA.
Quand l’Iran teste la détermination des USA en Syrie
L’Iran, alliée de la Russie, a pris l’habitude de tester les nations occidentales et de ne voir en retour que de timides réactions à ses visées hégémoniques qu’il s’agisse de son programme nucléaire dont certains pans revêtent un aspect militaire avéré, de son programme balistique ou de l’instrumentalisation du conflit syrien pour s’implanter durablement dans la région. La République islamique n’a pas lésiné sur les moyens et a consenti de lourdes pertes pour imposer son « autoroute chiite » allant de Téhéran à la Méditerranée.
Cependant, les choses ont diamétralement changé avec la rupture de l’accord tacite entre russes et américains dans la vallée de l’Euphrate au début du mois de février. En effet, des éléments de la coalition syro-iranienne s’en sont pris à la zone riche en hydrocarbure occupée par des éléments kurdes et arabes soutenus par Washington. La réponse américaine ne s’est pas fait attendre entraînant plus d’une centaine de morts et 250 blessés. Hormis, des membres de l’armée fidèle à Bachar el Assad, des forces iraniennes et du Hezbollah, on décompterait parmi les victimes également des «mercenaires russes» selon les sources officielles.
Pourquoi un drone iranien a-t-il survolé la Jordanie et Israël ?
Ce sévère revers ne pouvait rester sans réponse. C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter le survol de la Jordanie et d’Israël, quelques jours après, par un drone furtif perse. Même si l’appareil sans pilote a été rapidement détruit par Tsahal (Armée de défense d’Israël), ce faisant, Téhéran envoie plusieurs messages.
Tout d’abord, la théocratie chiite démontre qu’elle maîtrise cette technologie complexe «empruntée» aux américains. Ensuite que les Mollahs perses sont déterminés et qu’ils agiront quel que soit l’ennemi et le prix à payer pour atteindre leurs objectifs régionaux.
Car là aussi la réponse de l’État hébreu a été immédiate et musclée en détruisant, selon des sources arabes, près de la moitié des systèmes de défense syriens, ainsi que plusieurs bases contrôlées par les Gardiens de la révolution iranienne (Pasdarans). Cependant, lors de ces représailles, les Israéliens ont perdu un avion F16. Un fait suffisamment exceptionnel et symbolique pour être immédiatement glorifié par l’Iran et ses supplétifs comme le Hezbollah libanais et le Hamas à Gaza.
La perte d’un F16 israélien est-elle un simple incident ou le signe d’un rééquilibrage des forces ?
Que peut-on apprendre de la perte du F16 israélien ? Certains stratèges avancent que l’envoi du drone aurait pu être un leurre afin de tendre une embuscade aux appareils frappés de l’étoile de David répliquant à l’agression perse. Ensuite, que la dissémination des systèmes de défense avancés et autres missiles de précision aux mains d’États et de milices impliquées dans le conflit syrien rend toute intervention aérienne très périlleuse. Les Russes tout comme les Turcs, seconde puissance de l’Otan, l’ont appris à leur dépend.
Enfin, on peut être étonné que des systèmes de défense aussi sophistiqués que les S300 et S400 russes positionnés en Syrie aient été pris en défaut à de multiples reprises auparavant, et cette fois encore, par les attaques ciblées israéliennes. De deux choses l’une, soit ces systèmes ne sont pas aussi performants qu’attendu, soit il existe plus qu’une entente, c’est-à-dire une véritable coordination entre les états-majors russe et israélien, au grand dam de l’Iran.
Même si l’on ne connaît pas la cause réelle de la destruction du F16 israélien, -shrapnel ou souffle d’un missile-, dans ce contexte, sa valeur symbolique permet tout à la fois de redorer le blason de la DCA russe et de maintenir une certaine ambiguïté vis-à-vis d’Israël et de l’encombrant «allié perse». Et pour ce dernier qui a dû dégarnir le front syrien pour surveiller sa population après les émeutes sanglantes des mois de décembre et janvier deniers, cela arrive à point nommé pour légitimer sa politique extérieure, même à un coût exorbitant, et un moyen idéal pour détourner l’attention vers un ennemi extérieur.
Quoi qu’il en soit, on peut être certain que l’état-major hébreu a déjà planché sur des contre-mesures. La création d’un corps d’armée doté de missiles sol-sol de moyenne portée (de 150 à 300 km) pourrait être une des réponses.
Israël pris entre six fronts par l’Iran et ses supplétifs
Faut-il prendre au sérieux les déclarations répétées des dirigeants perses au sujet de leur volonté d’en finir définitivement avec l’«entité sioniste» ? Oui, si l’on en croit les Américains et les Israéliens, mais également le Kremlin pourtant allié des Iraniens. Ainsi, le ministre russe des Affaires Étrangères, Sergueï Lavrov a récemment condamné de tels propos : «Nous avons maintes fois déclaré que nous n’accepterions pas les déclarations selon lesquelles Israël, en tant qu’État sioniste, devrait être détruit et rayé de la carte… ».
Et de fait, le Général Qassem Soleimani, commandant des Forces Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution, menace de prendre en étau Israël à partir de plusieurs fronts : de Gaza -avec le Hamas et le Djihad islamique-, de Syrie et du Liban -avec les Pasdarans et le Hezbollah-, et les champs gaziers offshores israéliens de la Méditerranée orientale, sans oublier la Jordanie comme l’a démontré la récente attaque de drone. Auxquels il faut rajouter également des actions terroristes à l’étranger visant des intérêts israéliens ou ciblant la communauté juive comme l’attaque du centre communautaire AMIA en Argentine en 1994 (85 morts et 250 blessés) ou plus récemment à Bourgas en Bulgarie en 2012.
Si les iraniens ont pour ambition d’imposer leur leadership régional, pour Israël il s’agit d’une question de survie, et contrairement aux pays occidentaux, ce conflit se passe à ses frontières. C’est la même menace qui pousse les «pays sunnites modérés» à se placer sous l’ombrelle défensive de l’État Hébreu, ceux ayant déjà fait la paix comme l’Égypte et la Jordanie ou les ennemis d’antan tels que l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et d’autres pays du Golfe.
Aujourd’hui, Israël est le seul véritable obstacle à l’impérialisme perse. Comme le régime des Mollahs n’est pas prêt à renoncer à l’exportation de sa « révolution islamique chiite » et qu’Israël est déterminé à rester durablement dans le paysage moyen-oriental, de même que ses alliés sunnites, tous les ingrédients sont réunis pour l’extension régionale du conflit syrien.
L’État Hébreu dispose de deux options, soit répondre à une agression, soit intervenir préventivement quel qu’en soit la forme. Deux arguments de poids sont en faveur de cette dernière. Tout d’abord, la multiplication des missiles de précision. Le Hezbollah qui selon l’ONU ne s’est pas réarmé depuis la dernière guerre du Liban, en détiendrait plus de 150 000 qui menacent tout Israël, ainsi que ceux disséminés en Syrie se comptant par dizaines de milliers. Une attaque massive de missiles entrainerait des pertes énormes parmi la population civile et les infrastructures israéliennes. Ensuite, la menace à peine voilée du régime syrien d’utiliser des armes chimiques, tels que des gaz chlorés, à la frontière qui outre atteindre les « rebelles » ne manqueraient pas de faire des victimes du côté israéliens. Pour l’État Hébreu, cela est intolérable et le «passé ne reproduira pas deux fois !» Si l’on tient compte de tous ces éléments, la question n’est donc pas de savoir s’il y aura une confrontation directe entre l’Iran et Israël, mais quand elle se produira.
Une guerre pour le contrôle des ressources énergétiques
Au-delà de l’aspect religieux, avec la lutte entre chiites et sunnites ou de l’implantation en Syrie de bases militaires russes et iraniennes, il y a un aspect de la politique régionale qu’il ne faut pas occulter, c’est le volet énergétique. Ainsi, la Russie, les USA, l’Iran, la Turquie, le Liban et Israël, principalement, sont à couteaux tirés pour l’exploitation des ressources régionales en hydrocarbures (Syrie, Irak et Méditerranée orientale) et leur acheminement.
La guerre contre Daesh n’ayant laissé que des champs de ruines, la reconstruction des infrastructures devra précéder l’exploitation des gisements. Il faudra dans le même temps mettre en place les moyens d’acheminement et sécuriser le tout. On comprend aisément qu’un état de guerre permanent rendrait impossible cette perspective. Aussi, malgré les menaces de conflit entre l’Iran et Israël et en dépit de l’existence de rivalités territoriales ou d’influence sur les ressources en gaz et en pétrole, la Russie et les USA pourraient jouer le rôle d’arbitre pour leur plus grand intérêt.
Il est à craindre, que l’avenir de la région où les morts, qui n’intéressent personne, se comptent par centaines de milliers et les déplacés en millions, ne se décidera pas dans les forums internationaux mais dans les antichambres où se dessinent les nouvelles zones d’influence entre superpuissances et puissances régionales. Mais pour l’heure, cela est peut-être préférable à un conflit généralisé.