Publié le 21 avril 2017 à 23h30 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h45
C’est certainement le cri strident d’une sonnerie de téléphone qui a fait éclater le silence qui s’était imposé, hier soir, dans un foyer de province. C’est encore une voix laconique d’un quelconque sbire du ministère de l’Intérieur qui a dû annoncer la triste nouvelle à une famille étant quelques secondes auparavant avachie dans un canapé mou pour y entendre les palabres insignifiantes des candidats à l’imminente élection présidentielle.
Il est mort … Et puis un lourd silence pour que cette information puisse transiter vers les cerveaux embrumés, puisque provoquer une onde de choc terrible anéantissant tous les projets et tout ce qui peut être positif.
Il faisait son devoir, rajouter-t-il dans un ton monocorde que cet encostardé a trouvé pour laisser croire à ces parents, à cette veuve ou peut-être à ces enfants que cette mort a une logique, une raison d’être. Mais rien ne peut justifier cela, rien ne peut même l’expliquer et pourtant, plus tard, ils chercheront à obtenir des explications, des informations et des détails sur le déroulement des faits pour comprendre et faire leur deuil. Mais rien ne permettra de cicatriser une plaie purulente de la mort d’un enfant d’une famille modeste, de la mort d’un enfant de la nation.
Les balles ont claqué, elles ont fait éclater le métal froid d’un fourgon sérigraphié avant de se loger dans de la chair humaine, de la chair de policier.
Moi, ce matin j’ai mal. Je ne sais que dire et l’expliquer mais je souffre d’un mal dans le dos, d’une migraine et d’une nausée qui me ferait gerber mes derniers repas. Ma chair d’ex-flic souffre de ne pas comprendre et encore moins accepter ce qui s’est déroulé hier, en plein Paris.
Je ne peux m’empêcher de penser à ce jeune flic, je ne peux m’empêcher de songer à cette haine qui déambule librement dans nos rues et à ces armes qui circulent allégrement depuis l’effondrement du bloc soviétique, depuis l’effondrement de nos valeurs, celles d’une République moribonde assassinée par des politiques dévastatrices.
Mais lui ce matin est couché sur un lit de métal froid dans le fond d’une salle encombrée de cadavres de l’Institut-Médico-Légal de Paris. Un linceul blanc dérisoire recouvre son corps encore porteur d’un uniforme bleuté qui ne représente plus rien, qui n’a pas permis de stopper le déluge de métal et qui va lui être retiré pour que son corps soit fouillé par les mains expertes des médecins légistes. Il repose seul. Moi je ne sais que dire et ai même du mal à écrire ce que m’inspire ces faits lâches et abjects, je ne peux sortir de ma tête le linceul et le silence, le son du clairon et la Marseillaise avant le discours vide d’un tout jeune ministre de l’Intérieur placé là par défaut, par faute d’autres choses.
J’ai mal dans ma chair d’ex-flic …
Je voudrais écrire mieux que cela, je voudrais transmettre ma colère et mes larmes à toute une population paumée au milieu d’une élection qui n’a aucun sens et qui va permettre de porter à la fonction suprême un homme ou une femme incapable d’enrayer ce qui se joue sous nos yeux, sous ces caméras de télévision de BFM telles des charognards, des œils indiscrets se donnant pour mission une information qui n’en est plus une.
J’ai mal dans ma chair d’ex-flic …
Je voudrais tant hurler, je voudrais tant gesticuler pour faire entendre à une population capable de se dissimuler sous des chaises sans oublier de se filmer en entendant claquer les balles sur les gilets pare-balles des policiers.
Je voudrais tant que cela cesse et ne plus voir des cercueils recouverts d’une bannière tricolore, recouverts de la honte de toute une nation perdue devant une haine désordonnée, une colère non justifiée d’un voyou se dissimulant derrière une idéologie dont il se moque éperdument.
J’ai mal dans ma chair d’ex-flic …
Mais l’analyse de ces faits permet de mettre en évidence un bilan bien terne, celui de la déliquescence de l’institution justice. Pour avoir tenté à deux reprises d’abattre des policiers dans des conditions rocambolesques le tueur d’hier soir a recouvré sa liberté bien vite et même si je n’accable habituellement pas la justice et les magistrats force est de constater qu’un tueur potentiel devenu effectif a pu reprendre les armes et commettre le pire.
Que devons-nous penser de cela; que devons faire pour que cela ne se reproduise plus dans un contexte où se réclamer de Daech reste l’ultime cause encore légitime pour une horde de fous hystériques assoiffés de sang et de chaos. Certains me diront d’aller voter alors que d’autres iront battre le pavé afin de réclamer une justice pour un peuple abreuvé d’un fleuve d’images d’une réalité tronquée, presque virtuelle.
Moi j’en ai assez de contempler, j’en ai assez de réclamer alors je m’insurge avec des mots que je trouve bien dérisoires et sans effet sur quoi que ce soit, sans impact sur la terreur qui règne, sur la peur qui prend au ventre mais je continue d’écrire pour expurger une colère qui bout en moi.
Mais, à qui en vouloir ?
Je ne sais qui haïr, je ne sais qui détester pour trouver un exutoire et me soulager de cette bête immonde qui refuse de quitter ma tête d’ancien policier. Je ne sais qui frapper, je suis même incapable de me flageller pour trouver le repos et la sérénité.
Je pense sans cesse à la sonnerie du téléphone et aux cris assourdissants du silence qui s’en est suivi, aux cris assourdissants d’une mère à qui ont vient de retirer un morceau d’elle même.
Ce n’était qu’un homme, un jeune homme qui avait choisi de servir son pays. Il vient de le payer de sa vie.
Moi, j’ai mal dans ma chair d’ex-flic…
J’ai presque perdu l’envie d’écrire tant cette guerre qui n’en est pas une me fatigue et parvient à me retirer toute la verve qui est la mienne. Les mots comme des armes me semblent bien inefficaces et je doute même qu’ils puissent lutter contre des Kalachnikov et ne parviennent même pas à éponger les joues humides de cette famille endeuillée.
A quoi bon écrire … ?
C’est ma chair d’ex-flic qui souffre, elle se tord sous les coups qu’elle reçoit. Ce sont mes doigts agiles sur un clavier qui ont du mal à poursuivre leur course effrénée pour noircir des pages de futilité.
Ce matin j’ai envie de hurler mais j’ai si mal dans ma chair d’ex-flic que je vais me contenter de pleurer …
Lire aussi de Marc La Mola [[Marc La Mola a été flic durant vingt-sept années. Après des débuts à Paris, il rejoint sa ville natale, Marseille et choisit les quartiers Nord pour y exercer. C’est aussi là qu’il a grandi. Officier de Police Judiciaire, à la tête d’un groupe d’enquête de voie publique, il a traîné dans ces quartiers pour en mesurer les maux. Il a touché du doigt la misère et la violence de ces secteurs de la Ville. Marc La Mola a sans doute trop aimé son métier et c’est en 2013 qu’il décide de mettre un terme à sa carrière. Il retourne à la vie civile pour écrire. Il est aujourd’hui auteur, romancier et scénariste. Chez Michalon Éditions il a publié : «Le sale boulot, confessions d’un flic à la dérive», «Un mauvais flic, lettre ouverte à Manuel Valls», «Quand j’étais flic …». Ces trois témoignages relatent les moments forts de sa carrière et ses différentes prises de position. C’est chez ce même éditeur qu’il publiera en mars 2017, «Police, Grandeur et Décadence» dans lequel il explique comment la police en est arrivée à descendre dans la rue pour manifester son mécontentement. Il est encore romancier. Il publie chez Sudarenes Éditions un polar à l’accent Marseillais, «Le sang des fauves». En juin 2017 le personnage de ce premier polar revient dans «Vallis Clausa», deuxième volet des enquêtes de son personnage Randy Massolo, un flic torturé. Il est aussi scénariste et a signé l’écriture de plusieurs synopsis optionnés par des maisons de production. Il enseigne également l’écriture de scénarios à l’École supérieure du cinéma Cinemagis de Martigues (13)]]
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