Publié le 28 juin 2017 à 17h15 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 16h56
C’est assez étonnant de constater comment notre ville peut fasciner, intriguer et même passionner le moindre Parisien descendant en Province et allant s’encanailler du côté de l’Hôtel Intercontinental ou sans quitter le quartier de la JolIette, enfin plutôt celui d’Euroméditerranée, sans bien sûr prendre le risque d’aller visiter la Castellane ou Bassens ou même sans arpenter après vingt heures notre Cane, Cane, Cane … Canebière … !
C’est aussi surprenant de les entendre ne pas tarir d’éloges pour notre ville qui, d’après eux, bouge, où se déroule beaucoup de choses et où la beauté des rues est transcendante comme si nous les Marseillais étions aveugles et stupides à bouffer de la paille. Des provinciaux en somme …
Ils contemplent les autochtones que nous sommes comme des animaux de foire incapables de mesurer le potentiel de notre ville, de contempler sa beauté et d’admirer son architecture … Bref un tas de couillonnades déballées à celui qui vit dans la ville où il est né et tente, malgré une administration corrompue et une insalubrité institutionnalisée, d’évoluer dans un panier où gravitent des crabes, des anguilles et même des vipères au venin si puissant qu’il est capable d’endormir les citoyens et les faire voter pour la même équipe municipale depuis 1995.
Alors c’est samedi que je me suis rendu à la Vieille Charité, dans le quartier du Panier. Il s’y tenait le salon du livre des people, vous savez ces gens qui signent des livres sans les avoir écrit et pour lesquels se déplace une foultitude de fans inconditionnels venus acheter une dédicace plutôt que le livre sur lequel elle est inscrite et négocier le sempiternel selfie aussi inutile que débile. Livre que la plupart ne lira même pas …
Mais c’est ainsi cette manifestation se déroule chez nous et elle m’a permis de retrouver une amie Parisienne tombée en amour pour Marseille, mon agent littéraire.
C’est autour d’une table que nous avons avalé un café et que j’ai entendu toutes sortes d’inepties, toutes sortes d’absurdités résultant des visions angéliques de toute une foule de «culs de poule» et d’accent pointu persuadée que Marseille allait devenir Cannes ou même Miami. C’étaient de grands OH … ! de grands AH … ! en allant déjeuner sur le MSC Splendida d’où ils allaient découvrir les côtes Marseillaises de suffisamment loin pour ne pas voir la misère des quartiers Nord et du troisième arrondissement, pour ne pas voir la violence d’une ville et les inégalités sociales qui la gangrènent.
Mais peu importe puisqu’ils ne resteront pas chez moi à Marseille…
Nous, les Marseillais resterons là et c’est lundi matin, en lisant la presse locale, que j’ai vu le vrai visage de ma ville, celui de la violence et de la connerie érigées en langage endémique. C’est un couteau, un simple couteau de cuisine qui trancha la carte postale dressée ce week-end par les Parisiens qui déjà avaient repris la route de la Capitale, un couteau qui alla aussi se planter dans le cœur d’une jeune fille d’à peine dix sept ans ! Elle chuta au sol avant l’arrivée des secours qui ne parvinrent pas à la ranimer, elle termina sa courte vie à quelques encablures du ponton où était amarré l’immense bateau leur ayant servi de restaurant. C’est une simple querelle entre filles qui a engendré cela, une minable dispute entre jeunes filles à peine sorties de l’enfance dans des rues de Marseille rendues à la colère, la haine et le laxisme. Ni les innombrables caméras de surveillance et ni les équipements lourds des policiers municipaux n’ont empêché cela. Elle est morte là dans le caniveau de ma ville, de Marseille et les Parisiens avaient déjà rejoint leurs pénates …
Tout s’en était allé, les onomatopées grotesques, les regards langoureux et les sourires béats d’une société bien pensante et ignorante de ce qu’est la réalité de ma ville. Cette ville il faut la connaître pour en parler, il faut la sentir bouger, l’avoir vu évoluer depuis des années et surtout savoir ce qui a été et est encore sa souffrance. Car Marseille la belle souffre, Marseille la sulfureuse hurle de ne pas avancer et d’être soumise au joug d’une politique seulement animée par le clientélisme et le favoritisme.
Mais malgré tout Marseille fascine encore celui qui n’y vit pas, celui qui n’a aucune ambition pour elle et qui se gausse, depuis son loft Parisien, de ce qui se déroule dans nos rues. Mais moi je l’aime cette ville, je la connais et à mon tour je souffre chaque fois qu’une lame transperce un cœur de jeune fille, chaque fois qu’une Marseillaise pose un genou à terre et souille de son sang nos rues crasseuses. Marseille intrigue, elle suscite même les curiosités et motive les touristes à suivre le pitoyable « Gangster Tour » qui les conduit sur les pas des voyous Marseillais soudain érigés en modèles, en personnages de fiction devenus les héros d’un sale business.
On y vante les mérites des voyous, on y évoque les soi-disant code d’honneur pour les différencier de nos voyous contemporains et peut-être même les rendre attachants …
A l’issue on regretterait presque la French Connection, on verserait presque une larme en prononçant le nom de Zampa et du Belge tous assoiffés de sang et d’argent …
Mais il est où le temps des voyous d’honneur ?
Comme si mettre une canon sur la tempe d’un honnête commerçant pour lui extorquer de l’argent ou encore inonder d’héroïne les rues de nos villes était honorable, était incomparable avec les voyous des cités des quartiers nord ou de l’assassin de cette minote de dix-sept ans. Un peu comme si ces gens là étaient le seul héritage d’une ville inexorablement livrée à la voyoucratie. Moi, bizarrement, je préférerais l’héritage de Pagnol ! Tout est histoire de goût …
Moi je pense aux parents effondrés et aux policiers enquêteurs qui vont devoir lutter, en assistant à l’autopsie de la victime, pour ne pas faire un transfert sur leurs propres enfants. Moi je pense à la stupidité de cette mort, je pense à la futilité du motif l’ayant entraînée en me souvenant les propos légers des Parisiens éphémèrement amoureux de ma ville … Marseille tu fascines celui qui ne te connaît pas. Moi j’ai tant d’ambition pour toi que je voudrais que tu restes mienne, que tu sortes du marasme de ces nuits agitées et qu’enfin tu rayonnes autrement que par l’intensité de la page des faits divers.
Tu vaux bien mieux que cela …